Chapitre 17
CAMILLE SORTIT DE LA SALLE D'AUDIENCE du tribunal, légèrement secouée. Son avocat lui avait promis de la faire sortir de prison à la prochaine audience, mais maintenant, elle en doutait.
Sa mère, elle, avait été indemnisée presque aussitôt. Elle avait vite été graciée grâce aux nombreuses preuves qu'elle avait données en témoignant des horreurs qu'Émile lui avait infligées: prostitution forcée, rendue accro à la drogue et à l'alcool pour échapper à ses souffrances, et victime de violences conjugales qui l'avaient brisées.
Le juge l'avait envoyé dans un centre de désintoxication qui, en même temps, l'accompagnerait pour se remettre doucement de ses traumatismes.
Camille aussi pensait qu'en témoignant son calvaire à de nombreux journaux l'aiderait à éviter d'être mise derrière les barreaux, mais le juge semblait convaincu que ce n'était qu'une petite menteuse. Mais Camille savait bien que la famille d'Eliott lui graissait allègrement la patte pour s'assurer que Camille resterait en prison pour de nombreuses années à venir.
De son côté, William luttait avec Tante Marguerite pour faire sortir Camille, sans grand succès. Tout St-Louis, à l'exception de Léon et Victor, toujours enfermés à l'hôpital, était convaincu que Camille était une meurtrière ayant tué de sang-froid son beau-père et étranglée Eliott Cadbury.
Tout en pensant à Camille, Will ruminait depuis maintenant plus de deux heures sur son lit, une musique de Kiss hurlant à travers sa radio toute neuve. Dans une semaine, il repartirait à Paris pour finir sa dernière année de lycée, passer le bac et entamerait des études de droit comme son père l'avait prévu. Une vie maussade, loin de St-Louis, loin de Marguerite et de ses doux câlins, loin de Léon et de son humour un peu douteux, mais surtout, loin de Camille et de ses grands yeux rebelles et son esprit libre.
- WILLIAM ! Cria Tante Marguerite du salon.
William soupira, et se leva de son lit pour aller éteindre la radio en traînant des pieds. La voix de Paul Stanley s'évanouit quand Will appuya sur le bouton on/off. Le calme habituel reprit le dessus dans la chambre de Will, et en partant, il prit bien soin de claquer la porte derrière lui.
- Une certaine Violette est à l'appareil. Elle veut te parler. Dit Tante Marguerite en tendant le téléphone fixe à William.
Il prit le combiné des mains de Marguerite en la remerciant vaguement, et le colla à son oreille, avant de partir s'enfermer dans la chambre d'amis du bas.
- Allô ? C'est toi Violette ? Demanda William en s'affalant sur le lit-bateau grinçant.
Il s'enfonça profondément dans le matelas.
- Bah oui, banane. Ta tante vient de te dire que c'est moi. Rigola Violette à l'autre bout du fil.
William ne pût s'empêcher de laisser échapper un petit rire.
- Bref. D'habitude, je n'appelle personne durant les vacances.
- En période scolaire non plus. Rétorqua William en haussant un sourcil, un sourire en coin.
- Oui bon... Laisse-moi finir, c'est important ! Ce que je voulais te dire, c'est que tu es la star du journal de Paris et toutes les autres villes alentour. Enfin, surtout cette certaine Camille, mais toi aussi ! Il y a une espèce de mouvement où les gens protestent qui s'appelle Justice pour Camille ou un truc dans le genre. Si tu veux que Camille soit libérée, il faut que tu fasses passer le message à St-Louis et dans les alentours.
- Mais comment ? Tout St-Louis est persuadé que Camille a volontairement tué son beau-père.
- Imprime le témoignage de Camille sur des affiches et distribue-les chez les gens ? Mais bouge-toi un peu, Will, sinon il sera trop tard.
- Merci, Vio. On se revoit bientôt.
- Bisous Will !
William raccrocha, réfléchissant à toute allure. Violette n'avait pas tort, il fallait montrer à tout le monde que Camille n'est pas une meurtrière en leur faisant lire le calvaire qu'elle avait enduré toutes ces années, que ça plaise ou non aux Cadbury.
Seulement, ni Tante Marguerite ni Assane n'avait d'imprimante. Et la mère de Léon avait horreur de tout ce qu'il se rattachait à la technologie. Dans tout St-Louis, William ne connaissait qu'une personne possédant une imprimante: Judith Bertrand.
William jeta son vélo dans la pelouse impeccable des Bertrand. Il remonta la petite allée de béton jusqu'au perron de la porte d'entrée, et respira un bon coup avant de sonner avec insistance sur la sonnette. Quelques secondes plus tard, une femme d'âge mûr vêtue d'un uniforme noir et blanc recouvert par un tablier rouge impeccable vint ouvrir à William. Elle le dévisagea des pieds à la tête, avant de s'adresser à lui d'un ton particulièrement hautain.
- Que puis-je faire pour jeune homme ?
- Je viens voir Judith. Nous... nous avons un travail en commun. Inventa rapidement William, croisa les doigts derrière son dos.
La domestique haussa un sourcil, l'air moqueur.
- Ah oui ? En pleines vacances d'été ?
William ferma les yeux, et serra les dents. Quel imbécile ! Pensa-t-il.
- Je vous souhaite une agréable journée, jeune homme. Et, à l'avenir, soyez plus inventif, en matière de mensonge. Riquana la femme en lui faisant un clin d'œil, un sourire goguenard collé sur son visage.
Et, avant que William ne puisse rétorquer quelque chose, elle lui claqua la porte au nez. Il jura dans sa barbe quelques minutes, avant partir dans l'allée en traînant des pieds. Mais, alors qu'il s'apprêtait à dépasser le grand portail en fer forgé, il eut soudain une idée en voyant de petits cailloux dispersés autour de belles tulipes rouge sang. Il en prit une grosse poignée, laissant une marque dans les graviers, avant de s'élancer vers le derrière de la maison aussi discrètement que possible. Il contourna l'immense villa jaune, et s'arrêta devant un petit balcon en pierre. Derrière la grande baie vitrée, Judith se trouvait assise derrière son bureau, écrivant dans un joli journal aux pages jaunies.
William respira pour faire ralentir les battements de son cœur, et lança aussi fort que possible un caillou sur la vitre... sans grand succès. Le petit caillou rebondit sur la pierre du balcon, avant de retomber piteusement sur la pelouse. William retenta sa chance, et, cette fois-ci, le petit caillou s'éclata contre la vitre, et Judith redressa brusquement la tête. Celle-ci se releva de sa chaise, et ouvrit la porte coulissante. Elle fronça les sourcils en voyant Will sous son balcon, avant qu'un sourire ne vienne fendre son visage.
- Oh, salut William. Qu'est-ce que tu fais là ? Le salua-t-elle d'un petit geste de la main.
- Je peux monter ? Il faut vraiment que je te parle. Lui demanda William, une main sur son cœur, essoufflé.
- Oui, oui. Bien sûr. Tu peux essayer de grimper par la gouttière. J'ai mis des petits bouts de fer sur le côté. Et, avant que tu me demandes pourquoi, oui, je fais le mur pour aller faire la fête. Mais c'est tellement, tellement palpitant ! Tu peux pas savoir combien c'est incroyable de braver les règles de mes parents et de Vanessa ! S'exclama Judith, des étoiles dans les yeux.
William rigola légèrement, avant de commencer à escalader la gouttière. À bout de souffle, il tomba à plat ventre sur la surface plate du balcon, son cœur à deux doigts d'exploser. Judith l'aida à se relever, et une fois que William eût repris son souffle, les deux adolescents rentrèrent à l'intérieur. Judith passa devant son bureau, et referma son journal, avant de se tourner vers Will.
- Qu'est-ce que tu es venue me dire ? Demanda-t-elle à William en s'asseyant sur son lit.
- Lis ça s'il te plaît. Dit simplement William en lui tendant un journal tout froissé où une photo de Camille souriant à l'objectif prônait en première de couverture.
Judith fronça les sourcils, prit le journal des mains de William, avant de se plonger dedans, ses yeux défilants à toute allure de haut en bas. Quand elle eût enfin fini sa lecture, elle reposa lentement le journal à côté d'elle, et regarda Will dans les yeux.
- Qu'est-ce que tu veux que je fasse, William ? Je... J'aurais dû me renseigner avant de la juger...
Judith avait murmuré la dernière plus pour elle que William.
- Tu as une imprimante ? Il faudrait imprimer beaucoup exemplaires de cet article, pour montrer aux gens que Camille est innocente. Que le juge est payé par les Cadbury.
Judith hocha la tête de haut en bas, prit l'article de sa main gauche, avant de partir en silence dans le bureau de sa mère. William décida de rester dans la chambre pour ne pas la déranger, mais, manquant un peu d'air, il décida de partir prendre l'air sur le balcon. Une fois sur le balcon, il se plongea dans ses pensées, avant qu'un mouvement dans la maison d'en face n'attire son regard. Il releva la tête en directement de la chose qui avait retenu son attention, et se rendit compte que ce n'était ni plus ni moins la maison d'Eliott.
Une femme brune élégamment habillée, l'air sérieux, tenait dans sa main une grosse liasse de billets. A côté d'elle se trouvait un homme légèrement plus jeune, discutant avec un petit grassouillet et chauve. Et cet homme-ci lui rappelait quelque chose. Il se creusa la tête quelques secondes en cherchant désespéramment qui il était. Et soudain, cela lui revint en tête: le juge chargé de s'occuper de l'affaire de Camille.
Le cœur de Will se remit à taper violemment dans sa cage thoracique. Si fort qu'il entendait chacun de ses battements. Il réfléchit à toute allure: c'était la chose dont il avait besoin pour faire sortir Camille de cet enfer.
Il détailla la chambre de Justine sous toutes les coutures, avant de trouver un appareil photo dernier cri à moitié dissimulé derrière un tas de vêtements. Il s'accroupit vivement pour le prendre, et l'alluma précipitamment. William se hâta de repartir sur le balcon, et de positionner l'appareil sur son œil droit. Et c'est au moment où l'appareil décida enfin à s'allumer, que la femme brune - sûrement la mère d'Eliott - remit à contrecœur la grosse liasse de billets. Malgré ses mains moites et tremblantes, William appuya sur le bouton de l'appareil, et un petit bruit grésillant lui indiqua que le cliché avait bien été prit.
C'était maintenant sûr: Camille allait sortir de prison.
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