Chapitre 3

LÉON ET WILLIAM ÉTAIENT ASSIS SUR UN BANC, quand Camille apparut devant eux, les cheveux plus ébouriffés que jamais. Elle s'installa à côté d'eux, et Léon s'adressa à elle:

- Tu sais où je peux me procurer des cigarettes autre part que chez Mme. Ulysse, Camille ? Elle m'a attrapé en train de fumer alors que je lui avais promis que les cigarettes étaient pour mon père. Depuis, cette vieille peau refuse de me vendre le moindre paquet, et je ne peux plus compter sur toi.

Camille rigola et tendit son paquet à Léon, qu'il accepta volontiers.

- Je crois que Vincent Rodrigue vend du tabac à rouler dans son arrière-boutique. S'exclama soudain Camille après avoir réfléchi quelques secondes.

Léon acquiesça, et, après avoir terminé sa cigarette, il s'adressa autant à Camille qu'à William:

- J'ai entendu que Judith Bertrand organise une soirée chez elle. Son père est en voyage d'affaires - apparemment il a un contrat pour défendre une femme blindée accusée du meurtre de son mari - et sa mère se trouve toujours en Amérique pour le tournage d'un film de vieux, je crois.

Les grands yeux de Camille se mirent à briller, et elle commença à sauter sur place, ses cheveux volants au rythme de ses joyeux bonds. William, lui, resta de marbre. Primo, il n'aimait pas vraiment Judith Bertrand à cause d'une vieille histoire qui l'avait fait passer pour un voleur de billes, à cause de Judith elle-même qui était persuadée que Will lui avait volé ses propres billes. Secondo, toutes les fêtes auquel il participait finissaient toujours mal: un jour, une fille qui avait trop bu s'était jetée du premier étage à cause d'un pari stupide (elle avait fini aux urgences avec un tibia et un bras cassé). Et, tertio, il détestait l'odeur âcre de la fumée de cigarette qui se mélangeait avec les horribles effluves d'alcool, de vomi et de sueur, qui lui donnait systématiquement la nausée.

Mais il savait pertinemment que Léon le traînerait par la peau des fesses à cette fête s'il le fallait, sous prétexte que Will était un adolescent asocial et fastidieux qui préfèrait lire des livres de Victor Hugo ou des pièces de théâtre de Molière, ennuyeuses à mourir.

- Oh, super. Dit simplement William en feignant l'enthousiasme

Léon fit un sourire à Will - lourd de sous-entendus - avant de regarder sa montre, et de pâlir à la vue de l'heure.

- Et merde ! J'ai complètement oublié qu'il fallait que j'aille chercher de la confiture chez Mme. Lefèvre. Maman va me tuer... Hurla Léon en partant en courant chez lui sans prendre le temps de saluer Camille et William.

Camille se mit à rire, et sourit à William.

- J'espère que sa mère ne l'écorchera pas vif. S'exclafa la jeune fille en montant sur son vélo recouvert d'autocollants. En tout cas, j'aimerais bien te voir à la fête de Judith. Même si cette fille est une vraie gosse de riches, elle a le meilleur whisky de tout le village et une piscine immense !

Ce fût au tour de William de se mettre à rire, et il suivit Camille des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse derrière les petits commerces colorés.

En rentrant chez Tante Marguerite, une délicieuse odeur de brioche encore chaude fit grogner l'estomac de Will qui accrocha sa veste au porte-manteaux. Il jeta négligemment ses vieilles baskets dans l'entrée, qui claquèrent sur le carrelage que Marguerite venait de nettoyer, laissant de grosses traces de boue sur la céramique beige. 

- Marguerite ? Appela William en se rendant directement dans la cuisine où sa tante avait la moitié du corps plongé dans l'encadrement du four.

Elle releva brusquement la tête, se tapant le haut du crâne contre le rebord du fourneau. Marguerite marmonna une injure, avant de se retourner vers William.

- Qu'est-ce qu'il y a Willy ? S'enquit-elle en retirant ses gants de cuisson et en les posant près de la brioche, qui reposait sur la petite table de la cuisine.

William leva légèrement les yeux au ciel face au surnom ridicule que Tante Marguerite venait de dire, et s'assit sur la petite banquette près du mur tapissé de fausses pierres.

- Judith Bertrand organise une fête chez elle, samedi soir. Et je me demandais si je pouvais y aller. Avec Léon bien sûr. Se dépêcha-t-il d'ajouter, priant pour que Tante Marguerite refuse de le laisser y aller pour y échapper.

Il ne mentionna pourtant pas Camille, sachant pertinemment que Marguerite chercherait absolument à l'inviter à la ferme, comme elle l'avait fait avec Léon.

- Ma mère aurait dit "Tu ferais mieux de nourrir les poules, plutôt que de te t'occuper de ces sottises". Mais mon père, lui, aurait plutôt penché sur cette réponse "La vie est courte, autant consacrer son temps à vivre pour des choses frivoles". S'exclama Tante Marguerite en ne donnant aucune véritable réponse à Will.

- Et donc ? Demanda le brun en commençant à s'impatienter, ses doigts pianotant sur son genou gauche.

- Alors choisi la réponse qui te convient. Soupira Marguerite en coupant une tranche de sa brioche pour voir si celle-ci était assez cuite.

- Je suppose que je devrais choisir celle de Papi Gilles... Décida William en embrassant sa tante sur la joue et de monter dans sa chambre en traînant les pieds dans les escaliers.

Il resta allonger tout l'après-midi sur son lit à lire Le Crime de l'Orient-Express, son poste radio allumé. Tante Marguerite l'appela pour venir manger, et William dévora ses pâtes à la ratatouille, en prenant bien garde à écarter les courgettes du plat.

Il souhaita bonne nuit à Marguerite, qui feuilletait le journal local d'un œil distrait, et repartit dans sa chambre en se faufilant sous sa couette. Au moment où il faillit tomber dans les bras de Morphée, quelque chose frappa la vitre de sa chambre. William l'ignora une première fois, mais le bruit recommença, et le jeune homme finit par se lever, bougon.

Il ouvrit sa fenêtre, et reçut en pleine face une poignée de graviers. Il cracha un juron, tout comme sa tante l'avait fait récemment, et jeta un coup d'œil en bas, espérant apercevoir son agresseur malgré la nuit noire, éclairée seulement grâce aux étoiles.

- Hé ! Psst ! Voltaire ! Chuchota une voix féminine qu'il connaissait bien.

William se frotta le visage pour enlever toute trace de fatigue, et chercha sa lampe torche dans le tiroir de sa table de chevet. Quand il l'eut trouvé, le brun éclaira l'allée de la ferme, et la braqua sur Camille. La jeune femme était vêtue d'un gros blouson en cuir, un jean troué délavé, et une chemise quasiment déboutonnée à motifs géométrique de toutes les couleurs.

- Il est deux heures du matin, Camille ! Marguerite pourrait t'entendre ! Elle a un fusil de chasse caché dans son armoire. Murmura Will, assez fort pour que Camille puisse l'entendre d'en bas.

- Justement ! C'est le moment idéal pour une balade nocturne en forêt ! J'aimerais te montrer quelque chose. S'expliqua Camille en esquissant un sourire malicieux.

William fronça les sourcils. Une balade à vélo dans la forêt en pleine nuit ? Qu'est-ce que Camille pouvait bien avoir en tête ? Cependant, Will enfila un tee-shirt et un pull qui grattait trouvé à la va-vite dans sa commode aux tiroirs rouillés, et rejoignit Camille dehors après avoir fait un tas de coussins dans son lit si jamais Tante Marguerite venait à vérifier que son neveu dormait bien.

- Je vais chercher mon vélo dans la grange, et j'arrive tout de suite. Dit Will en guise de salut.

Camille remonta sur son vélo, et attendit que William revienne sur le sien, qui ressemblait plus à une épave qu'à un véritable vélo. La métisse retint un petit rire narquois, et alluma sa lampe torche. Will fit de même.

Ils roulèrent longtemps en silence sur les petites routes de campagne de St-Louis, passant devant des champs de blé et de maïs, des petits commerces de la place et des maisons en pierres des plus modestes.

Les deux adolescents pénètrent dans une forêt aux grands chênes que William pouvait voir depuis sa chambre, et arrivèrent enfin devant un petit lac éclairé par de petites lucioles. Will demeura muet de stupeur devant ce paysage splendide qui s'étalait devant eux.

Au bout d'un moment, quand il eut fini sa contemplation, William se tourna pour faire face à Camille.

- Tu vas me dire que tu n'as jamais emmené personne dans cet endroit ? Se moqua gentiment William.

Camille sourit.

- C'est Léon qui m'a montré cet endroit. Et c'est Victor lui-même qui lui a montré. Rigola la brune en s'asseyant sur le sol couvert de mousse, les bras croisés sur sa poitrine.

William se mit lui aussi à pouffer, et les deux rires des adolescents résonnèrent dans la forêt, faisant écho à toute l'insouciance de l'enfance qui prenait doucement fin quand elle attrapait la main tendue du monde des adultes.

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