Chapitre 38 - Deux danses, deux ambiances (2/2)
Clark se raidit comme un piquet et jeta à Rowan un regard plus tranchant qu'une épée. Eleanor se creusa la tête pour tenter de comprendre ce qui pouvait clocher, en vain. Qu'est-ce qu'il voulait lui dire ? Cela avait-il un rapport avec elle ? Avait-il pris peur de ses cicatrices ? Dans ce cas, peut-être qu'il n'avait désormais plus envie de la côtoyer ou...
— Je... Je voulais juste que tu m'accompagnes chercher d'autres gâteaux pour Marcus, bredouilla-t-il. On pourrait en mettre dans une boîte et en emporter pour le reste du voyage.
Rowan poussa un râle d'exaspération, et le Grand Alpha lui envoya un coup dans le flan. À quoi diable jouent-ils ?
— Quand le vrai bal sera ouvert, Clark voudrait vous inviter à danser, déclara son ami, les mains sagement croisées derrière le dos. Mais il a peur de se ridiculiser.
— Ce n'est pas ça, c'est juste que...
Le rouge lui monta aux joues, tandis que le coeur d'Eleanor s'emballait.
— Je... Je ne veux pas te mettre mal à l'aise, reprit-il. Je ne connais absolument pas les danses d'ici et...
— J'ai entendu dire que ce n'était pas très différent des valses ordinaires, le coupa Rowan. Tu devrais bien réussir à t'en sortir.
La jeune fille voulut le contredire, mais il lui jeta un drôle de regard. Les danses traditionnelles de la Terre du Rubis comportaient de sérieuses différences avec les valses ordinaires... Elle se sentit rougir rien qu'à l'idée d'en partager une avec Clark. Cependant, un autre sentiment, mélange d'excitation et d'une sensation inconnue, naquit dans son ventre.
— Si... Si cela peut te rassurer, les hommes n'ont pas grand-chose à faire, ajouta-t-elle. Il faudra juste... que tu me fasses confiance.
Bien que toujours un peu intimidé, l'idée ne parut pas lui déplaire. Quelques notes de violons leur parvinrent, signe que l'orchestre allait bientôt se remettre à jouer. Les gens se regroupèrent sur la piste, et cette fois-ci, les enfants restèrent sur les côtés.
— Donc tu... Tu voudrais bien danser avec moi ? l'interpella Clark.
Elle se tourna vers lui et ne put empêcher ses lèvres de s'étirer en un immense sourire. Elle accepta la main qu'il lui tendait, sous le regard satisfait de Rowan. Ce dernier adressa un petit clin d'oeil aux deux loups, qui lui valut des marmonnements gênés de la part du Grand Alpha.
— Je suis désolé, ce doit sûrement être l'invitation à danser la plus pitoyable que tu aies connu, regretta-t-il lorsqu'ils furent éloignés.
Elle prit soin de s'arrêter à un endroit assez reculé de la piste, là où Marcus et les autres ne pourraient pas les voir. De splendides guirlandes de fleurs multicolores et de lampions pendaient juste au-dessus d'eux.
— Au contraire, s'amusa-t-elle. C'est... C'est de loin la plus adorablement maladroite qu'on m'ait faite.
Et celle que j'avais le plus envie d'accepter, aurait-elle voulu compléter. Même quand Taresh lui avait demandé de danser avec lui, elle n'avait jamais ressenti une émotion si troublante. Celle-ci s'amplifia lorsqu'il fit mine d'approcher une main de sa taille.
— Nous devons commencer la danse sans nous toucher, l'arrêta-t-elle. Place ta main face à la mienne.
Elle regretta ce manque de contact, avant de se rappeler qu'il ne serait que de courte durée. Il leva la main comme elle le lui avait demandé, au moment où une lente musique démarrait.
— Et ensuite ? s'enquit-il en jetant un coup d'oeil aux autres couples. Qu'est-ce qu'on est censés faire ?
— Il faut juste que nous tournions, en gardant nos mains bien en face. Une fois que nous aurons fait deux tours, nous tournerons de l'autre côté et changerons de main.
Ses explications le laissèrent perplexe, mais il s'exécuta du mieux possible.
— C'est moins énergique que je l'aurais imaginé, déclara-t-il lorsqu'ils eurent fait leurs tours. Je vais peut-être demander à ce que ces danses soient jouées plus souvent sur la Terre du Diamant.
Elle gloussa, à l'instant où la musique s'accélérait un peu. Elle lui fit signe de placer ses deux mains face aux siennes, sans cesser de tourner doucement. Soutenir son regard était à la fois grisant et déstabilisant, surtout quand elle savait ce qui les attendait...
Au bout de quelques secondes, elle laissa ses doigts entrer en contact avec les siens, ce qui parut un peu le surprendre.
— Maintenant, tu peux poser une main sur ma taille, sans trop me rapprocher de toi.
Comme sa tenue ne la couvrait pas à cet endroit-là, il fut amené à toucher sa peau nue. Elle s'attendit presque à ce qu'il retire sa main, perturbé par le contact avec ses cicatrices. Cependant, il témoigna simplement d'une légère inquiétude :
— Est-ce que... Ça te fait toujours mal ?
Ils entamèrent ce qui ressemblait à une valse classique, et il parut nettement plus à l'aise. Il savait comment accorder ses pas, de façon à ne pas marcher sur les pieds de sa cavalière.
— Non, ne t'inquiète pas, lui assura-t-elle, touchée par sa sollicitude. Ça me rend juste affreuse, mais autrement... Ce n'est pas du tout gênant.
Il la fixa comme si elle avait prononcé une ignominie, mais la mélodie ne lui laissa pas le temps de répondre. Les sons des instruments devinrent plus graves, tandis qu'Eleanor indiquait à Clark de la faire tourner sur elle-même. Quand elle revint vers lui, elle se rapprocha davantage et passa les bras autour de son cou. Elle était désormais si près que sa poitrine touchait son torse et que leurs visages n'étaient qu'à une dizaine de centimètres.
— Tu... penses pouvoir me porter ? s'enquit-elle un peu timidement. Je suis censée sauter, puis tu me rattrapes en entourant mes cuisses.
Elle se rappela alors qu'il l'avait déjà portée lors de sa crise de larmes, pour l'amener jusqu'à sa tente. Sa demande lui fit toutefois légèrement écarquiller les yeux.
— Bien sûr. Mais il ne faut surtout pas que ça t'embête...
Elle secoua la tête, puis sauta en même temps que les autres danseuses. Clark n'eut aucun mal à la soulever et pendant quelques secondes, les pieds de la jeune fille ne touchèrent plus le sol. Sentir ses bras autour du haut de ses cuisses lui provoqua une sensation délicieuse, qui ne manqua pas de la surprendre.
Lorsque les notes de violon redescendirent, il la reposa tout doucement, sans s'écarter d'elle. Le souffle court, elle ne fit rien non plus pour mettre davantage de distance entre eux. À l'inverse, elle eut la folie de lui faire une autre proposition :
— Si tu veux, tu... Tu peux mettre tes deux mains sur mes hanches et... Laisse-les m'accompagner quand je vais bouger.
Même si le soleil s'était presque éclipsé, prononcer ces mots lui donna horriblement chaud. Rien ne s'arrangea lorsqu'il fit glisser ses mains, après avoir marqué une hésitation. Elle nota qu'il se contentait de la frôler, comme s'il s'interdisait de vraiment la toucher.
La musique prit des inflexions plus sensuelles, lui indiquant que les choses sérieuses – ou déraisonnées – arrivaient. Elle commença à remuer ses hanches dans un mouvement de huit un peu hésitant, ne sachant trop comment Clark allait réagir. Elle effleurait son bassin à chaque ondulation, tandis que ses bras étaient toujours enroulés autour de son cou. Complètement muet, il se contentait de regarder ses mains, dont la prise sur elle se faisait un peu plus ferme.
Il paraissait avoir oublié comment respirer, et à vrai dire, elle aussi avait l'impression de manquer d'air. Néanmoins, cela n'avait rien de désagréable. Au contraire, quelque chose la poussa à laisser la mélodie la guider et à rouler les hanches plus franchement.
— Tu peux me dire si... Si ça te gêne, murmura-t-elle comme il ne disait plus rien. Je sais que les loups du Diamant n'ont pas l'habitude de danser en étant aussi proches et...
Le reste de sa phrase mourut sur ses lèvres. Elle ignorait complètement quoi ajouter. Il leva les yeux vers elle et son sang pulsa encore plus vite dans ses veines. Derrière ses lunettes, son regard se faisait presque lointain, comme s'il peinait à croire que tout était vraiment réel.
— Non, je... Tu...
Il la regarda sans pouvoir dire quoi que ce soit. Or l'éclat intense qui brûlait dans ses yeux valait plus que n'importe quel mot.
Lorsqu'il la contemplait de cette façon, elle se sentait tout sauf affreuse. Il lui donnait même une assurance incroyable, puisqu'il ne regardait qu'elle. Ses iris transparents oscillaient entre ses yeux et ses lèvres, qui n'avaient jamais été aussi près des siennes.
Elle avait pleinement conscience de leurs corps qui se rencontraient, et qui avaient de plus en plus de mal à s'éloigner. Ses propres mouvements faisaient naître en elle des idées insensées, dont elle ne se serait jamais crue capable. Elle avait toujours détesté entendre dire que la danse pouvait être synonyme de séduction. Jusque-là, ce n'avait été pour elle qu'une manière de s'amuser et jamais elle n'avait eu de pensées déplacées avec ses partenaires. Désormais, elle imaginait leur proximité dans de toutes autres circonstances et... N'en ressentait presque aucune honte.
La possibilité que Clark pense à la même chose qu'elle aurait dû la gêner, mais elle en venait à espérer qu'il se soit perdu dans des songes similaires. À son regard à la fois brillant et un peu distrait, elle saisit qu'il y avait de fortes chances pour que ce soit le cas...
Elle ne s'écarta que pour effectuer un demi-tour et terminer la danse adossée contre lui, une main dans la sienne. Quand la musique s'arrêta, elle réalisa à quel point son coeur battait fort. Chaque pulsation résonnait à ses oreilles, si vite que cela manqua de l'étourdir. Elle pivota de nouveau afin de se retrouver face à Clark, qui semblait tout aussi hébété qu'elle.
— Eh bien, souffla-t-il. Je n'aurais jamais pensé que...
Il ne termina pas, mais elle aurait pu compléter à sa place. Qu'une simple danse pouvait provoquer un tel effet. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir des années de pratique derrière elle.
Avec lui, tout ce qu'elle faisait prenait un sens différent.
Ne trouvant rien à dire, elle tourna la tête de tous les côtés, à la recherche de Rowan et Judith. Elle peinait à retrouver ses esprits et avait du mal à se rappeler qu'ils n'étaient pas seuls. Même si elle ne touchait plus Clark, ses pensées refusaient de retrouver de l'ordre.
— On... On ferait peut-être bien d'aller rejoindre les autres, bredouilla-t-elle pour se donner une contenance.
Ce n'était pas qu'elle n'avait plus envie de danser avec lui, loin de là... Cependant, elle n'était pas certaine que ce soit une très bonne idée pour le peu de raison qu'il lui restait.
Ils traversèrent la foule, en ignorant les couples qui s'embrassaient et riaient autour d'eux. Il leur fallut quelques minutes pour mettre la main sur leur groupe, qui s'était retiré près d'une rue donnant sur la place.
— Tonton Rowan est méchant ! s'écria Marcus dès qu'il vit son père. Je voulais te voir danser avec Elanor, mais il a pas voulu me porter ! Et pourquoi vous être partis si loin ?
Même si elle avait toujours le rouge aux joues, ces remarques apaisèrent un peu la jeune fille. Au moins, personne de leur connaissance ne les avait vus... Sauf si ton frère laisse toujours ses espions traîner dans le coin, lui rappela une voix sournoise. Elle n'avait pas oublié les avertissements de Manik, mais ce n'était certainement pas lui qui allait l'empêcher de faire ce qu'elle voulait.
— Tu as l'air d'avoir de la fièvre, fit Rowan à l'adresse de son ami. Tu veux que je t'apporte un petit rafraîchissement ?
Son ton faussement innocent n'avait échappé à personne, et Eleanor se demanda si elle n'allait pas rester écarlate jusqu'à la fin de sa vie. Rowan écopa de nouveau d'un regard noir, mais Clark ne répliqua rien d'autre.
— Tu ne préfères toujours pas qu'on rentre à l'auberge ? interrogea-t-il Marcus. Il est tard et...
— Il faut d'abord que nous fassions la promenade en barque, l'interrompit Rowan. Il paraît que c'est absolument immanquable lorsqu'on vient ici !
Judith confirma ses paroles par un hochement de tête appuyé. Le Grand Alpha étudia son ami, comme s'il cherchait à déceler si tant d'enthousiasme cachait quelque chose.
— Et je suis pas fatigué ! intervint Marcus. C'est où qu'il y a barques ?
— Des charrettes peuvent apparemment nous emmener jusqu'au bord d'une rivière, répondit Philip. C'est là-bas que nous embarquerons pour faire... Je ne sais trop quoi, au juste.
Bien que toujours troublée, l'évocation de la promenade en barque aida Eleanor à se reconcentrer. Elle avait déjà eu l'occasion d'assister à cette tradition, qui avait lieu dans de nombreux villages.
— Nous devrions y aller, approuva-t-elle. Nous rentrerons juste après.
Clark finit par se ranger de leur avis, puis ils s'éloignèrent de la place.
Au fur et à mesure que la musique disparaissait derrière eux, la louve retrouva peu à peu ses esprits. Plus elle réalisait ce qui venait de se passer, plus un drôle de sentiment s'emparait d'elle. Trop de choses s'étaient bousculées pendant cette danse. Pourtant, elle avait encore l'impression que cela ne suffisait pas.
Elle aurait dû s'empêcher de penser ainsi, mais elle se surprit à espérer que la soirée ne faisait que commencer...
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