Chapitre 5 - Une drôle d'alliance

Eleanor n'eut même pas le temps de crier.

En une fraction de seconde, elle se retrouva engloutie par le lac. L'eau glacée bourdonna à ses tympans, tandis que l'air désertait ses poumons. Prisonnière de l'obscurité, la terreur s'empara d'elle et elle commença à s'agiter dans tous les sens. Ses mouvements lui semblaient horriblement lourds et ralentis, ce qui amplifia un peu plus sa panique.

Soudain, elle sentit quelque chose tirer sur sa main. Par réflexe, elle tenta de libérer ses doigts, mais l'étau se resserra un peu plus et l'attira vers la surface.

Quand elle sortit la tête hors de l'eau, elle respira comme si c'était la toute première fois. Elle essaya de bouger les jambes pour ne pas sombrer de nouveau, mais sa jupe empêtrait ses mouvements.

— Cal... Calmez-vous, je vous tiens, entendit-elle par-dessus le clapotement de l'eau.

Elle réussit en effet à distinguer Clark, qui lui tenait toujours la main. Alors qu'elle se démenait et tentait tant bien que mal de ne pas boire la tasse, il se rapprocha afin de passer un bras autour d'elle. Son instinct de survie la poussa à s'accrocher à lui, et elle le laissa la transporter jusqu'au pied de la tour.

Elle sentit bientôt des rochers cogner ses genoux, puis se hissa sur le pas de la porte. Elle s'effondra sur les deux marches qui constituaient le seuil, bien décidée à ne plus jamais refaire trempette dans un lac. L'air put enfin s'infiltrer librement dans ses poumons, sans qu'elle n'ait l'impression que sa poitrine soit comprimée par une horrible force.

Le Grand Alpha se posa à côté d'elle, en prenant des inspirations beaucoup moins haletantes que les siennes.

— Vous allez bien ? s'enquit-il aussitôt.

Elle hocha la tête, après s'être accordée quelques secondes pour retrouver ses esprits. Sa robe la collait et lui paraissait affreusement lourde. Des mèches de cheveux s'étaient échappées de la couronne qu'elle avait tressée, lui donnant l'air d'une pieuvre aux mille tentacules. Pire que tout : elle grelottait

— C'est... C'est la première et la dernière fois que je fais une chose pareille, articula-t-elle.

— Je compte bien ne plus jamais sauter d'un point aussi haut, confirma-t-il.

Sans plus s'attarder, il se releva et tira sur une petite corde, au bout de laquelle était accrochée la barque. Il tendit la main à Eleanor pour l'aider à se remettre debout, mais elle l'ignora. Déjà qu'il venait littéralement de la sauver, elle ne voulait pas jouer plus longtemps les demoiselles en détresse.

Elle se débrouilla pour se remettre sur ses jambes, puis grimpa dans le canot que Clark avait approché. N'étant pas tout à fait remise de ses émotions, elle manqua de trébucher et de renverser l'embarcation. Elle réussit cependant à se rattraper et à s'installer sur l'un des petits bancs.

— Je vais essayer d'aller retrouver le sac, déclara-t-il en s'accroupissant sur les marches. Il...

— Ne faites pas l'imbécile, l'interrompit-elle avec agacement. Comment voulez-vous récupérer un sac perdu au fond d'un lac ? Vous n'allez réussir qu'à vous noyer !

Il esquissa un semblant de sourire.

— Il y a moins d'une heure, vous juriez vouloir me tuer et m'avez même entaillé la jambe. Votre opinion de moi a dû considérablement s'améliorer, pour que mon sort vous importe un minimum...

Elle croisa les bras sur sa poitrine et laissa à son tour ses lèvres se fendre d'un petit sourire.

— Mon opinion sur vous n'a pas changé, prétendit-elle. Mes intérêts, si.

Il haussa les épaules, sans s'offusquer de sa remarque. Elle le vit prendre de lentes et profondes inspirations, avant de plonger et disparaître sous la surface. Quelle tête de mule, pesta-t-elle intérieurement. Sans doute espérait-il l'éblouir avec ses incroyables talents de nageur... Ou peut-être veut-il juste te montrer qu'il n'est pas celui que tu penses, lui souffla une petite voix.

Si tel était réellement son but, il avait encore du pain sur la planche.

Certes, il venait de l'aider à quitter sa tour, mais c'était en grande partie à cause de lui qu'elle y avait été enfermée. Il avait prétendu que son père le gardait dans l'ignorance au sujet de sa fiancée, toutefois... Il lui était encore difficile d'être objective et d'admettre qu'il ne l'avait sûrement pas abandonnée.

Elle attendit patiemment que monsieur daigne remonter à la surface et reconnaisse sa défaite, or l'eau resta parfaitement lisse. Seules quelques ondes la froissaient... bientôt rejointes par une flopée de bulles.

— Mais qu'est-ce qu'il fiche ? marmonna-t-elle.

S'il ne remontait pas, que ferait-elle ? Une enquête pour élucider les circonstances de la mort du Grand Alpha serait certainement menée. Si quelqu'un parvenait à remonter jusqu'à elle, elle aurait de graves ennuis, sans parler de sa propre famille qui remettrait la main sur elle et... Du calme.

Ses problèmes ne seraient rien comparés à ce que la perte du dirigeant engendrerait. La Terre des Loups serait sans dessus dessous, ce qui pourrait peut-être pousser le roi des vampires à en profiter. Au point où elle en était, Eleanor se moquait bien du désordre que cela pourrait provoquer, toutefois... Clark lui avait dit qu'il avait un fils. Et si cet enfant devenait orphelin à cause d'elle ?

Au moment où elle commençait sérieusement à s'inquiéter, une tête émergea de la surface. Le Grand Alpha toussa et cracha, s'étant sûrement plus enfoncé qu'il ne le pensait.

— Je commençais à croire que les piranhas vous avaient dévoré, lança-t-elle quand il se laissa tomber sur le seuil de la tour.

Sa chemise blanche moulait son torse comme une seconde peau, et se soulevait au rythme de ses inspirations saccadées.

— Il... Il y a des piranhas dans ce lac ? s'horrifia-t-il.

Face à tant de naïveté, elle hésita entre éclater de rire ou lever les yeux au ciel. Elle opta finalement pour la seconde option.

— Vous pensez vraiment que j'aurais sauté si c'était le cas ? répliqua-t-elle.

Trop épuisé, il ne répondit rien.

— Tenez, se contenta-t-il de souffler en jetant le sac dans la barque.

La louve fut si surprise qu'elle en resta muette de stupeur. Comment diable avait-il fait ?

— Vous... Vous avez vraiment le temps de vous entraîner à nager, en étant Grand Alpha ? l'interrogea-t-elle, perplexe.

Sa mine s'assombrit, sans qu'elle ne comprenne vraiment pourquoi. Une fois n'est pas coutume, sa remarque n'avait pas eu pour but de le vexer.

— Pas vraiment, non, répondit-il sans la regarder. Mais je suis plutôt bon en apnée...

Elle ne chercha pas à en savoir plus et s'intéressa au contenu du sac. Les vêtements qu'ils avaient mis dedans étaient évidemment trempés, mais ses poignards étaient en parfait état. Ravie de les retrouver, elle adressa de petits remerciements à Clark, qui grimpa à son tour dans la barque.

Il détacha la corde et tenta de ramer, mais sa virée dans l'eau semblait lui avoir fait perdre toutes ses forces. Ses gestes se faisaient encore plus maladroits que lorsque la jeune fille l'avait observé depuis le sommet de sa tour.

— Laissez-moi essayer, fit-elle en s'emparant des rames.

Il ne protesta pas et Eleanor réussit rapidement à se débrouiller. Les manoeuvres pour s'aligner près du ponton lui donnèrent un peu de fil à retordre, mais elle y parvint au terme de quelques efforts.

Avant de descendre de la barque, ils prirent le temps de remettre leurs chaussures, bien que celles-ci soient trempées. Tandis que la louve défaisait ses tresses et tordait ses cheveux pour les essorer, le jeune homme tenta de se repérer au milieu des arbres. Comme sa carte avait également pris l'eau, cela ne fut pas une mince affaire, sans compter l'obscurité qui régnait sur les bois...

— Il me semble que je suis venu de ce côté-là, déclara-t-il après un temps de réflexion. J'avais repéré que mes amis et moi nous étions arrêtés à l'ouest de la tour, donc...

— L'ouest est par ici, le détrompa-t-elle en désignant une direction opposée. J'y ai suffisamment vu de fois le soleil s'y coucher.

Clark parut sceptique, ce qui la fit lever les yeux au ciel.

— Vous avez peur que je vous induise en erreur et vous tende un piège ?

— Pardonnez-moi de me montrer méfiant, mais vous n'avez pas vraiment l'air de me porter dans votre coeur... Maintenant que je vous ai aidée à quitter votre tour, vous pourriez très bien me perdre au milieu des bois et m'abandonner à mon sort.

Elle essaya de démêler ses cheveux noirs à l'aide de ses doigts, ce qui manqua de la faire crier. Pourquoi n'avait-elle pas pensé à prendre un peigne ou une brosse ?

— Si j'avais voulu vous mettre dans une telle situation, je vous aurais demandé de vous déshabiller avant de sauter de la tour. J'aurais enlevé vos vêtements du sac pendant que vous auriez eu le dos tourné, puis j'aurais profité que vous soyez sous l'eau pour partir avec la barque. Vous vous seriez retrouvé seul, à moitié nu dans une forêt que vous ne connaissez pas.

Tant de malice sembla vaguement l'impressionner.

— Mais vous ne l'avez pas fait, observa-t-il.

— Je n'ai pas pour habitude de trahir ceux qui me viennent en aide.

Cette déclaration, prononcée avec sérieux, le détendit un peu. Ils ne tergiversèrent pas plus longtemps et se mirent en route vers l'ouest.

Le clair de lune peinant à percer les branches d'arbres, ils évoluèrent dans un noir quasi complet. Outre les brindilles qui craquaient sous leurs pieds, de drôles de bruits crépitaient à leurs oreilles. Un poignard à la main, Eleanor restait aux aguets, prête à se défendre face à la moindre bête qui les attaquerait. L'adrénaline désormais retombée, elle ressentait le froid avec plus d'intensité. La moindre brise sur sa peau mouillée se transformait en courant d'air glacial. Derrière elle, elle entendait Clark trébucher et marmonner dans sa barbe, ce qui en devenait presque comique.

— Vous... Cela doit vous faire étrange, de marcher dans les bois après avoir passé tant d'années enfermée, lança-t-il à brûle-pourpoint.

Elle le soupçonna d'être inquiété par les grattements étranges qui leur parvenaient et de chercher à les couvrir en discutant.

— Je n'étais pas tout le temps dans cette tour, répondit-elle en enjambant un tronc d'arbre. J'avais droit à quelques sorties accompagnées, afin de m'entraîner sur le terrain, mais...

Une soudaine exclamation l'interrompit, digne d'un petit animal brailleur. Elle pivota sur ses talons et trouva le Grand Alpha par terre, tombé à quatre pattes dans les feuilles.

— Maudit tronc d'arbre, grommela-t-il en se remettant sur pieds.

— Vous avez l'air plus à l'aise dans l'eau que sur terre, commenta-t-elle.

Elle se remit en marche, en prenant la peine de lui signaler les petits obstacles qui se trouvaient sur leur chemin.

— Sauf quand je suis sous ma forme animale, je n'ai pas tellement l'occasion de me balader en forêt, répondit-il. Tiens, d'ailleurs, comment faisiez-vous lors des nuits de pleine lune ? Vous étiez obligée de rester dans votre tour ?

La plupart des lycanthropes attendaient avec impatience leur transformation, qui survenait une fois par mois. À minuit, lorsqu'un parfait disque argenté brillait dans le ciel, chacun prenait la forme d'un loup majestueux. Cela donnait l'occasion de gambader dans la nature, pendant des heures et des heures, tout en éprouvant un incroyable sentiment de liberté.

Pour Eleanor, les nuits de pleine lune ne rimaient pas toujours avec partie de plaisir...

— Cela dépendait, marmonna-t-elle. Parfois, Gretchen venait me déposer dans la forêt et me laissait courir dehors. Mais la plupart du temps, j'étais obligée de tourner en rond dans ma chambre.

Sous leur forme lupine, les lycanthropes ressentaient le besoin de se défouler et de rejoindre un espace naturel. Être coincé dans un endroit clos représentait un supplice, sauf quand l'animal décidait de rester chez lui de son plein gré.

— J'en suis désolé, fit-il d'une voix où transparaissait sa sincérité. Mais lorsque vous aviez la possibilité de courir dans la forêt, vous n'auriez pas pu en profiter pour vous enfuir ? Votre espèce d'entraîneuse ne devait sûrement pas vous suivre partout, cela aurait été trop dangereux pour elle, non ?

En effet, les morsures de loup étaient mortelles pour les vampires. Les crocs des animaux contenaient un venin qui empoisonnait les buveurs de sang, en l'espace de quelques secondes. Si certains lycanthropes ne savaient pas contrôler leurs pulsions animales et s'attaquaient à tous les immortels qu'ils croisaient, ce n'était pas le cas d'Eleanor. Malgré tout, Gretchen ne prenait jamais le risque de l'accompagner lors de ses escapades.

— Et où auriez-vous voulu que j'aille ? répliqua-t-elle un peu sèchement. Ma famille aurait lancé des recherches pour me retrouver et j'aurais dû vivre comme une fugitive.

Le Grand Alpha demeura silencieux un instant, le temps d'éviter une branche. Lorsqu'il reprit la parole, ce fut d'un ton un peu hésitant :

— Votre... Votre famille vous déteste vraiment à ce point ? Pourquoi s'acharner à vous maintenir si isolée ?

La jeune fille serra les dents. Elle aussi aurait bien voulu savoir pourquoi elle était née dans une telle famille de dégénérés...

— Parce qu'on ne s'occupe pas de quelqu'un que le Grand Alpha a rejeté. Comme je les ai soi-disant déshonorés, ils ne tolèrent pas l'idée que je leur sois associée. Ils tiennent également à ce que le monde entier oublie mon existence et me croie morte.

— J'en... J'en suis vraiment navré, répéta-t-il. Si vous voulez, je pourrais essayer de convoquer votre père pour tenter une réconciliation et...

Elle s'arrêta si brusquement qu'il lui cogna le dos.

— Hors de question ! trancha-t-elle en se retournant. Je ne veux plus jamais revoir ma famille. Ce sont des inconnus pour moi, tout comme je le suis devenue à leurs yeux.

Cette pensée lui serrait toujours un peu le coeur, mais sa haine était plus forte que ses regrets. Si elle voyait son frère, elle ne ferait aucun effort pour se retenir de lui arracher les dents.

— C'est vous qui décidez, la rassura-t-il. De toute façon, je suis sûr que vous vous en sortirez très bien sans eux. Nous vous déposerons au village le plus proche demain matin, puis vous pourrez essayer de trouver des informations sur l'ordre des Chasseurs et...

— Mais vous n'avez rien compris ! s'agaça-t-elle. Mon père est l'alpha du Rubis, il peut lancer autant de recherches qu'il le veut ! D'ici deux mois, il aura réussi à retrouver ma trace et dénichera un nouvel endroit où m'enfermer !

Ce serait un miracle si son frère ne suggérait pas de la marier de force à l'un de ses amis proches, afin d'être certain de la contrôler.

— Bon, fit Clark en se massant le front. Dans ce cas, qu'est-ce que vous suggérez ?

Depuis qu'il l'avait aidée à s'échapper, une petite idée était venue à l'esprit d'Eleanor.

Une idée qui ne l'enchantait pas particulièrement, mais qui serait toujours mieux que de finir entre les mains de son frère.

— Vous m'avez dit que vous faisiez route vers la Terre du Topaze. Je vais venir avec vous.

— Quoi ? Non, je regrette, mais...

— Je vous servirai de renfort en tant que soldate, le coupa-t-elle. Tant que je suis avec vous, ma famille ne pourra pas m'atteindre. Je suis persuadée que je suis tout aussi compétente que vos gardes et...

— Là n'est pas le problème, lâcha-t-il avec une gravité qui la réduisit au silence. Je ne peux pas me permettre de vous emmener avec nous. J'ai déjà pris un risque inconsidéré en vous révélant qui je suis. Tout ce que je peux vous proposer, c'est vous trouver un endroit où vous serez protégée et à l'abri.

Même s'il ne faisait pas montre d'une autorité impitoyable, elle ne put s'empêcher de voir rouge et de serrer les poings.

— Je ne vais pas quitter une prison pour une autre ! s'écria-t-elle. Je vous promets de ne pas vous faire de mal et...

— Je suis désolé, mais il y a beaucoup trop d'enjeux. Mon voyage sur la Terre du Topaze doit rester secret, je ne m'y rends pas pour une simple visite de courtoisie. Je ne vous fais pas assez confiance pour vous impliquer.

Ces remarques attisèrent autant sa curiosité que son exaspération.

— À qui voulez-vous que j'aille répéter vos petites affaires ? Je ne connais absolument personne et n'ai plus aucun ami.

Aussi cruel que soit ce fait, il s'agissait de la vérité. Que risquait-il de la part de quelqu'un qui sortait de six années d'isolement ? Cette question dut trotter dans sa petite tête, car il finit par avouer :

— Ma femme a été tuée il y a un mois. Nous ne savons pas qui sont les responsables et essayons de mener l'enquête.

Cela la laissa sans voix. Lorsqu'elle l'avait attaqué, il avait effectivement affirmé que la mère de son fils était morte. Cependant, elle s'était figuré qu'il avait prétendu une telle chose pour implorer sa clémence. Gretchen ne lui avait pas touché un mot de cet événement, mais elle se doutait que la vampire ne lui disait pas toujours tout.

— Vous comprendrez que je ne peux pas accorder ma confiance à n'importe qui, ajouta-t-il avec un sourire sans joie. Tout le monde est un potentiel suspect et je ne me fie qu'à un cercle très restreint.

Une pensée des plus égocentriques frappa Eleanor : si elle avait épousé Clark six ans plus tôt, serait-elle morte à la place de cette femme ? Un frisson lui parcourut l'échine, amplifié par le froid qui la saisissait toujours.

— Mais... Mais pourquoi vous rendez-vous sur la Terre du Topaze ? Elle était là-bas lorsqu'elle est... morte ?

Elle craignait de le voir fondre en larmes au moindre mot trop dur, or il ne se laissa aller à aucun émoi.

— Des indices laissent à penser que les instigateurs de son meurtre viennent de là-bas. Nous allons tenter de les piéger, mais pour cela, ils ne doivent pas se douter que nous sommes sur leurs traces.

Malgré elle, la louve sentit une pointe d'excitation la gagner. Résoudre des enquêtes ne faisait pas partie des principales missions des Chasseurs, ces derniers se contentant de tuer les coupables une fois le mystère élucidé. Néanmoins, il lui semblait désormais que sa rencontre avec le Grand Alpha n'était peut-être pas le fruit du hasard : et si elle pouvait l'aider ?

— Je suis sûre que je peux vous être utile ! Je me suis entraînée pendant six ans afin de devenir une parfaite combattante, je pourrai maîtriser et tuer toutes les personnes que vous voudrez !

Cet argument sembla davantage le conforter dans son idée de refuser...

— Je vous connais depuis moins de deux heures. Sans vouloir vous vexer, comment voulez-vous que je vous fasse assez confiance pour vous impliquer dans une affaire aussi importante ?

Obligée d'admettre qu'il n'avait pas tort, elle croisa les bras sur sa poitrine et réfléchit un instant.

— Nous avons sauté ensemble du haut d'une tour, déclara-t-elle finalement. Ce sont des choses qui rapprochent, non ?

Il la considéra d'un drôle d'air et elle réalisa que son ton s'était fait un peu trop espiègle. Couplée à son accent aux inflexions naturellement sensuelles, cette badinerie avait peut-être sonné comme une petite tentative de séduction. Sachant qu'il était veuf depuis un mois, cela aurait été de fort mauvais goût...

Vaguement honteuse, elle remercia l'obscurité de dissimuler ses joues empourprées.

— Vous avez essayé de me tuer, lui rappela-t-il.

— Mais je ne l'ai pas fait, répliqua-t-elle, en écho à l'une de ses précédentes remarques.

— Parce que vous y aviez un intérêt.

Encore une fois, il marquait un point. Elle y vit cependant l'occasion de retourner la situation à son avantage :

— Justement, mon intérêt n'est pas de vous nuire. Vous assurerez ma protection contre ma famille, et en échange, je vous aiderai à retrouver et trucider les meurtriers de votre femme.

Sentant qu'il s'apprêtait encore à répliquer, elle enchaîna :

— Ne prétendez pas que vous n'avez pas besoin de moi, car vous m'avez apporté la preuve que c'est faux. Vos amis vous ont laissé aller seul dans un endroit inconnu, où vous avez failli perdre la vie. Je ne pense pas être tellement plus imprudente qu'eux...

Elle avait bien conscience que son argumentaire était quelque peu bancal et présomptueux. En réalité, même si elle jouait à la maligne, elle avait bien plus besoin de lui qu'elle ne voulait l'admettre... S'il s'obstinait à refuser, elle serait quitte à trouver un nouveau terrier, où se cacher des soldats de son père. De plus, si elle le contrariait trop, Clark pouvait à tout moment prévenir l'alpha du Rubis quant à l'endroit où se trouvait sa fille.

Il ne paraissait pas être du genre à faire une chose pareille, toutefois... Eleanor avait appris qu'en matière d'hommes, son instinct n'était pas des plus fiables.

— Très bien, abdiqua-t-il au terme d'une brève réflexion. Si vous me trahissez, vous aurez quasiment autant à perdre que moi, donc nous devrons nous faire confiance mutuellement.

Elle voyait presque une balance se dessiner au-dessus de la tête du Grand Alpha, pesant le pour et le contre à la perspective de cet accord.

— Mais à une condition, ajouta-t-il avant qu'elle ne s'emballe.

Il laissa planer un silence dramatique, qui mit la jeune fille au supplice. Il finit par désigner le poignard qu'elle s'était mis à faire tournoyer entre ses doigts.

— Mon fils voyage avec nous. Ne vous avisez donc pas de laisser traîner vos armes n'importe où. S'il se coupe ne serait-ce que le petit doigt avec l'un de vos couteaux, je vous laisserais au village le plus proche sans chercher à comprendre. Est-ce bien clair ?

Pour la première fois depuis leur rencontre, elle eut l'impression de sentir en lui l'autorité d'un vrai dirigeant. Cela lui rappela qu'elle ne s'apprêtait pas à s'associer à un simple jeune homme serviable, mais à son ex-fiancé, qui était dorénavant le Grand Alpha.

Un pacte avec celui dont elle avait souhaité la mort des années durant... Il n'y a absolument aucune raison pour que cela tourne mal, ironisa une petite voix intérieure.

— Tant que vous ne révélez pas à ma famille où je me trouve, vous n'aurez rien à craindre de mes poignards, lui promit-elle. Marché conclu ?

Elle tendit une main vers lui et tâcha de déchiffrer son expression dans la pénombre. Avec une once d'amusement, elle réalisa qu'il avait la tête de quelqu'un qui savait être sur le point de faire une bêtise, mais qui la commettait quand même.

— Marché conclu, finit-il par soupirer.

Au moment où il lui serrait la main, une chouette hulula dans les arbres au-dessus d'eux. Eleanor ne sut s'ils devaient l'interpréter comme un bon ou un mauvais présage...

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