Chapitre 38 - Deux danses, deux ambiances (1/2)
Si Eleanor avait déjà eu l'occasion d'assister à de splendides fêtes, celle de Sankana les dépassait toutes haut la main.
La veille, elle avait eu un bel aperçu des préparatifs, mais les organisateurs semblaient avoir travaillé toute la nuit. Des dizaines de couronnes de fleurs avaient été rajoutées sur les façades, de même que des peintures murales aux motifs célestes. Des soleils d'un jaune incroyablement lumineux avaient été représentés à tous les coins de rues, ainsi que des lunes argentées. Il était difficile de se dire que les prochaines pluies feraient sûrement disparaître tout ce travail, et détruiraient les pétales de chaque plante.
En attendant, tout le monde profitait de ces merveilles, mises en valeur par un temps idéal. Le ciel de milieu d'après-midi était d'un bleu limpide, avec pour seul habitant un soleil radieux. Il faisait resplendir les décors du village, sans être trop brûlant. Cela arrangeait bien la jeune fille, qui espérait que les fleurs glissées dans ses cheveux ne flétriraient pas trop vite.
— Faites attention à pas courir, vous allez perdre fleurs ! lança Marcus à l'intention de Judith et Eleanor.
Dès qu'il en avait eu fini avec la tresse de la louve, il avait sauté sur sa gouvernante pour parsemer ses cheveux de jolis pétales blancs. Eleanor avait débarrassé la Neutre d'un surplus de quelques fleurs, qui la faisait presque ressembler à un bosquet. Elle était désormais très belle, dans sa jolie tenue bleue qui lui allait comme un gant.
— Ne t'inquiète pas, elles sont normalement bien accrochées, le rassura Judith.
Tout sourire, le petit garçon lâcha leurs mains, pour agripper celle de son père. Celui-ci marchait juste devant eux, en compagnie de Rowan et Philip.
— On va chercher gâteaux, hein ?
Bien qu'il ne soit pas encore l'heure de manger, le louveteau prétendait déjà mourir de faim. Les adultes le soupçonnaient surtout d'être gourmand, et de vouloir se gaver de sucreries...
— On va d'abord essayer de trouver les petits spectacles, lui expliqua son père. Nous irons ensuite vers les vendeurs de nourriture, puis nous verrons bien ce qu'il reste à faire.
— Judi elle m'a dit qu'on pourrait danser ! Sa robe elle va être trop belle quand elle va tourner ! Et celle d'Elanor aussi !
Cette dernière avait finalement décidé de ne pas s'encombrer d'un châle, ou d'une veste par-dessus sa tenue. L'absence de réaction de Marcus l'avait d'abord encouragée, puis celle de Judith aussi. La gouvernante n'avait cherché à lui poser aucune question, et n'avait pas changé d'attitude en s'adressant à elle. Elle devait bien sûr se demander ce qui lui était arrivé, mais son horrible peau n'avait pas semblé lui inspirer trop de dégoût.
En la voyant, Rowan et Philip avaient légèrement cillé, sans toutefois paraître trop choqués. Cela avait fini de la rassurer. Elle savait qu'elle aurait dû se moquer de l'avis des gens, or elle ne pouvait s'en empêcher. À présent qu'ils étaient au milieu de la foule, il y avait trop de monde pour que quiconque fasse attention à elle.
— Rowan ! brailla le petit garçon. Je peux monter sur toi ? T'es plus grand que papa.
Depuis qu'ils avaient quitté l'auberge, il ne cessait de parler à tout va et de sauter comme une grenouille. Même si son enthousiasme finissait par leur donner le tournis, personne n'avait le coeur à lui demander de se calmer.
— Vos désirs sont des ordres, jeune chevalier, fit Rowan en s'accroupissant.
Il se releva une fois le petit bien installé sur ses épaules.
— Y'a tout qu'est encore plus beau vu comme ça ! s'exclama Marcus en admirant les guirlandes colorées qui pendaient entre les bâtiments. Papa et Philip aussi vous êtes beaux !
Eleanor en venait presque à se demander s'il n'avait pas découvert le mot "beau" dans la journée, puisqu'il le répétait au moins toutes les cinq minutes. Néanmoins, il fallait bien admettre que Clark avait l'air... Elle n'avait même pas les mots.
Il était certes toujours très séduisant, mais lorsqu'elle l'avait retrouvé dans le couloir de l'auberge, elle avait presque eu l'impression de le voir pour la première fois. Il s'était vêtu de sa nouvelle veste bleu foncé, qui changeait un peu de ce qu'il avait l'habitude de porter. Celle-ci était ornée de très fines broderies, réalisées en fil doré. Cela lui donnait des airs princiers, si bien que la jeune fille avait été gagnée par une drôle de pensée : il ressemblait exactement au fiancé qu'elle aimait s'imaginer quand elle était petite.
Si l'on rajoutait ses légères bouclettes, qui semblaient d'humeur à animer ses cheveux bruns, ainsi que l'éclat si rare de ses yeux, alors... Certains prétendaient que le roi des vampires était le plus bel homme du monde, or elle doutait qu'il arrive à la cheville de Clark.
— Et moi, je suis laid comme un buisson ? s'enquit Rowan, faussement vexé. Je suis le seul à qui tu n'as rien dit !
Il paraissait avoir décidé de faire un effort pour la journée, puisqu'il affichait presque le même entrain que Marcus. Lui et le Grand Alpha ne s'échangeaient pas plus de quelques mots, mais au moins, aucun ne boudait dans son coin.
— Mais non ! rit le petit garçon. T'es beau aussi ! T'es même beau comme un cheval !
Eleanor gloussa, imitée par Judith et Philip.
— Un cheval ? répéta le concerné, perplexe. J'imagine qu'il existe bien une lointaine contrée où il s'agit d'un compliment...
Ils poursuivirent leur route au gré des remarques du louveteau. Ils ne tardèrent pas à percevoir des airs de musique, qui devinrent de plus en plus forts. Eleanor se hissa sur la pointe des pieds pour tenter d'apercevoir quelque chose, mais Marcus servit de guide :
— Là-bas y'a gens qui dansent ! s'écria-t-il depuis son perchoir.
Ils suivirent la direction qu'il indiquait, poussés par la masse de curieux qui se pressaient autour d'eux. Lors de sa sortie au marché de Bois-Lunaire, quelques semaines auparavant, la louve avait déjà trouvé qu'il y avait du monde, or ce n'était rien comparé à cette foule-là. Elle n'avait plus à craindre d'être retrouvée par son frère, mais elle n'oubliait pas que Clark était le Grand Alpha... Son visage n'était certes connu que par quelques riches loups-garous, qui avaient déjà eu l'occasion d'être invités au palais. Cependant, il n'était pas impossible que certains soient en séjour ici. Après tout, Eleanor avait bien croisé une ancienne domestique de sa soeur à bord d'une petite péniche...
Elle prit sur elle pour calmer ses craintes et essayer de profiter du moment. Quand bien même Clark se ferait-il reconnaître, elle doutait que cela déclenche une émeute. Il y avait aussi peu de chances qu'il se fasse agresser, et si besoin, elle n'hésiterait pas à intervenir. Raison pour laquelle tu dois rester vigilante, lui rappela sa conscience. Le brouhaha omniprésent ne l'aidait pas vraiment à se détendre, puisqu'elle n'y était absolument plus habituée. Même si elle avait multiplié les sorties au cours des dernières semaines, il lui arrivait encore de regretter le calme de sa tour, nichée au beau milieu des bois.
Toutefois, lorsqu'ils s'approchèrent d'une petite estrade où tournoyaient des danseurs, le bruit ne devint plus qu'un léger détail.
Les femmes portaient des tenues similaires à celles d'Eleanor et Judith, mais semblaient encore plus travaillées. Des perles et sequins dorés étaient incrustés dans les tissus aux couleurs vives, qui voletaient au gré de leurs ondulations. La plupart des danseuses ne portaient pas de chaussures, mais seulement de jolis bracelets qui cliquetaient à leurs chevilles. Leurs cheveux noirs, presque aussi longs que ceux de la jeune fille, étaient détachés et suivaient avec fougue chacun de leurs mouvements.
Quant aux hommes, la plupart ne portaient qu'un pantalon ample et un simple gilet par-dessus leur torse nu. Ils effectuaient des pirouettes assez acrobatiques, qui impressionnaient tout le monde, en particulier Marcus.
— Ils vont se casser en deux ! Comment ils font ça ? Papa, tu sais pas danser comme ça, toi !
Clark marmonna quelque chose dans sa barbe, visiblement peu content d'avoir été affiché de la sorte. Eleanor s'en rendit à peine compte, trop fascinée par les danseuses. Les voir bouger ainsi, tout en entendant la musique, lui donnait une irrésistible envie de se joindre à elles. À une époque, elle aussi savait danser comme ça. Elle rêvait même de ne faire que ça toute sa vie. Maintenant, tu serais beaucoup trop rouillée, songea-t-elle avec amertume. Ses six années d'entraînement lui avaient permis d'acquérir ses compétences de Chasseuse, mais lui avaient sûrement fait perdre celles de danseuse...
Ils assistèrent à divers petits spectacles, répartis dans différentes rues. Elle avait beau ressentir un petit pincement au coeur en admirant toutes ces danses, Eleanor ne voyait pas le temps passer. Quand Marcus réclama de nouveau à manger, elle crut que son père allait encore lui demander de patienter. Or apparemment, l'heure était déjà arrivée, voire un peu dépassée.
— Je crois avoir vu des marchands de nourriture de ce côté-ci, fit Rowan en désignant une ruelle.
Le petit garçon devait commencer à peser sur ses épaules, pourtant il le portait toujours sans se plaindre. Clark et Philip lui avaient plusieurs fois proposé de prendre le relais, mais il s'était borné à refuser. Il ne le posa au sol que lorsqu'ils s'assirent sur le bord d'une fontaine, afin de déguster de délicieuses brochettes. Ils avaient acheté celles-ci auprès d'un gentil cuisinier, qui les avaient grillées et épicées sous leurs yeux.
Marcus resta silencieux pendant toute cette petite pause, dévorant ses morceaux de poulet avec appétit. Il réclama ensuite un dessert, qui se composa de pâtisseries aux pistaches, très bonnes, mais aussi très sucrées.
— Si tu es fatigué, nous pouvons rentrer à l'auberge, lui proposa Clark.
— Non ! Faut aller danser maintenant ! Et voir si on trouve chocolats, on en a pas encore mangé !
Pour le louveteau, une journée passée sans manger de chocolat était une journée de perdue. Ce n'était certainement pas Eleanor qui allait contredire sa manière de penser...
Ils trouvèrent les tant désirées sucreries quelques mètres plus loin, et personne ne se priva pour demander au Grand Alpha d'en acheter. Chacun mangea une savoureuse sucette au chocolat, puis ils se choisirent différents jus de fruit. Ils les sirotèrent sous les rayons du soleil déclinant, tout en se dirigeant vers de nouveaux airs de musique.
Ils retrouvèrent bientôt la place près de laquelle se trouvait la Galerie Lunaire. Les marchands de la veille s'étaient déplacés pour permettre l'aménagement d'une piste de danse. Un petit orchestre jouait des mélodies entraînantes, ce qui avait encouragé certains à ouvrir le bal. Les gens ne dansaient évidemment pas aussi bien que les véritables danseurs, mais tous semblaient beaucoup s'amuser.
— Judi, tu veux bien y aller avec moi ? s'enquit Marcus de son air le plus mignon. Ou Elanor ?
Il fixa alternativement les deux jeunes filles, qui échangèrent un regard. La gouvernante ne semblait pas très réjouie à l'idée de danser au milieu de tout le monde, or elle finit par proposer :
— Je peux faire une première danse avec toi, puis Eleanor prendra le relais. Cela te convient ?
Même si sa question s'adressait au petit, elle prit la peine de concerter la louve. Celle-ci hocha la tête, puis ils observèrent Marcus et Judith se diriger vers le centre de la place. Le petit se mit aussitôt à sautiller comme un cabri à côté de la Neutre, qui ne paraissait pas très à l'aise. Le louveteau lui tira le bras pour qu'elle le fasse tourner, avant de crier en tapant des mains.
— Pauvre Judith, elle mériterait bien qu'on lui triple son salaire, soupira Rowan. Elle devait rêver qu'un beau loup charmant l'invite à danser, et voilà qu'elle se retrouve avec un feu follet déchaîné...
Clark voulut aller récupérer le petit, mais Eleanor annonça qu'elle allait plutôt rejoindre Judith. La perspective de danser lui plaisait, mais elle ressentait aussi une drôle d'appréhension. Peut-être qu'après toutes ces années, elle n'aimerait plus du tout cela ? Peut-être que des souvenirs, notamment ceux de ses moments passés avec Taresh, lui reviendraient en mémoire ? Peut-être que son innocence s'était définitivement envolée et qu'elle ne pourrait plus profiter de rien.
Toutefois, quand elle fendit la foule pour se rapprocher de Marcus et Judith, elle se sentit gagnée par d'agréables fourmillements. La musique, bien plus forte au centre de la place, sembla envoyer des étincelles d'énergie à travers tout son corps. Cela lui donnait une irrésistible envie de suivre son rythme, écouter les pas qu'elle lui dictait, s'abandonner aux notes entraînantes...
— Elanor ! s'exclama Marcus en la repérant. Regarde comme je danse bien !
Le petit se mit à tourner sur lui-même en sautillant et en envoyant ses bras dans tous les sens. Cela fit gentiment rire d'autres danseurs, qui effectuaient des gestes presque tout aussi hasardeux que les siens. L'heure des danses en couple n'était pas encore arrivée, alors chacun pouvait se remuer comme bon lui semblait.
— Tu sais danser, toi ? demanda le louveteau à Eleanor. Judi elle sait pas faire !
La gouvernante ne parut guère offusquée, et porta son attention sur la jeune fille. Au même moment, un nouveau morceau démarra. Même si cela faisait des années qu'elle ne l'avait pas entendu, la louve le reconnut aussitôt. Lorsqu'elle avait environ quatorze ans, elle avait inventé toute une chorégraphie pour danser dessus.
— Oh... Eh bien... Il doit me rester une ou deux bases.
Elle débuta par des pas hésitants, les hanches un peu raides. La musique commençait plutôt doucement, ce qui encourageait à des ondulations assez sensuelles, or elle jugea préférable de s'adapter à son public... Face à Judith et au petit garçon, elle se contenta de petits mouvements sages, qu'elle avait appris lorsqu'elle était enfant. Marcus tenta de les reproduire un peu maladroitement, ce qui la fit éclater de rire.
— Tu ne t'en sors pas si mal, le complimenta-t-elle avec un clin d'oeil. Prépare-toi pour la suite, ça va aller un peu plus vite...
Et effectivement, la musique s'accéléra, l'encourageant à complètement se laisser aller. Elle se rappela des pas qu'elle avait imaginés pour cette mélodie et résista à l'envie d'enlever ses chaussures. Elle tourbillonna, la musique l'ayant envahie toute entière, de ses chevilles jusqu'au bout de ses doigts.
Les morceaux s'enchaînèrent sans qu'elle ne voie le temps passer, le petit garçon ne paraissant jamais se fatiguer. Judith les avait quittés au bout de la troisième danse, le talon de l'un de ses souliers s'étant cassé. Eleanor jetait de temps à autre des coups d'oeil vers le bord de la piste, pour vérifier que les autres n'avaient pas envie de partir. À un moment, elle crut remarquer une discussion animée entre Clark et Rowan. Rêvait-elle ou étaient-ils encore en train de se disputer ?
Elle profita d'une pause prise par l'orchestre pour revenir vers le petit groupe. Elle dut attraper Marcus par la main afin qu'il consente à la suivre, le louveteau n'ayant aucune envie de partir.
— Tu dois bien avoir mal aux pieds, non ? l'interpella-t-elle avec un sourire.
Il était de loin le compagnon de danse le plus énergique qu'elle avait jamais connu ! Elle-même commençait à sentir des brûlures au niveau de ses orteils, où des ampoules fleuriraient à coup sûr. Elle s'était aussi tellement remuée que quelques mèches s'étaient échappées de sa tresse.
— Un peu, admit-il. Mais c'est trop bien ! Faudra dire à papa de faire fêtes comme ça à la maison !
La louve imaginait qu'entre le décès de sa mère et celui de son grand-père, il n'avait pas tellement eu l'occasion d'assister à des événements très joyeux...
Quand ils arrivèrent près de Clark et son meilleur ami, ceux-ci interrompirent aussitôt leur conversation. Marcus se dirigea vers Judith et Philip, qui s'étaient assis près d'un stand de sucreries. Eleanor s'apprêtait à demander aux deux loups pourquoi ils se disputaient, quand Rowan la devança :
— Clark a quelque chose à vous dire.
Note de l'auteure :
Ne m'en voulez pas trop pour cette coupure, promis la suite arrive bientôt ! Si vous voulez je peux vous la poster un peu en avance, dimanche ou lundi (au lieu de mercredi) 😁💖
Mine de rien, on se rapproche doucement de la fin ! Je n'ai pas encore fini d'écrire tous les brouillons, donc je ne sais pas exactement combien de chapitres il reste, mais je vous préviendrai à l'avance quand il n'en restera plus beaucoup. Pour l'instant, je pense qu'il en reste au moins 8 ou 9, sans compter l'épilogue et... un chapitre bonus 😇 Ça ne paraît peut-être pas beaucoup, mais il va se passer pas mal de petites choses dans les prochains (et croyez-moi, les persos vont avoir hâte que je les laisse tranquilles 😂)
Merci à vous et à très vite ! 😘❤️
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