SECOND - La Cité de Demain : Partie 1
« Bienvenue à Orohapse, la cité de demain ! »
Des haut-parleurs hurlent dans toute la ville ces mots.
« Travail, santé, et confort pour tous ! »
Une propagande honteuse.
« Vous aussi, devenez citoyen de la plus grande métropole qui soit ! »
Une lobotomie infâme.
Des panneaux publicitaires, des affiches de promotion, du marketing intensif, des campagnes de vente omniprésentes. Rien à Orohapse n'était véritable. Une réalité factice, créée pour manipuler des cerveaux épuisés par le travail. Un bruit incessant, une ville super-active, un enfer moderne sophistiqué. Des tours de bureaux qui s'élevaient jusqu'au ciel, des néons et des luminaires sans formes ni couleurs. Son flux sanguin n'a de cesse de frôler la fibrillation, les poumons constamment vides, l'apnée prolongée, une survie atroce où chacun essaye de trouver sa place. Le rythme de la ville ne cesse de monter, jour après jour. Il faut produire plus, vendre plus, consommer plus. Chaque individu est perdu dans une masse informe qui prend toujours plus de place. On ne reconnaît pas plus l'autre qu'on ne se reconnaît soi-même. Soixante millions de sosies formatés, et autant d'âmes perdues qui craignent de lâcher prise.
Et c'est un jeudi, à 6 h 32 le matin, qu'explose la première bombe.
Cet homme sans histoire, sans passé ni futur, se lève comme chaque jour. Brossage de dents, un café, un long soupir, et il part pour le travail, dans le même bureau standard où il travaillera toute sa vie. Mais il s'arrête au pas de la porte de son appartement. Sa voisine hurle, on l'entend à travers les murs. Hésitant, l'homme décide finalement d'aller s'assurer que tout va bien. Arrivé devant la porte d'où proviennent les cris, il toque.
« Excusez-moi madame, est-ce que tout va bien, chez vous ? »
La femme hurle toujours. Il n'insiste pas plus, ainsi prit fin la conversation. Il est désorienté, il voulait juste aider.
C'est en descendant les marches de son appartement et en passant la porte de l'immeuble qu'il comprend, ou plutôt, qu'il constate. Du sang ruisselle sur le trottoir, une boîte crânienne fracturée et grandement ouverte. Un homme s'est jeté par sa fenêtre.
C'est bien ce jeudi, à 6 h 32 du matin, que la première bombe a explosé.
Aucune ambulance ne vint. Aucune police ne vint. Aucune aide ne fut accordée. Seulement des fonctionnaires qui emballèrent le corps et nettoyèrent à peine le sol. L'homme est désorienté, une fois encore. Il a vu ce sang, tout ce sang. Le sang qui bouillonne en chaque personne, le sang qui fuse jusqu'au cerveau et à travers le cœur.
Quelque chose s'est brisé en lui. Quelque chose a changé. Il a accepté le travail, il a accepté l'enfer, il a accepté ce mode de vie, il a tout délaissé au nom d'un confort décent dans cette ville pourrie jusqu'aux entrailles, mais qui promettait un petit paradis à tous. Si cet endroit doit être un paradis, pourquoi quelqu'un a-t-il choisi la mort à la vie ? Au milieu de la foule, les gens l'esquivent comme l'eau d'une rivière contournerait une roche. Le bruit s'amplifie. La vision se clarifie. Les oreilles sifflent. Les mains tremblent. La respiration s'approfondit. Quelque chose a bien changé en lui. Il sort ce petit stylo de sa poche. Un petit stylo rouge, avec une mine toute pointue, il est assez robuste. L'homme attrape la première personne qu'il voit, et enfonce avec calme et indifférence ce petit stylo rouge dans l'œil du passant, jusqu'au fond. Il est pris d'un fou rire, c'est si excitant, si grisant, si soudainement jouissif, le sang coule, c'est extraordinaire. La foule est si compacte, personne n'a rien remarqué. L'homme a adoré, il ne va pas s'arrêter.
C'est ce jeudi que la seconde bombe a explosé.
Et il en reste encore plusieurs millions, toutes ces bombes qui n'attendent qu'une étincelle. Juste une étincelle.
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