Chapitre 37 - Les raiponces

— Eleanor ? Vous êtes là ?

L'interpellée se dirigea vers la porte de sa chambre. Ayant reconnu la voix de Judith, elle ne fut pas surprise de la trouver en ouvrant le battant.

Elle fut toutefois étonnée de voir ses bras chargés de tissus.

— Nous sommes sortis au village acheter des vêtements pour cet après-midi. Je me suis dit qu'il vous fallait une tenue aussi, alors nous nous sommes permis de vous en choisir une. J'avais peur qu'il n'en reste plus quand vous seriez levée.

La louve avait en effet passé presque toute la matinée à dormir. Sa sortie de la veille, à la découverte de Sankana et sa Galerie Lunaire, ne l'avait pas tant fatiguée que les jours précédents. Comme ils devaient chaque fois se lever aux aurores pour prendre le départ le plus tôt possible, elle avait accumulé un certain retard de sommeil. Elle avait profité de cette nuit complète à l'auberge afin de se reposer, sans se douter qu'elle raterait quelque chose.

— Oh, vous... Vous n'auriez pas dû, bredouilla-t-elle, infiniment touchée. C'est vraiment adorable d'avoir pensé à moi.

Elle se confondit en remerciements, peu habituée à de telles marques de gentillesse. Elle s'écarta de l'embrasure pour laisser passer la Neutre, qui déposa les vêtements sur le lit.

— Je vous ai aussi apporté celle que j'ai prise pour moi, au cas où vous la préfèreriez, fit-elle en dépliant une tenue bleu pâle. 

L'ensemble se composait d'un haut court à bretelles, ainsi que d'une longue jupe incrustée de petites pierreries scintillantes.

— Monsieur Clark a dit que vous préfèreriez l'autre, ajouta Judith en lissant la seconde tenue. Mais ça ne m'embête pas du tout d'échanger si vous aimez mieux le bleu.

Eleanor posa les yeux sur une jupe similaire à la première, mais qui se teintait d'un rose flamboyant, tirant sur le violet. Des fils brillants paraissaient glissés dans le tissu, et de fines dentelles et broderies se superposaient sur plusieurs épaisseurs. Le haut, séparé de la jupe, était de la même couleur. Des petites pierres y étincelaient d'un splendide éclat, le rendant aussi travaillé que le bas.

— C'est... C'est vraiment magnifique, souffla-t-elle. Cela a dû vous coûter une fortune, surtout qu'il ne devait pas en rester beaucoup et...

— Ne vous en faites pas, c'est le Grand Alpha qui s'est chargé de tout payer. J'étais un peu gênée aussi, mais il a vraiment insisté. Tout le monde sera habillé avec ce genre de vêtements, il serait dommage que nous soyons les seules à avoir des habits ordinaires.

Il était vrai que cette tenue finement cousue différait des robes habituelles d'Eleanor. Plus personne ne lui avait fait de remarques sur son penchant pour la dentelle et les volants, toutefois plus elle sortait, plus elle sentait que ses goûts n'étaient pas tout à fait à la mode...

— Il n'y avait pas de hauts à manches longues ? demanda-t-elle avec inquiétude en fixant les bretelles. Ou même de robe... une pièce ?

Elle était bien placée pour savoir que ce genre de tenues étaient habituelles sur la Terre du Rubis, puisqu'elle en avait porté de nombreuses pendant sa jeunesse. Cependant, cela l'obligerait à dévoiler son ventre, une bonne partie de son dos, ainsi que ses bras. Et il n'est pas question que quiconque te voit comme ça.

— Je ne crois pas. Mais si vous avez peur d'avoir froid, vous pourrez toujours emporter un châle ou en acheter un.

La louve considéra l'idée, et décréta qu'elle n'était pas si terrible. Elle remercia une nouvelle fois la gouvernante, qui repartit avec ses vêtements bleus sous le bras. Eleanor n'avait rien contre cette couleur, mais il était vrai qu'elle préférait largement le rose. Elle songea que depuis qu'elle avait quitté sa tour, elle n'en avait que rarement porté. Comment Clark avait-il su faire le bon choix ?

Elle y réfléchit pendant qu'elle se changeait, sans parvenir à deviner la réponse. Son haut accapara bientôt toute son attention, puisqu'elle peinait à le fermer. Lorsqu'elle y parvint, elle réalisa que Judith avait sous-estimé la taille de sa poitrine, qui s'en retrouvait trop comprimée. En plus d'être inconfortable, cela faisait déborder ses seins du décolleté. Elle ignorait si elle devait s'en sentir gênée, ou si cela la mettait en valeur. Elle qui prenait toujours soin de porter des cols couvrants, voilà qu'elle devait s'adapter à l'extrême opposé...

Néanmoins, la jupe lui seyait à merveille. Elle était correctement ajustée au niveau de ses hanches et lui tombait jusqu'aux chevilles. Lorsqu'elle essaya de tourner sur elle-même, le tissu produisit un bruit léger et chantant, qui lui rappela ses anciennes robes de soirée.

En se regardant dans le miroir, elle éprouva un léger sentiment de nostalgie. Autrefois, elle adorait mettre ses plus belles tenues, et imaginer quelle jupe s'animerait le mieux lorsqu'elle danserait. Elle n'avait alors pas à se poser la question de savoir quelle robe la couvrirait le plus. Désormais, lorsqu'elle voyait les horreurs qui recouvraient son ventre nu, ses bras, et même le haut de son décolleté... Cela lui donnait presque envie de pleurer.

Ravalant ses états d'âme, elle ouvrit son sac de voyage pour y chercher un châle. Elle avait bien dû emporter quelque chose qui ferait l'affaire, non ? Serait-ce exagéré si elle demandait à Judith d'aller lui en trouver un ? Il lui était impossible de se balader ainsi dans les rues, ou ne serait-ce que de quitter sa chambre. Tout le monde la regarderait de travers et...

Ses doigts rencontrèrent du papier, ce qui l'interpella. Elle savait n'avoir emporté aucun livre, et ce n'était pas elle qui conservait leurs cartes. Lorsqu'elle sortit un petit paquet de lettres, tout s'éclaira.

Au moment de faire ses bagages, avant de quitter le palais du Grand Alpha, elle avait repéré quelque chose sur sa table de chevet. Il s'agissait de la correspondance échangée par son père et l'ancien dirigeant, à propos de ses fiançailles. Clark lui avait donné ces lettres au cas où elle souhaiterait les lire, ou les détruire. Elle les avait cependant laissées traîner à côté de son lit, sans avoir le courage de les ouvrir. Elle ignorait exactement pourquoi elle avait décidé de les emporter sur la Terre du Rubis.

Peut-être pour définitivement enterrer cette histoire là où elle avait commencé.

Comme il lui restait encore du temps avant d'aller rejoindre les autres, elle s'assit sur le bord de son lit. Elle examina rapidement les premières enveloppes, qu'elle avait déjà ouvertes en compagnie de Clark. Elles concernaient l'élaboration des fiançailles et les règles que son père et l'ancien Grand Alpha avaient fixées. Les suivantes n'étaient que des échanges courtois entre les deux parents, qui se donnaient mutuellement des nouvelles de leurs enfants.

Quand Eleanor vit le père de Clark prétendre que son fils allait "parfaitement bien", elle serra les dents. Il affirmait ensuite que le futur dirigeant suivait avec "assiduité, discipline et intérêt" les cours de ses professeurs, et qu'il disposait du "meilleur environnement et des meilleures conditions possibles" pour préparer l'accession à son titre. Tant de mensonges et d'hypocrisie, maintenant qu'elle savait ce que Clark avait subi, la mettait dans une rage folle.

Les dernières lettres ne l'aidèrent pas à se calmer, puisqu'elles concernaient la rupture des fiançailles. L'ancien Grand Alpha avait conservé un double de celle qu'il avait envoyée à l'alpha du Rubis, six ans auparavant.

« Je viens d'apprendre une nouvelle des plus fâcheuses, qui m'oblige à vous écrire sur-le-champ. Depuis quelques jours, la rumeur enfle que votre fille, promise en mariage à mon cher fils, aurait fait preuve de légèreté avec un autre homme.

Bien entendu, j'ai pris la peine de m'assurer qu'il ne s'agissait pas que de simples racontars, lancés par une jeune inconnue jalouse et désespérée. Toutes mes sources, dont certaines très proches de votre famille, m'ont confirmé cette triste découverte.

Je ne peux vous cacher ma déception, tant à votre égard qu'à celui de votre fille. J'avais espéré que vous sauriez lui fournir une éducation et un encadrement rigoureux, de manière à ce qu'elle sache se comporter comme une dame de son rang. J'ai personnellement veillé à ce que mon propre fils soit digne du titre qu'il portera un jour. J'estime que cela fait partie du devoir de chaque parent, d'autant plus lorsqu'ils jouent un rôle si fondamental dans notre société. »

Eleanor se croyait en proie à une hallucination. Avec tout ce qu'il avait fait à sa famille, le père de Clark se permettait donc de donner des conseils parentaux ?

« Je ne souhaite toutefois pas vous accabler, puisque j'imagine déjà l'ampleur de votre déception. Aucun père ne devrait avoir à supporter une fille au comportement si décadent et indécent que la vôtre. Le libertinage dont a fait preuve votre Eleanor, en s'offrant à un apprenti soldat de bas étage, est absolument inacceptable. J'espère que vous saurez lui infliger une correction adaptée à la hauteur de sa faute. Si vous avez besoin, je connais d'excellents endroits, réservés aux âmes égarées, qui lui feront passer ses envies de débauche. »

Si elle comprenait bien, la louve devait presque remercier son père de ne pas l'avoir traînée dans l'un de ces lieux...

« Évidemment, vous devez vous douter qu'en de pareilles circonstances, les fiançailles entre votre fille et mon cher Clark sont annulées, et cela de manière irrévocable. Maintenant que l'opprobre s'est abattue sur votre Eleanor, il est hors de question que mon fils y soit associé. Un homme, qui plus est un futur Grand Alpha, ne peut se permettre d'épouser une femme aux mœurs aussi légères que votre fille.

Comment un simple soldat pourrait-il se vanter d'avoir eu quelque chose avant son dirigeant suprême ? Quelle serait la valeur de notre titre si n'importe quel homme pouvait posséder notre femme ? Vous savez aussi bien que moi que c'est impossible, et j'en appelle donc à votre compréhension, ainsi qu'à votre bon sens.

En vous souhaitant bien du courage pour affronter ces moments difficiles et humiliants,

Monsieur le Grand Alpha, Arthur du Diamant »

Eleanor avait envie de broyer cette lettre en mille petits confettis, tout en s'imaginant qu'il s'agissait de la tête de cet abruti. À côté de lui, Manik aurait quasiment eu l'air d'un gentil.

Quand bien même elle aurait réellement couché avec Taresh, qui était ce vieil imbécile pour l'insulter de la sorte ? Cependant, ses propos ne l'atteignaient pas vraiment. Ce qu'il avait fait subir à Clark était bien pire, et elle lui en voulait davantage pour cela.

Elle s'attendit à ce que la toute dernière lettre ait été écrite par son père, or l'expéditeur était tout autre. Ses doigts se crispèrent sur le papier, tandis qu'elle parcourait chaque ligne avec fébrilité.

« Monsieur le Grand Alpha,

J'imagine qu'après les événements des dernières semaines, vous ne devez plus tellement vouloir entendre parler des loups du Rubis. La faute de ma soeur est en effet impardonnable, et constitue une insulte à l'honneur que vous lui aviez fait. Je peux vous assurer qu'elle est en train de payer pour son comportement indigne et scandaleux.

Je me permets toutefois de vous écrire, afin de solliciter votre clémence, que je sais égale à votre sagesse. Il serait regrettable que le comportement de ma soeur, d'une exceptionnelle indécence, nuise aux rapports entre nos deux meutes. En tant que futur alpha, je peux vous promettre que la Terre du Rubis prendra soin de ne plus jamais vous décevoir. Elle se fera d'ailleurs une joie de rattraper son erreur, si l'avenir lui en donne un jour l'occasion.

Avec tout mon respect,

Manik du Rubis »

Eleanor avait beau tenir la lettre entre ses mains, elle peinait à y croire. Comment son frère avait-il osé envoyer un tel message au père de Clark ? Il était absolument responsable de tout, et il venait ensuite parader tel un paon en se moquant de son "comportement indigne et scandaleux" et...

— Je peux entrer ?

Elle sursauta en entendant Clark, mais répondit par l'affirmative.

— Chaque fois que je me dis que je ne peux pas davantage détester mon frère, il trouve un nouveau moyen de m'impressionner ! s'exclama-t-elle lorsqu'il poussa le battant. Ce vieux chacal avait osé jouer les lèche-bottes auprès de ton père !

Elle brandit la lettre et le Grand Alpha s'approcha.

— Qu'est-ce qu'il avait...

Il s'interrompit et pendant un instant, Eleanor se demanda pourquoi.

Puis elle se rappela de la tenue qu'elle portait. Et de ce qu'elle cherchait avant de trouver le paquet de lettres.

La bouche entrouverte, Clark la fixait sans savoir quoi dire. Plusieurs émotions paraissaient se disputer sur son visage, allant de l'inquiétude à... quelque chose qu'elle ne sut analyser. Un long silence s'étendit entre eux, et elle aurait voulu être la première à le rompre. Seulement, sa langue était paralysée et de toute façon, elle ne trouvait rien à dire.

— Qui... Qui t'a fait ça ? finit-il par demander.

Il sembla immédiatement regretter sa question, mais elle ne lui en voulut pas. Au contraire, peut-être était-ce préférable qu'ils abordent le sujet directement, plutôt que de le contourner avec gêne et maladresse.

— Gretchen. C'est... C'était lors de mon entraînement pour devenir Chasseuse.

Les yeux rivés sur le parquet, elle passa machinalement les mains sur ses bras, comme si cela pouvait les cacher.

Or même quelqu'un d'aussi myope que Clark n'aurait pu passer à côté des centaines de cicatrices qui barraient sa peau.

Certaines étaient aussi fines que de la laine, tandis que d'autres étaient grossières et monstrueuses. Elles dessinaient toutes des marques blanches sur sa peau cuivrée, ainsi que des reliefs disgracieux. Même si presque aucun endroit de son corps n'avait été épargné, la louve avait au moins la chance d'avoir un visage intact. Ainsi, il lui suffisait de porter des robes suffisamment couvrantes pour que nul ne voit ses horribles rayures. Tu es devenue un véritable zèbre, lui avait dit Manik. Au fond, il n'avait pas complètement tort.

Le Grand Alpha devait certainement penser la même chose. À quoi d'autre pouvait-on bien songer en voyant ces marques qui s'étalaient partout ?

— Je... Tu es une louve, ton... Ton pouvoir de cicatrisation ne fonctionne pas ?

Aucune once de dégoût n'était audible dans sa voix, or elle se doutait qu'il devait déployer un effort considérable pour le masquer.

— Si, mais... Il existe une plante qui nous empêche de cicatriser. Gretchen s'en servait contre moi.

Elle leva brièvement les yeux et le vit froncer les sourcils.

— La raiponce ? se hasarda-t-il, sans conviction. Sa culture est interdite depuis des siècles, comment aurait-elle pu en trouver ?

— Les alphas du Rubis en ont toujours conservé dans le jardin de leur palais. Mon frère a demandé à Gretchen d'en apporter une petite jardinière dans ma tour, afin qu'elle puisse les utiliser pour l'entraînement.

Sachant très bien qu'il lui fallait plus d'explications, elle enchaîna :

— Elle prétextait que cela m'aiderait à m'améliorer. Lorsqu'elle se préparait à me combattre, elle frottait des fleurs ou des tiges de raiponces sur ses armes. Je devais tout faire pour ne pas être touchée, car les blessures infligées ne pouvaient pas cicatriser rapidement. Tu peux constater que je n'étais pas toujours très forte...

Les premières années avaient été les pires. Elle avait beau être déjà assez souple et énergique en débutant sa formation, elle ne savait absolument pas se battre. Gretchen ne l'avait jamais épargnée, mettant un point d'honneur à ce que son entraînement soit aussi soutenu que possible.

À la fin de chaque séance, elle devait se débrouiller pour panser ses plaies. Elle était obligée d'attendre de longs jours, comme les Neutres, avant qu'elles ne se referment. Et les cicatrices ne disparaissaient jamais complètement.

— C'est... C'est ton frère qui lui avait demandé de faire ça ?

Une colère sous-jacente brûlait derrière sa surprise. Elle hocha la tête et lorsqu'elle osa le regarder, elle constata qu'il serrait les poings.

— Dès qu'on sera rentrés, j'ordonnerai à ce qu'il soit rayé de votre lignée, affirma-t-il. Quand il héritera du titre d'alpha, il aura l'interdiction de gouverner.

Eleanor écarquilla les yeux. Une telle chose était-elle seulement possible ?

— Il ne se laissera jamais faire, se navra-t-elle. Il a des amis partout et...

— Je m'en fiche. Il t'a fait trop de mal, a dépassé toutes les limites imaginables et...

Il s'interrompit et poussa un soupir. Il était si rare de le voir s'emporter ainsi que cela lui paraissait presque contre nature.

— Je n'ai pas eu le coeur de te le dire avant, mais... J'ai fait des recherches sur les Chasseurs de vampires, avoua-t-il. Et sur la manière dont ils sont formés.

Même si elle regrettait toujours qu'il la voie ainsi, elle soutint son regard et attendit qu'il poursuive.

— Quand nous nous sommes rencontrés, tu m'as dit que suivre sa formation de manière recluse faisait partie du protocole pour devenir un Chasseur, n'est-ce pas ?

Elle acquiesça, gagnée par un mauvais pressentiment.

— Chaque Chasseur doit se conformer à cette exigence, confirma-t-elle. Cela nous permet de rester concentrés sur la formation.

Il était vrai que cela pouvait sembler un peu exagéré, elle l'admettait.

— Eh bien... Cette pratique n'existe absolument pas. C'était une invention de ta famille et de Gretchen pour t'isoler.

La jeune fille accusa le coup. Son premier réflexe fut de remettre en doute les paroles de Clark, lui assurer qu'il devait se tromper, que les agissements des Chasseurs étaient tenus secrets, néanmoins... Elle savait très bien que ses parents et son frère avaient été capables de lui mentir.

Ils avaient à tout prix cherché à l'exiler, quitte à la noyer de mensonges. Encore une fois, sûrement devait-elle s'estimer chanceuse d'avoir échappé à un enfermement ou un mariage forcé...

— Au final, ça ne m'étonne qu'à moitié. Mais quoi qu'il en soit, tu n'es pas obligé de te mêler des affaires de Manik. Il serait capable de t'attirer des problèmes et... C'est la dernière chose que je veux.

Son frère avait déjà fait assez de dégâts. Si leurs querelles familiales venaient à causer un conflit avec la Terre du Rubis, cela deviendrait insoutenable.

Comme pour clôturer l'affaire, elle rangea chaque lettre dans leur enveloppe, puis se leva pour mettre le paquet au fond de son sac. Clark s'écarta, et elle remarqua qu'il lui jetait de drôles de coups d'oeil. On aurait dit qu'il prenait sur lui pour ne pas trop la regarder, mais qu'il ne pouvait pas s'en empêcher. Cela lui porta un coup au coeur, puisque à ses yeux, elle devait désormais s'être transformée en un objet de curiosité, strié de cicatrices. Tu ne peux pas tellement lui reprocher de penser ainsi...

— Tu... Ta... Ta robe te va très bien, bégaya-t-il pourtant lorsqu'elle lui refit face. Enfin, ce n'est pas vraiment une robe, mais... Tu as compris.

Incrédule, elle laissa son regard croiser le sien. Prononcer ce compliment l'avait fait rougir, et il semblait quelque peu redouter sa réaction. Elle sentit son coeur s'accélérer, tandis qu'une vague de chaleur colorait également ses joues.

Se pouvait-il qu'il ait juste voulu la regarder elle, et pas simplement ses marques ?

— Oh, bredouilla-t-elle en se triturant les mains. Merci, je... Le haut est un peu trop petit, mais...

Par automatisme, il baissa les yeux dessus, et elle se demanda ce qui lui avait pris d'attirer l'attention sur cette partie-là... Quelle pitoyable cruche ! Heureusement, il releva la tête en une fraction de seconde. Peut-être était-ce elle qui projetait son embarras sur lui, or il lui paraissait aussi écarlate qu'une fraise.

— Je... Je me demandais comment tu avais su que ce rose me plairait ? fit-elle pour qu'aucun silence ne s'installe.

Il secoua un peu la tête, comme s'il essayait de se concentrer sur sa question.

— Tu l'avais dit dans ta lettre. Celle que tu m'avais écrite lorsque nous étions petits.

Eleanor poussa un grognement. Elle avait presque oublié cette mièvrerie...

— Et tu l'as retenue ? s'étonna-t-elle.

Leur lecture de la missive remontait à de longues semaines auparavant. Là-encore, elle crut percevoir son trouble.

— Je ne vois pas toujours très clair, mais je ne perds pas encore la tête, répondit-il en se balançant d'un pied sur l'autre. Je m'en suis souvenu et j'ai misé sur le fait que ta couleur préférée n'avait pas changée.

Et son pari était juste. Si la jeune fille avait pu choisir elle-même, elle n'aurait pas opté pour une nuance différente.

— En tout cas, elle te va vraiment très bien, répéta-t-il. Honnêtement, tu es...

— Elanor ? T'es là ?

Les deux loups tressaillirent. Marcus fit irruption dans la chambre, Judith sur ses talons.

— Je t'ai toujours dit de frapper avant d'entrer, le réprimanda-t-elle. C'est très malpoli de...

Elle s'interrompit en constatant la présence du Grand Alpha. Un silence confus s'étendit entre les adultes, que le louveteau s'empressa de rompre :

— On a acheté des fleurs pour décorer cheveux ! Judi a promis qu'elle me laisserait en mettre dans les siens, t'en veux toi aussi ?

— Euh... Bien sûr. Je ne me suis pas encore coiffée, je vais faire une tresse, puis tu pourras y rajouter des fleurs, si tu veux.

Le petit garçon poussa une exclamation enthousiaste.

— Tu vas être trop belle, comme Judi ! Et papa aussi il va être beau, il a acheté veste toute neuve !

Eleanor jeta un nouveau coup d'oeil à Clark, or il ne s'était pas encore changé. En voyant Marcus se rapprocher, elle craignit qu'il émette une remarque sur ses cicatrices, ou pire, qu'il prenne peur. Cependant, il ne parut même pas faire attention aux marques. Ou si ce fut le cas, elles ne le choquèrent pas.

Le Grand Alpha ne tarda pas à s'en aller, et la jeune fille eut une sorte d'impression d'inachevé. Elle refusa toutefois de se ridiculiser en le rattrapant, puis s'empressa de se coiffer. Elle laissa ensuite le petit garçon – sous la surveillance de Judith – parsemer ses cheveux de quelques fleurs roses et blanches.

Tandis que les couleurs prenaient vie dans sa tresse, une petite question vint la tarauder. Qu'est-ce que Clark avait bien pu vouloir lui dire avant l'arrivée de son fils ?

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