Chapitre 9 - Turnstal

— La dernière fois que je suis venu ici, c'était à l'occasion d'un festival de danses traditionnelles. Les gens savent à peu près se tenir en début de soirée, mais passé vingt-deux heures, ils sont tous plus ivres les uns que les autres ! J'ai reçu dix demandes en mariage en l'espace de cinq heures, certaines femmes étaient prêtes à me traîner devant l'autel avant le lever du jour !

Eleanor gloussa, alors que James achevait sa tirade. Ils ne se trouvaient plus qu'à quelques lieues de Turnstal, leur destination finale. C'était ici que les Rhodebrookes avaient établi leur quartier général, depuis lequel ils géraient leurs affaires.

— Vous auriez dû en profiter ! lança Philip, le soldat qui était assis à l'arrière de la charrette. J'ai un ami qui a accepté l'offre d'une demoiselle, lors d'une beuverie ! Figurez-vous que la mariée appartenait à l'une des plus riches familles de la Terre du Saphir !

— J'espère pour lui qu'elle ne l'a pas obligé à aller vivre dans sa région ! ricana James. Les fjords, les glaciers et je ne sais quoi... Très peu pour moi !

— Je ne sais pas comment font les loups du Saphir pour vivre là-bas, renchérit Eleanor. Déjà que j'ai du mal à me faire au climat d'ici...

Lorsqu'elle entendait dire qu'il pleuvait toujours sur la Terre du Topaze, elle croyait qu'il s'agissait d'un simple cliché. Or depuis qu'ils y avaient mis les pieds, un crachin permanent leur tombait dessus. Couplée au vent frais qui leur fouettait le visage, la pluie transformait leur voyage en véritable périple. Heureusement, les bourrasques avaient le mérite de chasser les nuages, ce qui leur permettait d'entrevoir des morceaux de ciel bleu.

— J'avoue que la Terre du Diamant est plus agréable et tempérée, admit James, mais...

— Eh ! les héla Rowan depuis le véhicule de derrière. Quand vous aurez fini de parler de la pluie et du beau temps, vous penserez peut-être à vous arrêter !

Eleanor tira sur les rênes, que l'ambassadeur du Topaze avait consenti à lui confier. Les chevaux gris s'immobilisèrent immédiatement, ravis que leur marche soit terminée.

— Nous allons nous installer dans le pré juste à côté de cette petite route, leur annonça le Grand Alpha. D'après ma carte, il est public et appartient à la région. Vous confirmez, James ?

L'interpellé consulta sa propre carte, si chargée de gribouillis qu'elle ressemblait à un dessin d'enfant. Une fois certains qu'aucun propriétaire n'allait les chasser du pré à grands tirs d'arbalète, ils y libérèrent les chevaux. Ceux-ci partirent aussitôt en direction d'une petite rivière, dans laquelle ils purent s'abreuver à leur aise.

Une lumière orangée filtrait à travers les nuages, signe que le soleil était en train de se coucher. Les prairies et collines verdoyantes prenaient une drôle de teinte, créant un étrange mélange d'ombres et de lumière. Eleanor se perdit un instant dans la contemplation du jour déclinant, avant que de l'agitation ne la ramène à la réalité. Rowan et Winona étaient en train d'ériger une tente, tandis que les deux autres soldats aménageaient un foyer pour le feu.

Elle vit Clark fouiner dans l'une des charrettes, avant d'y trouver une petite casserole, perdue au fond d'un sac. Il y versa le contenu d'un bocal en verre, à savoir une bouillie peu appétissante.

— J'en veux pas, se plaignit Marcus d'une toute petite voix. Pas bon.

La louve ne pouvait pas le contredire. La veille, ils avaient acheté ces conserves dans une épicerie, mais tous avaient failli vomir rien qu'à la première bouchée.

— Je sais bien, soupira le Grand Alpha, l'air coupable. Si tu en manges un peu ce soir, j'irai te trouver demain le gâteau que tu voudras.

Le petit garçon ne répondit rien et s'assit tristement dans l'herbe, en attendant que son repas puisse être cuit. Eleanor songea que son père s'avançait peut-être un peu trop, en lui promettant un gâteau pour le lendemain... La pleine lune avait lieu cette nuit, et dès l'aube, la plupart d'entre eux se rendraient à Turnstal.

S'ils réussissaient à atteindre le repaire des Rhodebrookes, nul ne pouvait prévoir comment cette confrontation se déroulerait...

Pendant les heures qui suivirent, tous se préparèrent à leur transformation imminente. Eleanor se vit octroyer un sac avec des bretelles forgées en un métal spécial : le lumyx. Ses propriétés surnaturelles lui permettaient de s'adapter à la forme des loups lors de leur mutation. Ainsi, les lycanthropes pouvaient ranger des vêtements de rechange dans le sac, sans craindre de le perdre, même sous leur forme animale.

Le lumyx servait également à forger les bagues que les loups portaient sur eux en permanence. Les pierres renfermaient un pouvoir qui atténuait la douleur lors des transformations, ce qui les rendait quasiment indispensables. Grâce à ce métal particulier, les anneaux s'adaptaient à leurs pattes et ne risquaient pas de s'échapper au cours de la nuit.

— James, vous êtes certain de ne pas pouvoir rester avec nous ? s'enquit Clark peu avant minuit.

Le loup du Topaze était en effet sur le point de s'éloigner, son sac déjà juché sur le dos.

— Je préfère ne pas prendre de risques. Je suis désolé de vous abandonner, mais je ne suis vraiment plus moi-même lorsque je me transforme. Je ne veux faire de mal à aucun d'entre vous.

Au cours du trajet, il leur avait fait part des problèmes qu'il éprouvait pour gérer ses pulsions animales. Quand il devenait un loup, il pouvait faire preuve d'une grande agressivité envers ses semblables, même s'il s'agissait de ses amis. Il se montrait si gentil sous sa forme ordinaire que cela était difficile à concevoir. Cependant, Eleanor savait qu'il n'était pas un cas isolé. Il n'était pas rare d'entendre le récit de loups s'étant battus jusqu'à la mort, ravagés par leurs instincts les plus primitifs.

James leur souhaita une bonne nuit, puis les quitta avant qu'il ne soit trop tard.

— Je resterai avec Judith et Marcus pendant une bonne partie de la nuit, annonça Clark. Vous n'aurez qu'à tous aller courir où bon vous semble, puis nous nous retrouverons à l'endroit convenu.

— Vous devriez aller avec eux, intervint doucement la gouvernante. Je resterai éveillée pendant que Marcus dormira, je surveillerai que personne ne vienne et...

— Hors de question que vous passiez la nuit sans dormir, l'interrompit le Grand Alpha. Vous vous reposerez et je monterai la garde.

La jeune femme ouvrit la bouche pour protester, puis se ravisa. Comme elle était une Neutre, la pleine lune n'aurait aucun effet sur elle et elle resterait tranquillement avec Marcus. Ce dernier, bien qu'il soit un loup-garou, ne se transformerait pas non plus. Les lycanthropes ne connaissaient leur première mutation qu'après leur dixième anniversaire, et le petit garçon n'en avait que trois à son compteur.

Un peu avant minuit, chacun s'isola pour retirer ses vêtements. Eleanor attendit patiemment que ses os commencent à craquer, ce qui ne tarda pas à se produire. Il y a douze ans, lors de sa toute première transformation, elle avait bien cru que la douleur allait la tuer. Désormais, elle ne ressentait que de légers picotements, qui ne perdurèrent que pendant une minute. Elle eut à peine le temps de voir un magnifique pelage brun pousser sur sa peau que déjà, elle avait pris sa forme animale.

La louve s'ébroua un peu, puis s'assura que son sac était toujours en place sur son dos. Les bretelles métalliques en lumyx s'étaient parfaitement adaptées à son nouvel aspect, tout comme les bagues qui ornaient chacune de ses pattes. Les deux rubis brillaient d'un puissant éclat, tout comme ses yeux, dont les iris s'étaient teintés de rouge.

Lorsqu'elle trotta vers le campement pour retrouver les autres, elle vit d'abord un loup au pelage noir, sagement assis devant la tente de Marcus et Judith. En se concentrant, elle distingua une espèce de halo argenté entourant sa silhouette. Son éclat éblouissant permit aussitôt à Eleanor de l'identifier : il s'agissait du Grand Alpha.

Étant donné qu'il appartenait à la meute du Diamant, ses iris se paraient du plus éclatant des gris argent. Sous leur forme animale, les yeux des loups-garous prenaient effectivement la teinte associée à la pierre de leur meute.

Clark la fixa pendant quelques instants, puis d'un mouvement de tête, lui désigna la prairie derrière eux. Il l'encourageait à aller courir, et à vrai dire, c'était tout ce que la louve souhaitait. Elle ressentait des élancements au niveau de ses pattes, lui donnant une irrésistible envie de filer à toute vitesse. Le Grand Alpha devait éprouver la même chose, pourtant aucun trépignement ne l'agitait. La nécessité de protéger son fils était plus grande que son besoin de courir, lui permettant ainsi d'y résister.

Eleanor ne s'attarda pas plus longtemps et s'élança en direction de la prairie. Comme elle ne connaissait pas trop les lieux, elle avait pour ordre de ne pas s'éloigner des routes menant à Turnstal. Celles-ci n'étaient pas difficiles à repérer, puisqu'elles serpentaient toutes en direction de l'est, là où le soleil se lèverait.

La louve courut seule pendant quelques minutes, avant de repérer ses quatre autres congénères. Elle les rejoignit et sans nul besoin de se concerter, ils entamèrent une course effrénée. La légère pluie ne leur posa aucun problème, rafraîchissant leur museau alors qu'ils filaient dans le vent. Se défouler dans une forêt était toujours plus agréable, les odeurs des arbres et de la mousse éveillant tous leurs sens, mais les prés qu'ils traversaient offraient un excellent terrain de jeu.

Après avoir passé la plupart de ses dernières pleines lunes enfermée, Eleanor se sentait plus libre que jamais. À chaque foulée et à chaque saut, elle réalisait qu'elle ne se trouvait plus dans sa tour. Elle aurait voulu s'éloigner de cette dernière le plus possible, quitte à rejoindre l'océan et y plonger. Lorsqu'elle était sous sa forme animale, plus rien ne lui paraissait impossible. Toutes ses peurs s'envolaient, lui donnant l'impression de pouvoir tout accomplir.

Les heures défilèrent sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte. Passer toute sa vie en tant que véritable louve ne l'aurait pas dérangée. Se laisser guider par son instinct rendait les choses beaucoup plus simples, sans que mille tergiversations ne viennent lui embrouiller l'esprit.

Malheureusement, l'aube approcha et les loups trottèrent jusqu'à un petit espace boisé. Si leurs repères ne leur avaient pas fait défaut, il s'agissait de l'endroit où Clark devait les retrouver. Quand les rayons du soleil commencèrent à percer l'obscurité, Eleanor se cacha derrière un arbre et s'empressa de se rhabiller. Lorsqu'ils reprenaient leur forme ordinaire, les loups se retrouvaient sans le moindre vêtement, ce qui justifiait la présence de leur sac. S'ils étaient certains de pouvoir rentrer chez eux à temps, ils pouvaient se passer de prévoir des habits de rechange, mais peu osaient prendre un tel risque...

Les autres lui signalèrent bientôt qu'ils étaient prêts, ce qui lui permit de sortir de sa cachette. Après avoir couru si vite et s'être sentie si bien pendant des heures, revenir à sa condition habituelle lui faisait toujours étrange.

— Bien, j'espère que vous êtes assez en forme pour ce qui nous attend, déclara Clark en finissant de boutonner sa veste bleue. Nous serons à Turnstal d'ici quinze minutes de marche.

Tous se mirent en route et suivirent un petit chemin boueux. Celui-ci n'était praticable qu'à pied, ce qui leur évita de croiser des véhicules. Ils ne tombèrent que sur des fermiers, Neutres pour la plupart, qui se rendaient déjà auprès de leurs moutons.

Quand Turnstal se profila à l'horizon, le Grand Alpha marqua une pause.

— Veillez à ce que vos armes ne se remarquent pas, leur rappela-t-il. Et essayez de conserver une attitude naturelle.

Eleanor avait emporté trois poignards avec elle : l'un était caché dans l'une de ses bottines, tandis que les deux autres se trouvaient au fond des poches de sa robe. Les lames de ces derniers étaient en argent, prêtes à entailler le premier loup-garou qui chercherait à les embêter. L'arme nichée dans sa chaussure était en bois, au cas où ils auraient également affaire à un vampire. Ils avaient certes choisi de confronter les Rhodebrookes en plein jour, mais la présence d'un immortel à l'intérieur de leur antre n'était pas exclue.

En apparence, Turnstal était un village ordinaire. La couleur grise du ciel semblait avoir déteint sur les façades, et certaines toitures auraient mérité de bonnes réparations. Hormis quelques enfants, peu d'habitants vagabondaient dans les rues. Les lycanthropes devaient être en train de se reposer, ou de manger.

Pour sa part, Eleanor se sentait au meilleur de sa forme. Elle n'aurait certes pas refusé un petit croissant, mais sa transformation ne l'avait pas tellement fatiguée. Au contraire, elle se sentait plus que prête à affronter ce qui les attendait... même si elle ignorait exactement de quoi il s'agissait.

— Nous allons nous séparer ici, décréta Clark en les attirant dans une ruelle déserte. Le repaire des Rhodebrookes est à deux rues de là.

Il leur montra discrètement une petite carte du village, qu'ils avaient déjà étudiée la veille.

— Eleanor et Mathias, vous viendrez chez eux avec moi. Nous nous ferons passer pour des personnes intéressées par leurs services et chercherons à soutirer des informations sur leurs activités.

Les deux concernés acquiescèrent, mais Rowan intervint :

— Je veux y aller aussi.

Le Grand Alpha leva les yeux vers lui et parut retenir un soupir.

— Nous en avons déjà discuté, lui rappela-t-il d'un ton indulgent. Je préfère ne pas t'impliquer dans cette première partie de la mission.

Le regard appuyé qu'il lui adressa finit par faire fléchir Rowan. La louve eut l'impression de ne pas tout saisir, se demandant bien quelles raisons poussaient Clark à contrarier son ami.

— Winona, Philip et Rowan, vous resterez en embuscade à l'angle de la rue des Rhodebrookes. Circulez un peu pour ne pas avoir l'air suspects, mais ne vous éloignez pas trop. Si vous entendez du grabuge, ou si notre entretien dépasse trente minutes, vous viendrez en renfort.

Les deux soldats approuvèrent, tandis que Rowan demeura muet, la tête baissée vers le sol. Mathias et Eleanor commencèrent à s'éloigner, mais le Grand Alpha s'attarda quelques secondes auprès de son ami. Il lui murmura des paroles qu'eux seuls purent entendre, puis Clark rejoignit ses complices.

Juste avant qu'ils ne s'engagent dans une rue un peu plus huppée que les autres, le dirigeant des loups s'arrêta de nouveau. Il demanda à Mathias de retirer l'une de ses bagues, ce que le jeune homme blond fit sans rechigner. Il encouragea ensuite la louve à faire de même, or elle ne céda pas si facilement.

— Pourquoi les voulez-vous ? l'interrogea-t-elle, sceptique.

— Donnez-la à Mathias. Nous allons faire croire aux Rhodebrookes que je suis son frère, et vous vous ferez passer pour sa femme.

Les deux concernés échangèrent un regard perplexe, l'un et l'autre n'ayant guère envie de jouer un tel rôle...

— Prétendre que nous sommes des associés ou des amis risquerait de les rendre méfiants, avança Clark. Une famille a toujours l'air plus attendrissante, et cela coïncidera davantage avec l'histoire que je vais raconter.

Comme Mathias et Eleanor ne brillaient pas par leur conviction, il poussa un léger soupir.

— Ne cherchez pas à comprendre, fit-il en rajustant ses lunettes. Contentez-vous d'échanger l'une de vos bagues, de me laisser parler et d'entrer dans mon jeu.

Les loups obtempérèrent, sans poser plus de questions. Lorsque deux lycanthropes se mariaient, la coutume voulait que chacun donne à l'autre l'un de ses anneaux. Cela rendait les transformations plus douloureuses, mais constituait de ce fait une preuve d'amour. En pratique, la majorité des époux se rendaient leurs bagues juste avant la pleine lune, ce qui évitait bien des souffrances inutiles...

Eleanor se retrouva donc avec un rubis à sa main gauche, et un diamant à la droite. Le métal de son nouvel anneau s'adapta de lui-même à son doigt.

— Merci à vous, les gratifia Clark, pareil à s'ils consentaient à un lourd sacrifice. Si vous êtes prêts, nous pouvons y aller.

Ils s'avancèrent dans une rue bordée de jolies maisons en pierres. En cette heure matinale, elle était tout aussi peu fréquentée que les autres, mais trois individus stationnaient devant la plus grande demeure du quartier. Entièrement vêtus de noir, ils se tenaient aussi immobiles et à l'affût que des chiens de garde.

Le Grand Alpha se dirigea droit vers eux, Eleanor et Mathias sur ses talons. Les yeux perçants des trois hommes se retrouvèrent aussitôt braqués sur eux. L'un porta même une main au pommeau de son épée.

— Qu'est-ce que vous voulez ? lança-t-il sèchement.

— Je souhaiterais discuter avec Owen du Topaze, l'informa Clark avec le plus grand des calmes. J'ai entendu dire qu'il cherchait des collaborateurs et... Nous pensons pouvoir l'intéresser.

Les hommes le toisèrent de la tête aux pieds, puis s'intéressèrent brièvement à Eleanor et Mathias.

— Monsieur Owen ne reçoit pas des inconnus en un claquement de doigts. Surtout à une heure pareille.

Loin de se laisser démonter, Clark sortit un papier de la poche de sa veste et le leur tendit.

— Peut-être que ceci saura vous convaincre...

Celui qui se tenait le plus proche d'eux s'en empara, puis le parcourut du regard. Au fil de sa lecture, un pli se creusa entre ses sourcils. Il transmit ensuite le papier à ses collègues, qui affichèrent la même mine intriguée.

— Patientez ici, leur ordonna le premier.

Il s'éclipsa derrière la splendide porte en bois sculpté. Eleanor essaya de capter le regard de son ex-fiancé, curieuse de savoir comment un simple mot avait pu susciter tant d'intérêt. Clark ne lui accorda pas une miette d'attention et conserva un air parfaitement impassible. En bon soldat fidèle à son alpha, Mathias l'imita, et la louve finit par s'intéresser à ses chaussures.

Au bout de quelques minutes, l'homme rouvrit la porte et adressa un hochement de tête à ses collègues. Ces derniers s'écartèrent aussitôt du battant, afin de laisser entrer les trois visiteurs.

— Monsieur Owen va vous recevoir. Il vous attend dans son bureau.

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