Chapitre 46 - Le Soleil d'Argent
— Votre... fiancée ?
Le secrétaire particulier du Grand Alpha paraissait s'être étranglé avec une grenouille.
Il fixait alternativement Clark et Eleanor, comme s'il soupçonnait cette dernière d'avoir jeté un sort au dirigeant. Il finit par passer une main dans ses cheveux châtains, tout en expirant lentement.
— Sans vouloir vous offenser, commença-t-il à l'adresse de Clark, je ne pense pas avoir besoin de vous rappeler que votre femme est morte il y a à peine quelques mois. Je ne dis pas que vous ne devriez jamais vous remarier, mais... Cela me semble un peu précipité, non ?
L'homme, âgé d'une quarantaine d'années, avait pourtant fait bonne impression à Eleanor. Même s'il travaillait auparavant pour son père, Clark lui avait affirmé que son secrétaire particulier était bienveillant et entièrement dévoué à son service. Il était assez normal qu'il s'inquiète pour le Grand Alpha et ses éventuels choix douteux.
Il n'était d'ailleurs pas le seul à être préoccupé, car autour de lui, les ambassadeurs des différentes meutes affichaient presque tous une mine d'enterrement. Clark les avait convoqués dans une salle de réunion, où ils avaient pris place à une table rectangulaire. Rowan et son père étaient également présents, au plus près du dirigeant et de la jeune fille.
— Vos craintes et vos réserves sont légitimes, or je ne pourrais pas être plus sûr de moi, répondit Clark. Eleanor et moi nous marierons dès que ma période de deuil sera officiellement écoulée.
Son secrétaire baissa les yeux, avant d'échanger un regard avec les autres conseillers. Seul James, fidèle ambassadeur de la Terre du Topaze, semblait se réjouir de cette nouvelle.
— Vous avez on ne peut plus raison, approuva-t-il. Ce n'est un secret pour personne que votre père avait interféré dans vos précédentes fiançailles. À présent que vous pouvez faire vos propres choix et suivre votre coeur, vous seriez fou de vous en priver.
Ces paroles bien trop franches lui attirèrent des coups d'oeil outrés. Eleanor le gratifia d'un petit sourire, ravie que son ancien compagnon de route soit toujours aussi gentil.
— Ce n'est pas pour me montrer cruelle ou rabat-joie, intervint sèchement l'ambassadrice du Saphir, mais le frère de votre prétendue fiancée a tout de même tué votre femme. Vous êtes vraiment certain que cette décision soit... judicieuse ?
À la manière dont elle hésita en plissant ses yeux bleus, la jeune fille comprit qu'elle s'était retenue de dire autre chose. Sûrement craignait-elle que le choix du Grand Alpha ne soit pas complètement éclairé et que sa fiancée l'ait envoûté d'une manière ou d'une autre.
Comme Eleanor avait tressailli à l'évocation de son frère, Clark lui attrapa discrètement la main sous la table. Même si les événements dataient de deux semaines à présent, ce n'était toujours pas assez pour qu'elle reste de marbre lorsque le sujet "Manik" était mis sur le tapis.
— Eleanor n'est en rien responsable des actes de son frère, répliqua le loup. Au contraire, elle s'est toujours opposée à lui et a aussi été victime de ses agissements.
Quelques regards furtifs se posèrent sur la cicatrice de la jeune fille. Le médecin avait retiré ses points de suture trois jours plus tôt, juste avant la pleine lune. Elle ne ressentait quasiment plus aucune douleur, mais comme elle l'avait prévu, il lui resterait une marque indélébile. Clark avait beau embrasser sa joue tous les jours et lui répéter qu'elle était magnifique, elle peinait encore à s'y faire.
— Je peux le confirmer, renchérit l'ambassadeur du Rubis. Mon alpha implore toujours votre pardon et celui de mademoiselle Eleanor pour la cruauté de son fils.
Effectivement, dès qu'il avait été informé de l'arrestation et des méfaits de Manik, l'alpha du Rubis avait aussitôt montré patte blanche. Cela n'était qu'à moitié étonnant, puisque compte tenu de la situation, chercher à défendre son fils aurait pu attirer une guerre à sa région. Toutefois, sachant à quel point il vénérait l'aîné de la fratrie, Eleanor s'était attendue à plus de résistance. Sa mère avait simplement joint un courrier à celui de son mari, dans lequel elle suppliait le Grand Alpha d'épargner son fils d'une condamnation à mort.
Le couple savait que leur fille était également impliquée, or pour l'instant, ils ignoraient tout des fiançailles entre elle et Clark. Nul doute qu'ils tomberaient à la renverse en apprenant la nouvelle, puis qu'ils s'empresseraient de chercher à contacter Eleanor. Elle deviendrait soudain leur enfant préférée, alors qu'ils ne lui avaient pas adressé la parole depuis six ans.
Peu importe les suppliques qu'ils lui enverraient, elle refuserait de renouer tout lien avec eux.
— Votre alpha peut déjà s'estimer chanceux que la Terre du Saphir ne déclare pas la guerre à celle du Rubis, trancha l'ambassadrice concernée. Celui qui est censé devenir votre alpha a tué l'une des nôtres, ce qui constitue largement un motif de conflit.
— Il en va de même pour la Terre des Loups tout entière, ajouta le père de Rowan, capitaine de la garde. Les loups du Rubis ont intérêt à faire profil bas s'ils espèrent expier la faute de leur chef.
L'ambassadeur de la meute d'Eleanor baissa la tête, embarrassé par la situation. Le pauvre homme n'avait rien à voir avec le comportement de ceux qu'il représentait, et paraissait on ne peut plus noble et conciliant. Sa fonction l'obligeait à encaisser les reproches pour le compte de sa région, mais heureusement, il ne cherchait pas à envenimer les choses.
— Je ne veux pas jouer celle qui en rajoute, commença l'ambassadrice de l'Ambre en tapotant ses ongles sur la table, toutefois nous ne pouvons éviter un certain point. Que va penser le peuple lorsqu'il apprendra que vous vous remariez avec la soeur de l'assassin de votre femme ? Et si vite, de surcroît ? Nous savons pertinemment que vous êtes tous les deux innocents, mais comment empêcher les soupçons de millions de loups ?
— Je regrette de devoir vous le dire ainsi, or les gens vont s'imaginer que vous avez un lien avec le meurtre de votre femme, compléta le représentant de la Terre de l'Émeraude. Cela va considérablement nuire à votre popularité et des élans de révolte pourraient même avoir lieu.
Clark soupira et échangea un regard avec la jeune fille. Avant d'entrer dans cette pièce, ils savaient tous les deux que cette annonce à ses plus proches conseillers risquait d'être difficile. Ils avaient conscience que vue de l'extérieur, leur union pouvait revêtir les pires aspects possibles. Ils s'étaient autorisés à vivre dans leur petite bulle rien qu'à eux pendant une semaine, le temps que Clark soit remis sur pieds.
La pleine lune avait complètement rétabli son bras, qu'il pouvait désormais utiliser comme bon lui semblait. Sa plaie au ventre était quasiment cicatrisée, et même s'il devait continuer à se ménager, il pouvait de nouveau marcher dans les couloirs du palais.
Ils avaient hésité à garder leur relation secrète encore quelques temps, mais Clark avait décidé de régler le problème dès maintenant. Leurs fiançailles ne seraient rendues publiques que deux ou trois mois avant le mariage, or les politiciens devaient en être informés bien plus tôt.
— Je sais que je ne peux pas me moquer de l'avis des gens, pourtant je refuse de laisser leur opinion entraver mes choix. Certains auront peut-être quelques doutes au début, mais lorsqu'ils verront ce qu'il y a entre Eleanor et moi, ils comprendront.
Elle serra sa main, fière de lui. Il lui avait tenu le même discours la veille, quand elle lui avait fait part des réserves que pourraient émettre ses conseillers. Selon lui, une fois que les gens seraient témoins de l'amour qu'ils partageaient, ils ravaleraient leurs commérages.
— Je n'en doute pas, intervint l'ambassadeur de l'Émeraude d'une voix un peu trop mielleuse. Néanmoins, votre fils est déjà issu d'une union avec une femme qui n'était pas une louve du Diamant. Pour un second mariage, ne serait-il pas préférable que vous épousiez une demoiselle de votre meute ? Cela assurerait davantage votre succession.
Eleanor se retint se lever les yeux au ciel. Rowan, quant à lui, ne se gêna pas pour ricaner.
— Je ne pense pas que vous soyez le mieux placé pour critiquer une alliance inter-meutes, lança-t-il avec insolence. N'est-ce pas vous qui vantez sans arrêt le faible écart d'âge entre Marcus et la fille de votre dirigeant ?
Le représentant de la meute à la pierre verte le foudroya du regard.
— On dit que la Lune fait toujours bien les choses, déclara James. Je suis certain qu'elle assurera le devenir de notre espèce.
Personne n'osa contredire ces sages paroles, mais une certaine tension demeurait à travers la pièce.
— Mademoiselle Eleanor, j'espère que vous savez la tâche qui vous attend, l'interpella finalement le secrétaire particulier. Vous avez déjà été fiancée à notre Grand Alpha pendant de nombreuses années, donc je ne doute pas de votre préparation à ce rôle. Cependant, vous serez amenée à représenter la Terre des Loups, notamment dans ses relations avec le royaume des vampires. Vous savez ce que cela implique, n'est-ce pas ?
Son statut d'apprentie Chasseuse n'avait pas été éludé lors de sa présentation. Cela en avait fait tiquer plus d'un, qui ne voyaient pas cette qualification d'un très bon oeil.
Relevant le menton, la louve s'efforça de ne pas se laisser démonter. Elle avait évidemment prévu des remarques sur ses activités, qui pourraient être jugées un peu trop "sauvages" pour une femme de dirigeant.
— Je sais quelles seront mes responsabilités, assura-t-elle. Même si je ne porte pas les vampires dans mon coeur, je saurai me montrer cordiale chaque fois que je côtoierai l'un de leurs représentants.
Elle ne promettait pas de servir un thé sanglant avec des petits biscuits au roi et à la princesse des vampires, mais elle tâcherait au moins de laisser ses poignards dans sa poche...
— Il faudra aussi que vous soyez parfaitement fidèle à votre mari, commenta l'ambassadrice du Saphir. D'après votre récit, vos précédentes fiançailles ont été rompues à cause de votre frère, mais aux yeux du monde, votre réputation est toujours entachée...
— Faites attention à vos propos, Thyra, l'interrompit Clark.
C'était la première fois qu'Eleanor le voyait pleinement jouer son rôle de Grand Alpha, et elle le trouvait bien plus affirmé qu'elle ne l'aurait cru. D'un petit mouvement du pouce sur sa main, elle lui fit comprendre que la remarque de l'ambassadrice ne l'atteignait pas.
— Je ne peux malheureusement pas faire grand-chose pour améliorer mon image auprès des gens, si ce n'est aimer Clark comme il le mérite. Pour ce qui est de la fidélité, je ne pense pas que vous ayez à vous inquiéter de ce côté-là.
Elle termina sa phrase en regardant Clark et en lui adressant un sourire. Il le lui rendit, sa réponse lui convenant à merveille.
— En dépit des rumeurs qui ont circulé sur elle, mademoiselle Eleanor est très appréciée sur la Terre du Rubis, fit remarquer l'ambassadeur de sa meute. Beaucoup considèrent qu'elle a été victime d'une injustice la première fois que ses fiançailles ont été rompues. Je suis sûr que les loups du Rubis seront ravis de voir où elle en est aujourd'hui.
Son soutien, qui semblait sincère, émut la jeune fille. Si ses parents avaient pu être aussi bienveillants que leur ambassadeur, peut-être qu'elle aurait connu moins de tourments.
Cette fois, nul n'osa ajouter quoi que ce soit. Les représentants du Saphir et de l'Émeraude ne masquaient pas leur désapprobation, or répliquer de nouveau serait revenu à un affront contre leur Grand Alpha. Peut-être avanceraient-ils d'autres arguments lors de prochaines réunions, mais pour le moment, ils préféraient se murer dans le silence.
— Très bien, soupira enfin le secrétaire particulier. Même si tout cela me semble un peu précipité, il paraît évident que vous êtes tous les deux très épris l'un de l'autre. Un dirigeant heureux rend immanquablement son pays heureux.
Rassurée par ce discours, Eleanor serra la main de Clark.
— Malgré tout, poursuivit l'homme en regardant le Grand Alpha, je vous conseille d'être sûr de vous le jour de votre mariage. Les divorces ont beau être possibles, il est préférable qu'un homme de votre rang évite les unions multiples. Il s'agira tout de même de votre deuxième femme et...
— Et la dernière, le coupa Clark.
Il regarda la louve, qui résista à l'envie de l'embrasser.
Le sérieux et l'assurance avec lesquels il avait prononcé ces mots durent faire mouche, car même les réfractaires se détendirent un peu. James adressa un clin d'oeil à Eleanor, bientôt imité par Rowan.
— Je sais que vous n'avez pas besoin de notre bénédiction, mais considérez qu'elle vous est acquise, conclut le secrétaire. Nous vous souhaitons le meilleur à tous les deux.
Le Grand Alpha le remercia, puis mit un terme à la réunion. La plupart des ambassadeurs s'en allèrent sans plus de cérémonie, tandis que James vint féliciter les deux loups.
— Au risque de paraître présomptueux, j'ai tout de suite senti qu'il allait se passer quelque chose entre vous, affirma-t-il avec malice. Vu la manière dont vous vous disputiez, il était évident que cela allait finir en mariage... ou en duel au lever du jour.
Rowan gloussa et Clark arrangea ses lunettes, un peu gêné.
— On ne se dispute pas tant que ça, marmonna-t-il.
— C'est vrai, acquiesça son meilleur ami. En réalité, c'est surtout toi qui te fais hurler dessus par Eleanor !
Il écopa d'un regard exaspéré. La louve pouffa, tout en reprenant la main de Clark. Rowan avait été le premier informé de ce qui se passait entre eux. Son unique réaction avait été de crier un "enfin" qui semblait venir droit de son coeur. Le Grand Alpha avait craint que les choses soient difficiles pour lui, étant donné qu'il avait perdu celle qu'il aimait, or il témoignait d'un réel bonheur pour son ami.
Rowan et James prirent congé, laissant les deux loups seuls dans la pièce. Eleanor déposa un chaste baiser sur la joue de Clark, puis murmura :
— Mission annonce de fiançailles accomplie.
Ce n'était pas grand-chose, mais après tout ce qu'ils avaient traversé, le moindre point positif était bon à prendre.
— Ça tombe bien, car j'avais prévu quelque chose pour fêter ça, révéla-t-il avec un petit air énigmatique. Il aurait été dommage qu'un refus ou des remarques trop désagréables viennent le gâcher.
— Oh, vraiment ? fit-elle mine de s'étonner. Est-ce que cela expliquerait pourquoi tu as disparu toute la matinée, et que tu n'étais pas dans ton bureau quand je t'y ai cherché ?
Elle avait dû attendre le début d'après-midi avant de pouvoir remettre la main sur lui, ce qui était bien trop suspect.
— C'est fort possible...
Et il l'entraîna dans le couloir, où elle le suivit en riant. Quelques domestiques s'inclinèrent sur leur passage et le Grand Alpha interpella l'un d'entre eux :
— Pourriez-vous trouver Marcus et le faire descendre dans les cuisines d'ici... un quart d'heure ?
Le valet répondit par l'affirmative et inclina la tête. Ils reprirent leur chemin, Eleanor ayant soudain une petite idée de ce que Clark avait préparé. Cela se confirma lorsqu'ils prirent eux aussi la direction des cuisines. Toutefois, quand ils passèrent près de la porte menant aux cachots, elle ne put empêcher son humeur de s'assombrir un peu. Le loup le remarqua et s'arrêta aussitôt.
— Il ne sera bientôt plus là, la rassura-t-il en lui attrapant les deux mains. Personne n'aura plus jamais rien à craindre de lui et...
— Je sais, souffla-t-elle en baissant la tête. Malgré tout... J'ai encore un peu de mal à l'admettre.
Depuis son arrivée dans les cachots, pas un seul jour ne s'était écoulé sans que Manik ne soit interrogé. Eleanor n'avait pu assister à ces entretiens, et du reste, elle n'aurait pas été sûre d'en avoir envie. Le verdict des différents juges et enquêteurs était sans appel : son frère méritait la mort pour toutes ses intrigues.
Néanmoins, la jeune fille avait réitéré son souhait de le voir enfermé. La visite qu'elle lui avait rendue juste après la pleine lune avait confirmé son choix. Bien que sa transformation ait réparé son si beau visage, Manik n'avait pas supporté de rester dans une cellule. Son loup avait hurlé et griffé les murs à s'en rendre fou. Le lendemain matin, quand Eleanor lui avait fait face, il n'était plus que l'ombre de lui-même.
Il n'avait été bon qu'à répéter qu'elle payerait pour ce qu'elle lui faisait, qu'il ne s'écoulerait pas un jour sans qu'il ne la maudisse. Tu réentendras parler de moi, avait-il asséné avec des accents de folie. Le monde réentendra parler de moi.
— Ça m'avait aussi pris du temps quand... Quand mon père n'était enfin plus là, reconnut Clark. J'étais certain qu'il allait encore trouver un moyen de m'atteindre, et c'est un peu ce qu'il a fait avec cette soi-disant promesse de fiançailles pour Marcus, mais... Maintenant, j'ai vraiment envie de le laisser derrière moi.
Elle releva les yeux vers lui et lui sourit. Il était temps de ranger leur passé et de l'abandonner là où il était.
— Je suis certaine que je m'y ferai aussi. Et je suis persuadée qu'une bonne surprise pourrait m'y aider...
Ravi qu'elle ait retrouvé son enthousiasme, il la mena jusqu'aux cuisines. Celles-ci étaient désertes en cette heure de l'après-midi, où les domestiques n'avaient pas encore commencé à préparer le repas du soir. L'odeur de gâteaux fraîchement cuits et la vue des ustensiles rutilants lui rappela leur précédente entrevue ici. À l'époque, elle s'était étonnée d'apprécier ce moment en sa compagnie, occupée à le regarder cuisiner et faire la vaisselle avec lui.
— Tu te souviens de la fois où je t'avais empêchée de regarder dans mon carnet de recettes ? s'enquit-il en libérant sa main pour se diriger vers un comptoir.
Elle l'observa attraper une grande assiette recouverte par une cloche. Il la ramena jusqu'à elle et la déposa sur le plan de travail, près duquel elle s'était appuyée.
— Je n'avais d'ailleurs pas très bien compris pourquoi, avoua-t-elle en haussant les sourcils. Craignais-tu que j'ébruite tes secrets de grand pâtissier ?
Elle avait beau plaisanter, elle ne voyait pas quelle autre raison aurait pu le pousser à lui enlever son carnet.
— Eh bien... Pas tout à fait, avoua-t-il, soudain un peu gêné. Je m'étais mis en tête d'élaborer un gâteau rien que pour toi et... Voici le résultat.
Il souleva la cloche, qui révéla un sublime gâteau en forme de soleil.
Clark ne s'était pas contenté de faire un biscuit rond, autour duquel il aurait simplement ajouté quelques parts en triangles. Il avait dû trouver un moule spécial, qui formait de délicates pointes légèrement incurvées. De la crème d'une magnifique couleur dorée avait été pochée en de fins entrelacs, donnant au gâteau un splendide relief. Le dessus semblait avoir été passé à la flamme, si bien que l'ensemble ressemblait presque à...
— C'est comme une crème brûlée ! s'émerveilla-t-elle.
Crème brûlée qui était son dessert préféré. Et qu'elle devait avoir mentionné dans sa lettre, si elle s'en fiait au travail de Clark.
— J'ai essayé de garder le goût de la crème brûlée, tout en l'intégrant dans un gâteau plus travaillé, confirma-t-il. Ça... te plaît ?
Elle releva les yeux vers lui et constata qu'il affichait un adorable sourire timide, les mains croisées devant lui. Il paraissait sincèrement appréhender sa réaction, comme si elle allait être déçue ou oser se moquer de lui.
— Bien sûr ! s'exclama-t-elle. Tu as vraiment... imaginé ce gâteau rien que pour moi ?
Cela lui semblait bien trop beau, et terriblement mignon. Comment était-il possible qu'elle soit aimée d'un homme si parfait ?
— J'ai dû faire quelques essais avant d'arriver au résultat que je voulais, mais oui. Ce n'est pas souvent que j'ose inventer mes propres recettes, hormis pour des petits gâteaux, donc... J'espère que tu vas bien l'aimer.
Elle en était certaine. Même s'il s'était complètement raté et lui avait servi une gaufre brûlée, son coeur aurait quand même fondu.
Le voir découper ce si beau gâteau lui fit un pincement au coeur, or ils ne pouvaient pas tellement faire autrement. Un tel chef-d'oeuvre aurait mérité qu'un artiste en fasse le portrait avant qu'il ne soit mangé !
Toutefois, quand Clark lui servit une part dans une petite assiette, elle ne se gêna pas pour y planter sa cuillère et en déguster un premier bout. Elle retrouva immédiatement les saveurs de la crème brûlée, mélangées à un délicieux biscuit croustillant. Rien n'était trop sec ou trop sucré, chaque goût étant parfaitement équilibré.
— Oh, par la Lune, marmonna-t-elle en repiochant dans son assiette. Même tes gaufres et tes gâteaux au coulis de framboise ont l'air fades à côté de ça...
Elle se délecta de chaque cuillerée, jusqu'à ce qu'il ne reste plus la moindre miette. Elle se serait bien resservie, si complimenter le cuisinier n'avait pas été plus important.
— Existe-t-il une qualité dont vous ne disposiez pas, cher Grand Alpha ?
Ils s'étaient échangé beaucoup de compliments au cours des derniers jours, mais sa remarque réussit encore à le faire rougir. Cela ne le rendit que plus mignon.
— Tout le monde peut apprendre à faire des gâteaux, répondit-il en se grattant l'arrière de la tête. Je suis sûr que si tu t'y mettais, tu réussirais à te débrouiller.
Elle éclata de rire, ses crêpes et autres mets carbonisés se rappelant à elle.
— Je crois que la cuisine restera définitivement un art qui m'est inaccessible. Même un professionnel comme toi ne pourrait rien y faire.
— On ne peut pas exceller partout, fit-il en haussant les épaules. Cela ne t'empêchera pas de devenir la meilleure Chasseuse de la Terre des Loups...
Elle sourit, heureuse que ce sujet ne soit pas source de tensions entre eux.
Même si elle n'avait aucune envie de quitter Clark, Eleanor s'était résolue à continuer ses activités de Chasseuse de vampires. Elle passerait son examen officiel d'ici quelques semaines – pour de bon cette fois – et poursuivrait l'objectif qu'elle s'était fixé : aider les Neutres en éliminant les buveurs de sang cruels et maltraitants. Cela l'amènerait à s'absenter régulièrement loin de Clark, mais elle ne pouvait rester inactive dans ce palais.
Elle s'était promis que sa formation de Chasseuse se servirait pas à rien, et qu'à son échelle, elle contribuerait à soutenir les Neutres. Le Grand Alpha avait aussi prévu de faire doucement évoluer quelques lois, ainsi que de développer les groupes nomades. De cette façon, l'oeuvre d'Anya perdurerait et ne resterait pas vaine.
— Un petit détail que nous n'avons pas encore précisé à tes conseillers, dit-elle avec malice. Que vont-ils penser en apprenant que ta femme part courir après de méchants vampires ?
— La pauvre ambassadrice du Saphir va sûrement faire un malaise, soupira-t-il. Sans parler de mon secrétaire particulier. Déjà qu'il est à bout à cause du scandale causé par ma cousine, j'ai préféré lui épargner un autre coup de massue...
À son retour, Clark avait eu la joie d'apprendre qu'en plus de quelques problèmes économiques, il devait gérer une petite crise familiale. L'une de ses cousines était tombée enceinte d'un père inconnu, chose qu'il fallait absolument garder secrète. Eleanor était bien placée pour savoir que l'honneur des louves proches d'un alpha importait plus que tout... Si le père de Clark était toujours en vie, elle aurait eu droit à un joli sermon.
— Tu lui prépareras un gâteau pour faire passer la pilule, suggéra-t-elle en lorgnant sur la crème. Comment s'appelle celui-ci, d'ailleurs ? Si c'est l'une de tes créations, il faut lui trouver un nom.
Elle se rapprocha de son pâtissier préféré, tandis qu'il réfléchissait.
— Au départ, j'avais prévu de l'appeler le "Soleil d'Argent" car je voulais que la crème soit argentée. Tu m'as agressé avec un poignard en argent la première fois que je t'ai vue, alors... La boucle aurait été bouclée.
Elle pouffa et passa les bras autour de son cou. Il enserra sa taille pour la rapprocher de lui et embrassa le bout de son nez.
— Mais le rendu de la crème grise n'était pas très appétissant, donc j'ai préféré la laisser au naturel, poursuivit-il avec un sourire. Le problème, c'est que "Soleil Doré" ne sonne pas très original, si ?
— Pas vraiment... Mais je pense qu'on peut quand même l'appeler "Soleil d'Argent". Ça fera plaisir à la Lune et comme ça, elle ne nous brûlera pas dessus.
Il rit doucement, puis laissa ses lèvres chatouiller les siennes.
— Tu sais très bien ce que je pense de la Lune, murmura-t-il.
Il l'embrassa pour souligner ses mots et elle se colla un peu plus contre lui. Sentir sa chaleur éveilla une nouvelle faim dans son ventre, que des gâteaux n'auraient pu combler. Chaque nuit qu'elle passait avec lui amplifiait son désir, surtout depuis qu'il s'était rétabli. Ils se découvraient petit à petit, Eleanor se sentant de plus en plus prête à sceller leur union. Ce n'était qu'une question de temps, avant que...
— Je suis là !
Les deux loups s'écartèrent brusquement et la jeune fille manqua de se cogner la tête dans un placard.
Marcus fit irruption dans la pièce, sans se douter du trouble qu'il avait causé. Par chance, il avait annoncé sa venue lorsqu'il était encore dans le couloir. Même s'il semblait content du couple formé par son père et Eleanor, il était hors de question de le laisser en voir trop...
— T'as fait gâteaux ? demanda-t-il à Clark, les yeux pétillants. Si Charles il m'a accompagné ici, c'est pour gâteaux, hein ? C'est l'heure du goûter en plus !
— Ça se pourrait bien, fit son père avec un sourire. Viens là.
Il recula un tabouret et hissa son fils dessus. Celui-ci vit enfin la grande assiette qui reposait sur le plan de travail.
— Gâteau ! Il est trop beau en plus !
Eleanor jeta un coup d'oeil espiègle à Clark, l'air de dire qu'elle n'était pas la seule à lui faire des éloges.
— Mais il en manque un bout ! s'exclama Marcus. T'en as déjà mangé avec Elanor ?
À l'entendre, cela constituait le plus grand des crimes.
— Juste un peu, le rassura-t-elle. Nous n'aurions jamais osé le finir sans toi !
Le louveteau lui adressa un drôle de regard un peu méfiant, qui lui fit réprimer un rire.
— C'est pas grave, décréta-t-il finalement. Mais attention, Elanor t'es la seule qui peut goûter gâteaux avant moi !
Elle le remercia de lui accorder un tel honneur, tandis que Clark découpait une part en secouant la tête. Il en profita pour resservir la jeune fille, qui ne se fit pas prier. Malgré les gentilles réprimandes de son père, le garçon ne s'encombra pas d'une cuillère et attrapa le gâteau avec ses doigts. Il dévora sa part tel un animal vorace et se retrouva bientôt recouvert de crème. Le verdict du petit client ne tarda pas à tomber :
— Je préfère chocolat, mais c'est trop bon ! Tu gardes le reste pour moi, hein ?
— Tu ne vas quand même pas finir tout un gâteau à toi tout seul, le houspilla Clark.
Pour toute réponse, son fils hocha la tête et tapota son assiette afin de demander un nouveau morceau. Eleanor gloussa, attendrie par le louveteau. Même si elle refusait d'y penser, une part d'elle craignait qu'au fil des années, Marcus finisse par la détester. Comment réagirait-il lorsqu'il serait en âge de comprendre que le frère de la jeune fille avait tué sa mère ? Clark certifiait qu'elle n'avait pas à s'inquiéter, mais c'était un risque qu'elle ne pouvait écarter...
— Faudra en porter à Judi, déclara quand même le petit. Et à Tonton Rowan, il sera content.
La louve ne put résister à l'envie de lui ébouriffer les cheveux. Dans l'immédiat, ce petit était le plus adorable du monde. Et elle ferait tout pour être à la hauteur de son rôle de belle-mère. Elle ne pourrait jamais réparer les dégâts causés par Manik, or elle serait là pour Marcus chaque fois qu'il en aurait besoin. Sans avoir la prétention de remplacer sa vraie maman, elle essayerait au maximum de combler le vide qu'il ressentait.
Comme le petit garçon était concentré sur son gâteau, Clark en profita pour reprendre la main d'Eleanor et l'embrassa sur la joue. Elle se tourna vers lui et se demanda s'il n'avait pas lu dans ses pensées. Vu tout ce qu'ils partageaient, cela ne l'aurait pas étonnée.
Lorsqu'elle posa la tête sur son épaule, elle réalisa qu'il était bien plus que son fiancé, son âme soeur, ou son futur mari.
Il était sa famille.
Note de l'auteure :
On se retrouve normalement mardi pour l'épilogue, puis le dimanche 6 pour le chapitre bonus ! ❤️
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