Chapitre 14

Trois ans plus tôt: Camille

Allongée sur son lit défait, Camille essayait de dormir à tout prix. Tout son corps souffrait, hurlait de douleur. Pour une fois, elle n'avait même pas pris la peine de panser ses plaies, par peur de découvrir de nouveaux bleus et de blessures qui deviendraient bientôt des cicatrices. Depuis maintenant une heure, sa mère et son beau-père hurlaient dans la cuisine. On pouvait entendre des assiettes se briser, et des casseroles s'entrechoquer violemment.

Camille rejeta sa tête en arrière. Son mascara lui collait aux joues, et son nez coulait. Elle osa jeter un regard à sa jambe gauche qui lui faisait un mal de chien. Du sang presque brun suintait d'une grosse plaie où de la chair avait était arrachée. À la vue de cette affreuse blessure, Camille se retourna précipitamment sur son lit, et rejeta sa tête sur le côté libre de son lit pour vomir.

Son corps la brûlait horriblement, et, à chaque mouvement, lui criait de tout arrêter, qu'il ne supporterait pas de nouveaux coups. De nouveaux hauts le cœur la secouèrent. Son bleu à la joue lui faisait atrocement mal à chaque évacuation, comme un coup de poignard dans le visage.

Camille aurait voulu prier pour que tout s'arrête. Seulement, cela faisait longtemps qu'elle ne croyait plus en Dieu. Qu'elle avait arrêté de rêver et de croire que sa vie deviendrait normale. Elle resterait toujours douloureuse. Pour toujours.

- CAMILLE ! Hurla Émile, son beau-père, depuis la cage d'escalier.

De nouveaux sanglots la secouèrent. Elle vomi de nouveau, et s'accrocha à ses vieux draps sales, comme s'ils pouvaient la protèger de ce toxicomane.

- CAMILLE ! Répéta Émile, de sa voix roque qui effrayait l'adolescente.

Camille essaya de se relever, mais ses jambes refusaient de lui obéir.

- S'il-vous-plaît... Je vous en supplie... Sanglota la brune en direction de ses jambes.

Des pas retentirent dans les escaliers. Camille hurla à l'intérieur d'elle-même, pour intérioriser sa terreur et sa colère. Si seulement elle réussissait à descendre de ce foutu lit, et à fermer ce verrou. Elle pourrait sauter de la fenêtre, et essayer d'attraper le premier bus et...

Non. C'était impossible. Elle n'avait pas un sou, puisqu'Émile lui volait toutes ses économies, et, surtout, s'il la retrouvait, ce serait la fin. Alors elle endurerait encore les coups, les insultes, et les mains sales de cet homme sur son corps jusqu'à que tout ce termine enfin.

- Camille... Quand je t'appelle tu es censée venir, ma jolie... Dit Emile en prenant sa fausse voix mielleuse, s'humectant les lèvres avec sa langue. 

Camille détourna le regard. Si elle pleurait, c'était la fin. Il voudrait la "consoler", tout en la maintenant clouée sur le lit, une main sur son cou tâché de bleus violacés. Emile referma la porte derrière lui.

C'était un homme aux cheveux longs, gras et bruns. Il ne se rasait que très peu, et les rares fois où il le faisait, c'était Camille qui devait s'en occuper. A cause de l'héroïne et de la cocaïne, il avait les yeux vitreux et la peau cadavérique. Elle était si blanche que, la nuit, Camille le confondait avec un zombie. C'était grâce à son imagination sans limites que son quotidien était moins douloureux.

Elle transformait ses maigres peluches en de braves chevaliers, devenait pendant un court instant une jolie princesse qui ordonnerait à son peuple de mettre Emile sur le bûcher. Et parfois, elle s'autorisait à s'imaginer qu'un prince charmant la délivrerait de cet enfer. Sauf que ce prince charmant n'était jamais arrivé.

 Comme d'habitude, Emile était affalé sur le canapé du salon, en train de remplir une seringue d'héroïne. La mère de Camille n'était pas encore rentrée, sûrement encore trop occupée à essayer de séduire des hommes, tous plus riche les uns que les autres, pour obtenir quelques pauvres billets, et fournir Emile en drogue, comme il le lui avait demandé.

Le bourreau reposa sa seringue une fois le contenu injecté dans sa peau. Une vague de chaleur lui réchauffa instantanément le corps, à la vitesse de la lumière. Sa bouche devint vite pâteuse et sèche, et, comme Camille s'occupait toujours de la vaisselle à cette heure là, il lui cria de lui apporter de l'eau.

Camille avait attendu cette question toute la journée, les mains tremblantes de peur, mais, surtout, d'impatience. Aujourd'hui, elle partirait. Loin d'Emile, loin de sa mère, loin de ce taudis, et surtout, loin de ce quotidien pourri et toxique.

Elle sortit de sa poche la boîte de somnifères, et, son cœur accélérant rapidement dans sa cage thoracique, versa huit petits cachets blancs dans sa main.

- Pour une fois, Emile, c'est moi qui contrôle... Murmura Camille, un léger sourire tremblant collé sur son visage trempé de sueur.

Elle expira bruyamment, et sortit de la cuisine, légèrement chancelante. Camille tendit le verre d'eau à Emile, qui avait un teint blanchâtre, à cause de l'héroïne. Brusquement, quand sa main effleura celle de Camille, brune et couverte d'hématomes, la jeune fille l'imagina en zombie, essayant de dévorer tout ce qu'il restait de son corps. Elle eut un léger mouvement de recule, et Emile sursauta. De ses affreux yeux vitreux, il regarda intensément Camille, avant de reposer son verre d'eau. Heureusement, il avait tout bu jusqu'à la dernière goutte. Camille avait peur qu'il ne repose le verre en n'ayant bu que la moitié.

Sachant que les somnifères prendraient vingt minutes à agir,  Camille se dépêcha de monter  dans sa chambre pour vérifier qu'elle avait pris toutes ses affaires: sac à dos rempli de barres chocolatées, de paquets de chips et de deux bouteilles d'eau. Un vieux pull raccommodé, une paire de chaussettes et de sous-vêtements. Et le plus important de tous, un ticket de bus allant de Marseille à St-Louis, là où se trouvait son père.

Quand son horloge annonça 23h30, elle descendit à pas de loup les escaliers, son sac sur le dos. Ses entrailles se serraient de peur et d'excitation. Cela faisait longtemps, que le sentiment d'excitation ne l'avait pas contaminé. Pas depuis que son père lui avait offert son vélo rose flambant neuf pour ses douze ans.

Camille enfilait ses baskets, quand soudain, la serrure de la porte émit un léger cliquetis. Le cœur de Camille fit un bond dans sa poitrine. Violemment, brutalement, comme un réveille brutal après un rêve si doux. La jeune adolescente jetta son sac de provisions sous le buffet de l'entrée, et retira précipitamment ses baskets. Sa mère apparût sur le seuil de la porte, en habituelle tenue de travail, de grosses cernes sous ses yeux maquillés à outrance. Comme Emile, on aurait dit une morte-vivante, mais sans cet aire cruel.  Elle posa un regard fatigué sur Camille, les pupilles voilées par la tristesse et la solitude.

- Tu n'es pas au lit ma chérie ? Demanda sa mère en laissant échapper un bâillement étouffé, retirant de sa frêle épaule la anse de son sac à main en fausses écailles de crocodile.

- Je... J'arrive pas à dormir... Souffla Camille, le cœur battant à mille à l'heure.

- Tu devrais aller te coucher mon poussin.

Sa mère retira ses hautes talons, et fit claquer un bisou sur la joue de Camille, avant de disparaître dans le salon. Camille se remit à respirer, avant qu'un cri aiguë ne lui mette la chair de poule. Elle se précipita dans le salon, et constata avec horreur que le corps d'Emile gisait sans vie sur le plancher crasseux du séjour, les yeux révulsés.

- Je voulais pas maman... J'te jure... Dit Camille, se mettant instantanément à pleurer.

- Il faut que tu partes. Je m'occupe de tout cacher. Ordonna sa mère, sans le moindre sanglot.

Camille resta figée sur place quelques secondes, avant de partir dans l'entrée en courant, d'enfiler ses vieilles baskets, de balancer son sac sur son dos, et d'ouvrir avec une certaine hésitation la porte d'entrée. Elle monta sur son vieux vélo rose, et pédala avec force jusqu'à l'arrêt de bus, où le véhicule rouge et bleu attendait, le moteur allumé. Elle montra son ticket au chauffeur, laissa son vélo dans le coffre du bus, et s'assit sur un siège en velours, laissant sa tête reposer sur la vitre, son souffle faisant de la buée sur le verre rayé.

Quand le bus démarra, Camille repensa à sa mère, le corps d'Emile, et à son père. Celui qui se battait corps et âme pour récupérer sa garde. Les bâtiments défilant, les lumières des maisons s'éteignant petit à petit, Camille osa rêver pour la première fois à un nouvel avenir resplendissant de gaité et d'amour.

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