Chapitre 2

Son pied écrasa un éclat de verre brisé. Une larme roula sur sa joue, mais aucun son ne sortit de lui.

« Adam ? »

La voix serrée de Joshua résonna derrière lui. Un courant d'air secoua ses cheveux blonds. Adam regarda le trou immense juste derrière son ami, dans le mur. De la poussière de plâtre volait un peu partout dans la pièce. Les lampes ne marchaient plus, et la plupart semblaient avoir explosé. Des traces de brûlé peignaient la tapisserie, et le lustre en verre était au sol, en mille éclats. Des balles avaient apparemment traversé le mur, à divers endroits. Les oiseaux, les avions et les bateaux n'étaient plus. Ils s'étaient envolés. Ils étaient partis, emportant les rêves fissurés avec eux.

Il fit quelques pas, et chacun était accompagné du craquement et des crissements de verre. Les vitres avaient explosé. Il tomba à genoux, et fondit en larmes. Comme toute une souffrance qui d'un coup s'était déclenchée. Joshua posa une main sur son épaule, pour essayer de le consoler, sans grand succès.

Ils ont huit ans.

Adam essuya ses yeux et s'élança droit devant lui, hurlant :

« Et ma maison !? »

Il n'y avait plus de porte, à cet appartement. Plus rien. Les boîtes aux lettres du hall étaient cabossées, voir arrachées. Il manquait, par-ci par-là, des marches de l'escalier. Plus personne n'était là. Plus personne ne riait, plus personne ne jouait, plus personne ne discutait. Comme si tout le monde avait déserté. Tout un côté du mur gauche, à plusieurs mètres des marches, était tombé. Adam grimpa les marches, avec difficulté jusqu'au cinquième étage. Il y avait grandi. Joshua aussi. Ce dernier ne prononçait plus un mot, plus un son. Une fois en haut, il constata les dégâts. Plus de portes, plus de fenêtre. Il s'avança dans la carcasse de sa maison. De ce qui a été sa maison.

Sa mère n'était pas devant la cuisinière, une cuillère en bois dans la main. Il n'y avait pas ses cheveux roux en cascade dans son dos. Il n'y avait pas son bandeau jaune sur son crâne. Il n'y avait pas ses bras pour l'accueillir. Il n'y avait plus rien.

Les fauteuils étaient renversés, les photos de familles étaient au sol, éclatées. La table où ils se réunissaient tous, où ils faisaient des maquettes d'avions, où ils faisaient des puzzles était cassée en deux. Les tapis étaient tâchés de rouge, là tirant sur le marron. Des balles scintillaient sur le sol, tristes étoiles sur les restes d'un carnage passé. Il se tourna vers Joshua et l'attrapa par les épaules.

« Ils sont plus là ! Il n'y a plus rien ! Rien ! »

Son ami ne prononça pas un mot. Une simple larme goutta de ses yeux, comme un diamant.

« Dis quelque chose !

- Mais qu'est-ce que tu veux que je te dise !?

- Qu'est-ce qu'il s'est passé !?

- Je n'en sais rien, Adam ! Je... »

Il sanglota, et essaya d'essuyer ses yeux. Adam l'imita, non par envie.

Ils ont huit ans. 

Au loin, l'aurore menaçait de faire son entrée, illuminant les dégâts.

« Je ne comprends pas, on était...On était tous là... On était chez toi, on venait de passer la porte de ta chambre, Joshua ! Qu'est-ce que...

- Non, bien sûr que non, tu ne te souviens de rien ? »

Adam secoua la tête, hésitant à savoir. Il n'a pas pu avoir une amnésie. Il a juste cligné des yeux, et soudain, il était là. Joshua sembla se briser, comme le lustre. Comme les lampes. Les fenêtres. Les photos.

« Les soldats, Adam ! Il y a eu les soldats !

- De quoi tu parles, de quoi... Non, on... Je regardais les étoiles !

- Évidemment que tu les regardais, tout le monde regardait les étoiles, les soldats aussi !

- Qu'est-ce que tu racontes !?

- Des étoiles ! »

Joshua fouilla au sol. Il remuait tout, soulevait les tissus déchirés des rideaux, les restes des assiettes, les morceaux de plafond, jusqu'à trouver dans les décombres un bout de tissu, en forme d'étoile. Elle était jaune, et le contour était noir.

« Je te parle de ces étoiles-là.

- Non. Non, non, non. »

Adam attrapa l'étoile et la jeta. Il se retourna et tira un peu la table vers lui. Il essaya de la relever un peu, sans grande réussite. Il récupéra les photos, pour les poser dessus.

« Aide-moi Joshua !

- Quoi ? Mais qu'est-ce que tu fais ?

- Je remets tout en place ! Ce n'est pas juste des souvenirs, ça a existé ! On peut tout recréer, pas vrai ? Maman reviendra, quand elle verra que tout est propre !

- Adam, tu saignes...

- Je sais. »

Joshua lui attrapa les mains.

« Arrête, Adam, ce n'est pas comme ça que ça marche, ce n'est pas...

- Si, il le faut !

- Qu'est-ce que je dois te dire pour que tu réalises que non !?

- Rien, parce que tu mens ! »

Il le lâcha et commença à partir, mais n'y arriva pas. C'était Adam et Joshua. Pas juste Adam. Pas juste Joshua. Il fit demi-tour, et attrapa une couverture qu'il secoua un peu, retirant la poussière. Elles voletaient un peu, dans les premiers rayons de soleil. Il jeta un coup d'œil dehors, vers le soleil, et porta sa main en visière.

« Hey, Adam, vient voir. »

Il obéit, sans lâcher sa photo des mains. Tout deux se rapprochèrent de l'énorme trou qui faisait office de fenêtre. Quelques chevreuils étaient sur la route, pleine de trous et de restes d'objets. Autour, il n'y avait rien. Plus rien, que des champs.

Ils ont huit ans. Ou peut-être plus.

Parce que les autres bâtiments semblaient avoir disparu, et il ne restait que de l'herbe, sauvage et brûlée. Il y avait même quelques arbres par-ci par-là.

« C'est impossible...Murmura Adam, Il y avait des immeubles là ! »

Joshua le regarda, sans prononcer le moindre mot. Il le prit alors dans ses bras.

« Quand est-ce que tu comprendras ?

- Comprendre quoi ? On était tous là, à table, et maintenant il n'y a plus rien !

- Je sais, Adam, je sais. »

Il se débattit et retourna à ses photos.

« Il faut qu'on finisse vite !

- Pourquoi donc ?

- Pour ne pas qu'il fasse nuit et qu'on soit seuls. »

Joshua replia alors la couverture, une larme roulant sur sa joue. Il releva un des fauteuils et tapa un peu dessus pour retirer la saleté, puis reposa la couette dessus. Il se tourna, et observa la pièce, sans rien ajouter, entendant Adam remuer derrière.

Il passa sa main contre la tapisserie, ici presque parfaite. Mais le temps était passé, et l'avait rongé, alors rien n'était complètement propre. Des livres étaient au sol, un peu derrière. Une bibliothèque était tombée. Au creux de certaines poutres se trouvaient des nids d'oiseaux, principalement d'hirondelles, un peu perdues de voir de la vie ici.

"Tu as vu Adam, il y a des oiseaux !"

Mais aucune réponse. Il n'y prêta pas attention. Il semblait si plongé dans la recherche de souvenirs qu'il semblait déconnecté, alors qu'il ne réponde pas n'était pas étrange. Mais quelque chose n'allait pas.

Joshua savait. Il savait tout, toujours. Il avait toujours eu une longueur d'avance sur Adam, peut-être parce qu'il était plus vieux d'ailleurs. Alors aussitôt, il se retourna et rejoint la salle principale, pour voir ce qui se passait.

Il pâlit de suite, et son sang sembla se figer nette. Il se jeta aux côtés de son ami qui était à terre, paupières fermées.

« Adam ? Hey, Adam, restes là, reste là ! Adam ! »

Il sortit de sa poche un téléphone, pour appeler de l'aide. Ça décrocha de suite, et une promesse au bout du fil se fit : « On arrive de suite. » Le genre de promesse qui ne peut se briser, sous aucun prétexte, aucune raison. C'est ce genre de promesse qui dure, et qui, si elle se brise, nous rend coupables, nous tue. Il hait ce genre de promesse, et pourtant, devant les yeux clos de son ami, il en a besoin. Il a besoin de savoir que les secours arrivent de suite. Les débris de verre étaient toujours là, partout, avec les restes de souvenirs

Et ils dansaient, en boucle et en boucle, dans une ronde infernale. Ils dansaient et riaient. Les après-midi pliage de bateau, les soirées maquette d'avion. Les journées au bord des lacs, les nuits dans un champ, les rires dans les cieux. Il revoyait aussi cet après-midi. Septembre 1939, journées d'été, nuits d'hiver. Cette nuit-là, où ils étaient ensemble, autour d'une table à rire. Cette nuit, où ils se sont cachés.

Cette nuit, où le silence s'est déchiré.

Cette nuit, où le silence a sifflé.

Cette nuit, où le silence a pleuré.

Cette nuit, où le silence a crié.

Cette nuit, où le silence a fusillé.

Cette nuit, où le silence a séparé.

Cette nuit, où tout s'est tracé. Les rêves se sont retrouvés, se sont concertés et ont murmuré qu'il était temps de partir. 

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