Chapitre 30 - Mystère résolu ?
— Des Neutres ? répéta Rowan. Les majuscules dans vos lettres formaient donc bien des... prénoms ?
Il ne paraissait pas y croire, alors même qu'il avait été le premier à élaborer cette hypothèse. Lorsque Marcus leur avait dit que sa maman achetait des Neutres, le meilleur ami de son père avait cru avoir déchiffré le code secret entre Anya et Rodolphe. Et visiblement, il ne s'était pas trompé...
— Anya me disait quels Neutres elle souhaitait libérer, puis j'essayais de mener des recherches. Si je parvenais à mettre la main sur eux, elle me faisait passer l'argent nécessaire pour le racheter.
Eleanor avait beau réfléchir, elle peinait à tout assimiler. Le soleil qui avait presque atteint son zénith ne l'aidait pas, ni Sulkin qu'elle devait toujours surveiller. Même si Rodolphe semblait enclin à parler, ils ne pouvaient pas se permettre de libérer leur otage et monnaie d'échange.
— Mais pourquoi Anya s'intéressait-elle à la cause des Neutres ? demanda Rowan.
— Pourquoi voulait-elle la liberté de certains en particulier ? ajouta la louve.
— Parce que nous étions ses amis, déclara une voix féminine.
Une jeune femme s'avança près de Rodolphe, les mains levées en signe de paix. De longs cheveux blonds dépassaient du fichu qui la protégeait du soleil.
— An... Anya et moi avons grandi ensemble sur la Terre du Saphir. Ma mère était une Neutre au service de sa famille, mais cela ne nous empêchait pas d'être très proches.
Elle marqua une pause, sa voix s'étant légèrement éraillée sous le coup de l'émotion.
— Quand j'avais seize ans, j'ai été enlevée par des ravisseurs de Neutres. Comme les parents d'Anya étaient déjà mes propriétaires, ils ont lancé des recherches pour me retrouver, mais cela n'a rien donné. J'étais déjà arrivée au fin fond de la Terre des Vampires.
Même si elle refusait de totalement baisser sa garde, ce récit troubla Eleanor. Elle savait que des milliers de Neutres servaient de réserve de sang à des immortels, et n'imaginait que trop bien les horreurs qu'ils pouvaient vivre...
— Anya s'est quand même promis de tout faire pour me retrouver. Elle connaissait d'autres Neutres qui avaient connu le même sort que moi et elle tenait absolument à nous libérer.
Quelques regards attristés se tournèrent vers le sol.
— La famille d'Anya était riche, mais pas assez pour tous nous racheter, poursuivit la jeune femme. Quand ses parents ont commencé à lui arranger un mariage avec le Grand Alpha, elle ne les en a pas empêchés car... Elle savait que son nouveau statut lui permettrait de nous aider.
La louve en resta abasourdie. Ainsi, Anya avait consenti à épouser un inconnu pour... sauver ses amis ? Bien qu'elle n'ait pas connu l'ex-femme de Clark, Eleanor ne s'était jusque-là pas forgé une très haute opinion d'elle. Entre ses cachoteries et sa liaison avec le meilleur ami de son mari, elle l'avait presque crue égocentrique et écervelée.
Si elle s'en fiait à ce qu'elle entendait, c'était en réalité tout l'inverse.
— Je ne vous crois pas, répliqua soudain Rowan. Anya s'est mariée avec le futur Grand Alpha parce qu'elle ne voulait pas décevoir sa famille. Elle ne...
— C'est vrai, admit doucement la Neutre. Mais elle voulait aussi avoir assez d'argent pour racheter nos contrats. La plupart d'entre nous ne pouvions pas nous enfuir seuls, ni négocier quoi que ce soit avec nos propriétaires.
Il était en effet rare qu'un vampire consente à se nourrir de sang en bouteille. La majorité préférait avoir un Neutre à disposition, afin de pouvoir s'abreuver de sang chaud quand bon lui semblait.
Malgré les arguments de la jeune femme, Rowan s'obstina à secouer la tête.
— Si tout ce que vous prétendez était vrai, Anya m'en aurait parlé. Elle n'aurait eu aucune raison de me cacher une chose pareille.
Il avait beau parler d'une voix ferme, son propre doute était tangible. Si lui et Anya s'aimaient autant qu'Eleanor le croyait, un tel déni et une telle incompréhension étaient inévitables...
— Vous êtes Rowan, n'est-ce pas ? demanda la Neutre avec un sourire timide.
L'interpellé eut un mouvement de recul et se raidit davantage.
— Anya me parlait beaucoup de vous, expliqua-t-elle avant qu'il ne demande quoi que ce soit. J'imagine qu'elle ne vous a jamais touché un mot d'une certaine Laura ?
Un jour j'ai même vu une fille qu'elle a achetée, avait dit Marcus à propos de sa mère. Je la connaissais pas et maman a dit que c'était Tata Laura. Il s'agissait aussi de l'un des prénoms qu'ils avaient déchiffré sur les mystérieuses lettres.
Rowan répondit par la négative, et la louve remarqua qu'il était de plus en plus pâle. Laura s'empressa de l'éclairer :
— Elle ne voulait pas vous impliquer dans tout ça. Elle estimait que vous maintenir dans l'ignorance vous éloignerait d'éventuels dangers. Elle savait aussi que vous détestiez cacher des choses au Grand Alpha et que vous auriez fini par lui en parler. Vous étiez tous les deux des personnes de confiance, mais elle craignait que vous tentiez de la dissuader.
Même s'il était sous sa forme ordinaire, Rowan poussa un bruit qui s'apparentait à un grognement de loup.
— Et nous aurions sûrement bien fait de l'en empêcher, grinça-t-il. Vous vous rendez compte qu'elle est morte à cause de vous ?
Il s'agissait de déductions un peu hâtives, toutefois Eleanor partageait les mêmes. Si les agissements d'Anya étaient remontés aux oreilles des mauvaises personnes, il était évident qu'ils lui en avaient fait payer le prix.
— Nous ne pouvons pas en être sûrs, intervint Rodolphe. Ne préféreriez-vous pas que nous poursuivions cette discussion dans une ambiance moins... hostile ?
Sa tentative d'apaisement semblait dénuée d'arrière-pensée, or impossible d'oublier qu'il avait menacé de les tuer. Avant que la jeune fille ne puisse parler, Rowan partit au quart de tour. Il s'avança vivement vers le groupe, son arme levée avec hargne. Sa démarche digne d'un ivrogne inquiéta Eleanor, cependant il ignora ses appels.
— Hors de question que vous vous en sortiez tous si facilement ! rugit-il. Vous croyez nous attendrir avec votre histoire, mais vous allez payer pour...
Il ne put terminer sa phrase, car il s'immobilisa, puis tomba comme une masse.
La louve crut d'abord que quelqu'un lui avait encore tiré dessus, or l'assemblée partageait son choc. Le meilleur ami de Clark venait "simplement" de faire un malaise... et de la laisser seule avec des inconnus.
Un silence, aussi lourd que la chaleur du désert, s'étira à l'infini.
— Il est mort ? finit par murmurer quelqu'un.
Eleanor avait envie d'accourir près de lui, mais Sulkin constituait son dernier bouclier. Si elle le laissait rejoindre le groupe, elle serait officiellement dans les ennuis...
— Ne le touchez pas ! s'exclama-t-elle quand Laura voulut s'agenouiller pour prendre son pouls.
— Je ne veux pas lui faire de mal, assura la Neutre d'une voix douce. Personne ici ne vous fera du mal, vous étiez les amis d'Anya.
La jeune fille se garda bien de préciser que pour sa part, elle n'avait jamais connu Anya.
— Ce n'est pas ce que vous avez dit tout à l'heure, rétorqua-t-elle. Vous avez menacé de ne pas nous laisser repartir vivants.
— Parce que nous ignorions exactement qui vous étiez, avança Rodolphe. Si Rowan est vraiment celui qu'il prétend, nous lui faisons confiance. Nous pensions que vous étiez de simples soldats envoyés par le Grand Alpha.
C'est le cas, aurait-elle voulu répliquer.
— Nous pouvons vous donner plus d'explications dans un endroit ombragé, proposa Laura. Et en profiter pour soigner votre ami et Sulkin.
Eleanor prit une minute pour réfléchir. Si elle poursuivait cette discussion ici et que les choses tournaient mal, elle serait obligée de fuir seule en plein désert. Et surtout, elle serait contrainte d'abandonner Rowan à ces inconnus. Si elle consentait à se montrer plus amicale, elle risquait de se retrouver piégée par ce groupe de Neutres. Ces derniers avaient l'air relativement honnêtes, or comment être certaine qu'ils ne la tueraient pas ?
— J'accepte de relâcher Sulkin et de venir avec vous, se décida-t-elle. Mais si vous nous faites quoi que ce soit, le Grand Alpha vous tuera.
Il s'agissait quelque peu d'une menace en l'air. Encore faudrait-il que Clark et les autres mettent la main sur les Neutres... Toutefois, elle savait que si Rowan et Eleanor ne revenaient pas à Reejhak, les soldats finiraient par lancer des recherches.
— C'est entendu, accepta Rodolphe. Vous pouvez approcher sans crainte.
Elle hésita une dernière fois, puis libéra Sulkin. Celui-ci se précipita d'un pas chancelant vers son groupe. La louve s'agenouilla près de Rowan, qui était tombé en avant sans pouvoir se retenir. Heureusement, quand elle le retourna, elle constata que le sable avait amorti sa chute et qu'il n'était pas trop amoché. Seuls quelques grains s'étaient incrustés dans sa plaie au bras, signe qu'il fallait la nettoyer au plus vite.
— Nous allons nous en occuper, déclara une femme en venant à son niveau.
Elle appela deux hommes, qui attrapèrent Rowan pour le porter jusqu'à une tente. Eleanor les suivit de près, refusant de laisser le meilleur ami de Clark sans défense.
Quand elle s'approcha du campement, elle s'étonna de le trouver plus solide qu'elle ne le croyait. Loin d'être constituées de bric et de broc, les dizaines de toiles de tente paraissaient épaisses et solidement ancrées dans le sol. Quelques cabanons abritaient des bocaux et des sacs de jute, sûrement pleins de provisions. La jeune fille fut surprise de croiser des regards d'enfants, et d'entendre les lointains pleurs d'un bébé.
— Vous réussissez vraiment à vivre ici sans finir carbonisés ? demanda-t-elle à Rodolphe, qui marchait à ses côtés.
— Il y a une ancienne mine juste à côté, on peut s'y abriter quand le soleil est trop chaud. La disposition des dunes et des roches nous protège des tempêtes de sable, donc nous pouvons passer des nuits relativement tranquilles.
— Il suffit juste de bien se couvrir, ajouta Laura. Il fait parfois très froid, mais c'est supportable.
Eleanor ne répondit rien et les suivit à l'intérieur d'une grande tente. Rowan fut allongé sur une couverture et une femme entreprit d'examiner sa blessure. Rodolphe et Laura invitèrent la louve à s'installer sur un petit tabouret. Elle obéit, tout en surveillant les faits et gestes de la soignante.
— Il doit juste être épuisé et un peu déshydraté, dit cette dernière en s'emparant d'un pichet d'eau. La perte de sang n'a pas dû aider, mais comme c'est un loup-garou, il devrait vite se remettre.
Nul besoin d'être un médecin chevronné pour rendre un tel diagnostic. Néanmoins, Eleanor s'abstint de se montrer désagréable.
— Il va falloir m'en dire plus sur votre groupe, reprit-elle à l'intention de Rodolphe et Laura. Vous êtes tous les deux les... chefs ?
Hormis la femme qui s'occupait de Rowan, aucun autre Neutre ne les avait suivis dans la tente.
— Il n'y a pas vraiment de chef, mais nous sommes les plus anciens du groupe, nuança l'homme. J'ai passé mon enfance au service d'un vampire, avant de rencontrer une louve quand j'avais seize ans. Quelques années plus tard, l'immortel a accepté de me laisser partir et j'ai pu me marier avec elle. Ensuite...
Ses yeux fixèrent ses mains. Une unique bague sertie d'un diamant y brillait.
— Elle est morte et m'a laissé une fortune importante. Je me suis dit qu'avec l'argent, je pourrais essayer de racheter les contrats de certains Neutres maltraités. Malheureusement, un Neutre n'a pas le droit d'en posséder un autre et j'ai fini par me faire arrêter.
Eleanor n'était pas au courant de toutes les stupides règles qui régissaient le commerce des Neutres. Elle savait juste que tout ce qui les concernait était injuste, et qu'ils n'avaient quasiment aucun droit. Les alphas, souvent lâches, préféraient se mettre à dos ces êtres sans pouvoirs plutôt que de créer des conflits avec les vampires.
— C'était à l'époque où Anya venait d'épouser le Grand Alpha. Elle s'intéressait déjà aux différents moyens qui lui permettraient de retrouver Laura et a eu vent de mes pratiques. Elle m'a fait passer un message quand j'étais en prison, puis s'est débrouillée pour que je sois relâché. Nous avons fixé un rendez-vous dans la forêt quelques semaines plus tard et... C'est à partir de là que tout a commencé.
La jeune fille écoutait son récit avec attention. Une part d'elle refusait d'y croire – cette histoire semblait bien trop rocambolesque – mais elle sentait aussi qu'il disait la vérité.
— Les soldats qui m'avaient arrêté ne s'étaient pas gênés pour me dépouiller. Je n'avais plus une pièce de bronze sur moi et j'en venais presque à me demander si la mort n'était pas préférable, mais... Anya m'a expliqué sa situation et son envie de retrouver Laura. En échange d'une protection et d'un salaire, j'étais chargé de mener des recherches.
Si la Neutre en question n'était pas face à elle, Eleanor aurait cru que sa mission était impossible.
— Ils n'avaient aucun indice pour savoir où j'étais, intervint justement Laura. Rodolphe a passé presque un an à parcourir des registres et faire de longs trajets pour rien. Je n'étais pas la seule qu'il recherchait, car Anya avait d'autres amis Neutres qui avaient été enlevés.
— Certains ont été plus faciles à trouver que Laura, donc c'était déjà un bon début, reprit l'homme. J'essayais aussi de me pencher sur les cas d'inconnus en situation d'urgence. Je faisais passer les informations à Anya, qui décidait quels Neutres nous devions sauver en priorité. Elle m'envoyait ensuite sa réponse sous la forme de commandes de robes.
La louve songea à toutes les prétendues descriptions de vêtements que la femme de Clark gardait dans son bureau. Chacune correspondait donc à un Neutre en détresse ?
— Mais pourquoi vous embêter à coder vos lettres ? Anya vous donnait parfois rendez-vous au village, elle ne pouvait pas vous transmettre ses instructions à ce moment-là ?
— Quand elle est arrivée au palais, elle a appris que l'ancien Grand Alpha allait surveiller sa correspondance. Toutes les lettres qu'elle envoyait depuis le palais étaient lues avant d'être expédiées. Comme elle est très vite tombée enceinte, elle ne pouvait que rarement se rendre au village pour me rencontrer ou envoyer son courrier depuis un bureau de poste. C'est à ce moment-là que nous avons mis en place un code secret.
— Hormis l'ancien Grand Alpha, nous avions aussi peur que quelqu'un d'autre surprenne nos machinations, ajouta Laura. Il nous fallait donc rester discrets. Même quand elle a pu remonter à cheval et poster elle-même ses missives, nous avons continué à utiliser ce code.
Eleanor commençait à avoir mal à la tête. La chaleur persistante ne l'aidait pas, mais elle s'efforçait de rester concentrée. À côté d'eux, la soignante avait fini de s'occuper de Rowan. Celui-ci profitait toujours du repos de l'inconscience.
— Le soir où Anya a été tuée, elle avait rendez-vous avec vous, n'est-ce pas ? fit-elle en plantant son regard dans celui de Rodolphe. Le vampire qui lui a sauté dessus savait que vous vous retrouveriez ce soir-là. C'est forcément à cause de toutes ces petites manigances qu'elle s'est fait assassiner.
Elle reconnaissait que le sauvetage de Neutres était une excellente chose. Si tout ce qu'ils racontaient était vrai, la mère de Marcus avait été très courageuse de se lancer dans cette folle entreprise. Cependant, cela lui avait fait prendre des risques inconsidérés.
— Nous ne pouvons pas en être certains, réaffirma le Neutre. De ce que j'en sais, personne n'a jamais intercepté nos lettres. Quand bien même ce serait le cas, il aurait été impossible de les comprendre. Anya et moi nous donnions toujours rendez-vous dans la forêt, ou devant des immeubles inhabités. Cela n'arrivait jamais plus d'une fois par mois. Elle se contentait de me donner de l'argent, de prendre des nouvelles des membres du groupe, puis de repartir au palais.
— Elle avait tout de même impliqué Marcus, fit remarquer Eleanor. C'est lui qui nous a parlé de vous et qui a dit que sa mère "achetait des gens".
— Anya voulait que Marcus soit habitué à nous, expliqua Laura. Je ne venais au village que deux ou trois fois par an, et elle me l'amenait à chaque fois. Elle souhaitait le sensibiliser à notre cause et espérait que lorsqu'il deviendrait Grand Alpha, il ferait quelque chose pour aider les Neutres.
La jeune fille comprenait cette logique, mais n'était pas sûre qu'elle soit moralement irréprochable... Était-ce bien raisonnable de faire participer un garçon de trois ans à tout cela ? Qui plus est, Anya s'était bien gardée de demander à Clark ce qu'il en pensait.
— Nous ne sommes pas sûrs que Marcus soit un loup du Diamant et qu'il deviendra Grand Alpha, souligna-t-elle. Pourquoi n'a-t-elle pas plutôt demandé à Clark s'il pouvait commencer à faire évoluer des lois sur les Neutres ?
Après tout, même s'ils n'étaient pas très proches, il restait son ami et le père de son fils. Il ne se serait certainement pas offusqué qu'elle lui exprime son point de vue sur la question.
— Elle estimait que Clark avait déjà suffisamment de choses à gérer, avoua Laura. Elle n'était pas non plus très fière d'être tombée amoureuse de son meilleur ami après leur séparation et... Nous n'étions pas certains qu'il se rangerait de notre côté.
Eleanor en était pourtant persuadée. Il n'aurait sûrement pas approuvé tous ses actes, mais aurait compris pourquoi elle agissait ainsi.
— C'est pour cette raison qu'elle cachait ses lettres dans le bureau de l'ancien Grand Alpha, comprit-elle. Pourquoi ne les brûlait-elle pas, d'ailleurs ? C'était à cause des plaques derrière les cachets de cire ?
Encore un mystère qu'elle peinait à saisir.
— Au début, quand l'ancien Grand Alpha était toujours en vie, elle les brûlait, l'informa Rodolphe. À sa mort, monsieur Clark l'a chargée de superviser la gestion des vieilles affaires de son père. Elle a trouvé une cachette secrète dans son bureau et a commencé à l'utiliser.
La louve se demanda si Anya aussi avait essayé de suspendre un tableau sur le crochet...
— Chaque fois qu'on lui envoyait une lettre, nous joignions un papier avec une adresse à laquelle elle pouvait nous répondre, poursuivit Laura. Il s'agissait généralement d'un bureau de poste situé à quelques lieues de notre emplacement. Nous jugions préférable qu'elle ne sache jamais exactement où notre groupe nomade se trouvait.
Les sourcils d'Eleanor se froncèrent.
— Vous ne lui faisiez pas confiance ? C'est tout de même grâce à son argent que vous accomplissiez tous vos sauvetages.
— Bien sûr que si ! la détrompa vivement la Neutre. Mais nous avions peur que quelqu'un au palais comprenne ce qu'elle faisait et décide de l'interroger. Il valait mieux pour elle qu'elle en sache le moins possible, afin de ne pas être obligée de révéler notre emplacement.
— Nous le gravions quand même sous un sceau en cire, afin qu'elle puisse nous rejoindre en cas de besoin. Si un évènement majeur l'avait poussée à s'enfuir du palais, elle savait qu'elle pouvait brûler sa lettre pour nous trouver.
Le scepticisme de la jeune fille redoubla.
— Donc vous saviez que ses activités pouvaient la mettre en danger. J'imagine que si vous êtes obligés de vous cacher et de souvent changer d'emplacement, c'est parce que tous les Neutres n'ont pas été achetés dans les règles ?
Elle se souvenait des destinations indiquées sur les plaques de verre plus anciennes. Depuis plus d'un an et demi, le groupe avait quasiment voyagé sur les territoires des six meutes.
— En effet, reconnut Rodolphe. La plupart des personnes ici présentes sont la propriété d'une certaine d'Olga du Saphir, un pseudonyme utilisé par Anya. Mais il arrive que des vampires ou des loups refusent de vendre leurs Neutres, donc ils sont obligés de s'enfuir. C'est considéré comme une fugue et comme du vol.
Par conséquent, les propriétaires pouvaient légitimement lancer des recherches pour mettre la main sur eux. Cela expliquait qu'ils soient obligés de vivre reclus.
— Le vampire qui a tué Anya était forcément un propriétaire volé, déclara Eleanor. D'une manière ou d'une autre, il a dû apprendre qu'elle était derrière tout ça et a décidé de la tuer.
Ainsi se résolvait le mystère. Un buveur de sang enragé par la perte de son Neutre avait mené des recherches pour comprendre ce qui s'était passé. Il avait découvert que la femme du Grand Alpha n'était pas si innocente, puis s'était mis en tête de lui régler son compte. Le meurtre était certes revenu à un suicide, mais cela n'était pas rare chez les immortels. La lassitude les gagnait souvent au bout de quelques siècles d'existence, voire moins.
— Vous n'avez vraiment trouvé aucune autre piste ? s'enquit Laura, la mine sombre.
Eleanor secoua la tête.
— Le Grand Alpha devait forcément avoir d'autres ennemis, suggéra Rodolphe. Ça ne peut pas être de notre faute et...
Même si elle comprenait leur envie de se dédouaner à tout prix, cela commençait à agacer la jeune fille.
— Bien sûr que si, vos petites affaires sont liées à sa mort ! Rien que le fait de sortir seule pour vous donner de l'argent l'a mise en danger !
La tête basse, ils ne cherchèrent pas à nier. Des larmes silencieuses coulèrent sur les joues de Laura, ce qui fit un peu culpabiliser Eleanor. Cependant, une crainte la préoccupait davantage.
Comment Clark allait-il réagir en apprenant tout cela ?
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