Chapitre 28 - Cri dans le désert
— On va fondre ! Comme neige !
De ses petites mains, Marcus essaya d'arracher sa tunique. Cela faisait plusieurs fois qu'il essayait de se déshabiller, mais sa gouvernante l'en empêchait toujours.
— Il faut au moins que tu conserves un vêtement sur toi, lui conseilla-t-elle gentiment. Ta peau est tellement blanche que tu risquerais d'attraper un coup de soleil. Ces habits sont trop fins pour te tenir chaud.
— C'est quoi coup de soleil ? Il va descendre du ciel et me frapper ?
Eleanor gloussa, imitée par Judith.
— C'est ce que ton papa a attrapé, lui expliqua la louve. C'est pour ça qu'il a les épaules toutes rouges.
Cela ne faisait que quelques heures qu'ils marchaient à travers le désert, pourtant le soleil avait déjà eu le temps de faire des dégâts. Après avoir passé un peu plus d'une semaine à bord de leur bateau, ils étaient descendus dans le petit village de Manaru. Le courant du fleuve leur avait été favorable, puisqu'ils avaient traversé une bonne partie de la Terre du Rubis en un temps record. Désormais, il ne leur restait plus qu'à rejoindre Reejhak, une petite cité non loin de leur destination finale.
Pour parcourir les quelques lieues qui les mèneraient au village, ils avaient pu emprunter plusieurs chameaux, sur lesquels tout le monde avait refusé de monter. Tout le monde, sauf Marcus et Eleanor. Le petit garçon avait d'abord eu peur de ces drôles d'animaux qu'il ne connaissait pas, avant de finalement les trouver "rigolos". Il avait demandé à son père s'il pouvait monter sur l'un d'eux, ce qui n'avait pas enthousiasmé le Grand Alpha.
— C'est très différent d'un poney, lui avait-il dit. Je peux te porter si tu ne veux pas marcher.
Marcus avait hésité un instant entre le chameau et les épaules de son père, mais ces dernières avaient finalement perdu.
— Je veux chameau ! s'était-il exclamé.
Eleanor lui avait alors proposé de monter avec lui. Clark avait paru réticent, avant de céder face aux sautillements de son fils. La jeune fille s'était donc installée sur le chameau couché, puis avait placé le petit garçon devant elle. Lorsque l'animal s'était redressé sur ses immenses pattes, Marcus avait poussé une exclamation de surprise. Eleanor l'avait fermement tenu, bien qu'elle fût elle-même un peu déséquilibrée. Elle avait craint d'avoir perdu l'habitude de ses promenades à dos de chameau, or elle s'était rapidement stabilisée.
Judith avait commencé à marcher à côté d'eux, tandis que le Grand Alpha et les autres les suivaient avec un peu de retard.
— On aurait dû prendre une ombrelle pour Clark ! s'écria Rowan d'un ton moqueur. Le soleil réussit à le brûler à travers sa chemise !
— Papa brûle ? s'inquiéta Marcus en essayant de se retourner.
— Mais non, Tonton Rowan rigole, lui assura Eleanor.
Elle prit quand même la peine de tourner la tête. Même si le soleil l'éblouissait un peu, elle put constater que le Grand Alpha était aussi rouge qu'un rubis. Rowan ricana en versant une bouteille d'eau sur la tête de son meilleur ami. Derrière lui, Winona, Mathias et Philip paraissaient tenir le coup, mais ne semblaient pas en bien meilleure forme.
Cela n'avait pas l'air d'inquiéter le guide qu'ils avaient engagé. Celui-ci avançait tranquillement à côté de Judith, occupé à tenir la longe du chameau de Marcus et Eleanor.
— Pensez à bien boire, se contentait-il de leur indiquer de temps à autre. Et n'enlevez surtout pas votre chapeau. Nous sommes bientôt arrivés.
Le pauvre homme devait être habitué à effectuer le trajet plusieurs fois par jour pour des marchands ou des visiteurs. Il connaissait cette partie du désert comme sa poche, et les faisait passer dans des endroits magnifiques... du moins, aux yeux d'Eleanor.
— Y'a rien ! répétait sans arrêt Marcus. Et soleil fait mal aux yeux !
Son père dut entendre sa plainte, car il accéléra le pas pour les rejoindre. L'eau dont l'avait aspergé Rowan avait presque déjà séché, créant de nouvelles boucles dans ses cheveux bruns.
— Mets... Mets un bandeau devant tes yeux, fit-il d'une voix essoufflée. Ils sont trop clairs pour supporter ce soleil.
Il tendit un bout de tissu à son fils, qu'Eleanor s'occupa de nouer. Le petit garçon ne protesta pas, étant de toute façon lassé par le paysage.
À l'inverse, la jeune fille pivotait la tête de tous les côtés, ravie de retrouver ce décor familier. Au fil de leurs pas, des petits cailloux brillaient au milieu des grains de sable, tels des diamants. D'imposantes roches orangées leur conféraient parfois un semblant de fraîcheur, les abritant de leur ombre infinie. À un moment, une rare et lointaine oasis se dessina à l'horizon, ce que Judith prit d'abord pour un mirage.
— C'est une vraie, la détrompa leur guide avec son fort accent de la Terre du Rubis. On peut y aller, si vous voulez.
Clark le remercia, mais refusa. Ils n'avaient pas le temps – et surtout pas l'énergie – de faire un détour.
Au terme d'un périple de quelques lieues, ils aperçurent les toits plats du village de Reejhak. De forme rectangulaire, les habitations étaient presque toutes du même marron orangé que le sol. Les plus riches d'entre d'elles comportaient une ou deux tourelles, ainsi que de jolies arabesques tracées sur leur façade.
Comme l'ombre des bâtiments les protégea bientôt du soleil, Marcus eut le droit de retirer son bandeau. L'originalité de la petite cité parut lui plaire, mais il commença à montrer des signes d'impatience :
— On est arrivés ? J'ai chaud !
— Nous allons essayer de trouver une auberge, décréta le Grand Alpha.
Il demanda à leur guide s'il en avait une à leur conseiller. Le loup du Rubis les mena jusqu'à un petit établissement ayant l'air assez respectable. Clark le remercia et lui versa la généreuse somme promise en échange de ses services. Ils s'installèrent dans différentes chambres, où ils purent se rafraîchir et se reposer un peu. Le Grand Alpha les invita ensuite à se réunir, afin de prévoir la suite des événements.
— Le message que nous avons trouvé dans la lettre de ce mystérieux Rodolphe indiquait simplement "Nord de Reejhak", commença-t-il. Cela est assez vague, donc il va falloir que nous décidions de la marche à suivre.
Il déplia une carte sur son lit et s'assit à côté. Chacun se rapprocha, de manière à observer les repères qu'il avait dessinés. Ne souhaitant pas impliquer son fils dans cette partie de l'expédition, Clark avait demandé à Marcus de rester dans une autre chambre avec Judith.
— Rowan et moi avons commencé à délimiter plusieurs zones, fit-il en désignant des cercles tracés au-dessus du village. Des sortes montagnes se trouvent à quelques dizaines de lieues au nord d'ici. Apparemment, les tempêtes de sable y sont si violentes qu'il est impossible d'y habiter. Nous supposons donc que ce que nous avons à trouver se cache un peu avant cet endroit.
Du bout de son doigt, il esquissa le contour d'un large espace désertique.
— Et qu'est-ce que nous avons à trouver, au juste ? demanda Winona. Je doute qu'un homme vive seul au milieu du désert à attendre que nous arrivions.
— Nous ne sommes même pas sûrs que l'adresse désigne un endroit où vit quelqu'un, renchérit Philip. Après tout, sans vouloir vous vexer, ce ne sont que des mots gravés sur une plaque de verre, qui elle-même était... cachée sous le sceau d'une lettre.
Lettre qui était également nichée dans un placard secret du bureau de l'ancien Grand Alpha, aurait voulu rajouter Eleanor. Toutefois, elle ne tenait pas à alourdir le pessimisme ambiant.
— Je sais que nous sommes certainement fous de creuser des pistes si désespérées, soupira Clark. Mais nous ne pouvons pas les ignorer.
— Même si cette histoire n'a rien à voir avec le meurtre d'Anya, nous devons au moins savoir ce qu'elle trafiquait avec ce maudit Rodolphe, enchaîna Rowan. Imaginez un peu que cela ait plus tard des conséquences sur Marcus, ou même que cela attire des problèmes à Clark.
Ils ne pouvaient évidemment pas rester dans le flou. Si Anya n'avait pas caché autant de secrets, nous n'en serions pas là, maugréa silencieusement Eleanor.
— Nous essayerons de repérer la moindre chose qui nous paraîtra suspecte, reprit Rowan. J'ai interrogé notre guide de tout à l'heure et d'après lui, personne ne va jamais s'aventurer en direction des montagnes. C'est peut-être le signe qu'il s'agit de l'endroit idéal pour se faire oublier.
— Le guide a dit que personne n'était "assez fou" pour s'y aventurer, corrigea Clark dans un marmonnement. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas vraiment le choix...
Il se reconcentra sur sa carte et indiqua les trois zones qu'il avait tracées.
— Je propose que nous nous divisions en trois groupes de deux. Cela nous permettra de...
— Un groupe de deux et un groupe de trois, l'interrompit son ami.
Le Grand Alpha leva la tête vers lui, les sourcils froncés.
— Il est hors de question que tu viennes avec nous, précisa Rowan. Tu restes avec Marcus et Judith, sinon nous ne partons pas du tout.
— Je ne vais pas vous laisser prendre des risques et attendre tranquillement ici. Je ne...
— Tu as plus de responsabilités que nous. Non seulement tu as un fils, mais tu es aussi notre Grand Alpha. Que deviendrait la Terre des Loups s'il t'arrivait quelque chose ?
Clark protesta encore un peu, mais finit par abdiquer.
— Très bien, marmonna-t-il en gribouillant sur la carte. Dans ce cas, nous n'allons faire que deux zones, une pour chaque groupe.
Il fut rapidement décidé que Rowan et Eleanor partiraient ensemble, tandis que les trois autres soldats s'occuperaient de ratisser le second espace.
— Si vous tombez sur quelqu'un, faites-vous passer pour des promeneurs égarés. Ayez toujours une arme à portée de main, au cas où vous feriez une mauvaise rencontre.
Tout le monde y était bien sûr préparé.
— Et que faisons-nous si nous trouvons quelqu'un ou quelque chose de suspect ? s'enquit Winona. Nous ne pouvons pas vraiment demander de but en blanc si la personne a tué Anya.
— Nous aviserons en fonction de la situation, affirma Rowan. Quoi qu'il en soit, n'hésitez pas à employer la force si besoin.
Ces paroles ne plurent pas tellement à Clark, qui lui lança un regard appuyé. Chacun discuta encore de quelques hypothèses, puis ils convinrent de prendre le départ dès le lendemain. Avant qu'elle ne quitte la chambre, le Grand Alpha demanda à Eleanor s'il pouvait lui parler.
— J'aurais voulu pouvoir rester avec Rowan, afin de le surveiller, mais il ne voudra jamais que je vienne, se navra-t-il. Il est vrai que je ne peux pas tellement me permettre de prendre des risques et de laisser Marcus, malgré tout...
Il soupira, peiné de ne pouvoir gérer les humeurs de son meilleur ami.
— Je ferai attention à ce qu'il ne s'emballe pas trop, lui promit la jeune fille. Et j'essayerai d'éviter qu'il tranche la gorge de quelqu'un... Je le ferai à sa place si besoin.
Si Rowan se laissait consumer par son désir de vengeance, elle n'hésiterait pas non plus à s'en prendre à lui. Du moment que cela l'empêchait de devenir un criminel, elle serait prête à tout. Clark dut le comprendre, car il la remercia et la laissa regagner sa chambre.
Le lendemain, aux premières lueurs de l'aube, chacun se prépara à partir explorer le désert. Les deux groupes prirent soin d'emporter des quantités d'eau suffisantes, et de vérifier que leurs montres et boussoles étaient opérationnelles. Ils convinrent de revenir à Reejhak en fin de matinée, pour éviter de passer l'après-midi sous le soleil. Mieux valait rentrer bredouille plutôt que de succomber à une insolation. S'ils ne trouvaient rien, ils pourraient toujours reprendre les recherches le jour suivant.
— Faites attention à ne jamais finir esseulés, répéta Clark avant qu'ils ne quittent l'auberge. Et ne faites pas tomber votre boussole dans le sable, ni votre chapeau et...
— C'est promis, maman chérie, l'interrompit Rowan. Et ne t'inquiète pas pour Eleanor, elle sera en parfaite sécurité avec moi.
Il adressa un clin d'oeil à son ami et lui jeta un drôle de regard, qui fit rougir l'intéressé. Celui-ci marmonna quelque chose d'inintelligible en évitant de croiser les yeux de la louve.
— On verra qui protège qui, répliqua-t-elle à l'adresse de Rowan, sans comprendre ce qui avait gêné Clark.
— Papa reste, hein ? intervint Marcus en tirant la manche de son père. Pourquoi ils vont tous brûler au milieu de sable ?
Le Grand Alpha avait raconté à son fils qu'Eleanor et les autres allaient simplement se promener. Cela l'avait laissé sceptique, le garçon ne comprenant pas comment on pouvait avoir envie de se "promener" dans le désert...
— Ne t'inquiète pas, Judith et moi restons avec toi. Tout le monde reviendra cet après-midi.
— Je peux faire câlin à Tonton Rowan ? demanda Marcus en clignant des yeux.
Le concerné rigola, puis se pencha pour prendre le petit dans ses bras. Dès qu'il le libéra de son étreinte, le louveteau se tourna vers Eleanor et lui encercla les jambes. La jeune fille poussa une petite exclamation de surprise, avant de s'agenouiller à son niveau.
— On pourra aller voir chameaux tous les deux ? s'enquit-il en triturant ses petits doigts.
— Bien sûr ! On ira même faire un tour avec eux dès que je serai revenue, lui promit-elle.
Il sourit jusqu'aux oreilles et lui refit un câlin. Elle songea que dans son malheur, Clark avait au moins eu la chance d'avoir le louveteau le plus mignon du monde.
Quand le Grand Alpha les laissa partir, les deux groupes quittèrent le village, direction le nord. Les bâtisses de Reejhak restèrent longtemps visibles derrière eux, avant d'être avalées par les dunes.
— Je crois qu'il est temps que nous nous séparions, annonça Rowan en se tournant vers les trois gardes. Poursuivez vers le nord-est et nous nous occupons du nord-ouest. N'oubliez pas de revenir vers le sud avant midi.
Ils acquiescèrent, puis les deux groupes poursuivirent leur route séparément. À mesure qu'ils marchaient, le soleil s'élevait dans le ciel et projetait des rayons de plus en plus chauds.
— Nous aurions peut-être mieux fait d'effectuer nos recherches pendant la nuit, déclara Rowan au bout d'un moment. Il fait déjà chaud.
— Ce n'est pas si terrible, relativisa Eleanor. Et sauf si vous voulez être piégé au coeur d'une tempête de sable, je vous déconseille de vous retrouver ici en pleine nuit...
Rien que ce matin-là, elle avait vu de la poussière recouvrir les vitres de l'auberge. Pendant qu'ils dormaient, des bourrasques avaient projeté des petits grains à travers tout le village.
— Je ne sais pas comment font les gens pour vivre ici, grommela-t-il en rajustant son chapeau. Quelle idée...
La jeune fille gloussa quand il trébucha contre une roche, puis qu'il sortit un mouchoir pour s'éponger le front. Toutefois, même si elle ne se plaignait pas, elle aussi commençait à ressentir les effets de la chaleur.
Elle avait presque envie d'enlever le fichu beige qui lui recouvrait la tête, ayant l'impression qu'il lui tenait plus chaud qu'autre chose. Cependant, elle était assez raisonnable pour savoir que se balader sans couvre-chef était dangereux. En réalité, le problème venait surtout de ses cheveux, beaucoup trop longs et épais. Sa tresse lui collait à la nuque et quelques mèches rebelles traînaient sur ses tempes.
Rowan surveillait sa boussole avec assiduité, veillant à ce qu'ils ne perdent pas leur cap. Les yeux plissés, les deux loups essayaient de balayer du regard chaque zone qu'ils dépassaient. Cela devint rapidement une épreuve, le sable orangé finissant par devenir aveuglant.
— Clark va bientôt se retrouver avec de nouveaux amis à lunettes, marmonna Rowan. Les gens d'ici doivent tous avoir la rétine brûlée, non ?
Eleanor ne répondit pas, désireuse d'économiser ses forces. Ils avaient beau faire des pauses régulières pour boire, ses pieds commençaient à devenir douloureusement lourds. Chaque fois qu'ils dépassaient une dune, elle avait espoir que quelque chose, n'importe quoi, se profile à l'horizon. Hélas, ils ne tombaient chaque fois que sur une nouvelle étendue de sable.
— Comme dirait Marcus, il n'y a rien, soupira le jeune homme. Vous pensez que nous sommes encore loin de ces soi-disant montagnes ?
Elle consulta sa carte, incapable de lui fournir une réponse. Il était difficile d'évaluer quelle distance ils avaient parcourue.
— Nous avons dépassé la moitié de la matinée, indiqua-t-elle en examinant sa montre. On peut marquer un repère et revenir demain avec un chameau.
Rowan secoua la tête et continua de fixer l'horizon.
— Essayons de poursuivre juste une demi-heure de plus. Ce serait bête que nous ayons fait tout ça pour rien.
Eleanor poussa un grognement d'exaspération.
— Il serait aussi stupide que nous nous épuisions et nous desséchions sans avoir pu revenir à Reejhak.
La détermination du loup ne fléchit pas et il entreprit de contourner un nouvel édifice rocheux. La jeune fille marmonna des jurons, mais finit par le suivre. Elle se laissait un quart d'heure avant d'ordonner qu'ils fassent demi-tour, quitte à le trainer par le col s'il le fallait.
Sans surprise, le paysage de roche et de sable, aux mille nuances d'ocre, se prolongea. Une esquisse des fameux sommets – relativement bas – leur apparut. Ils se trouvaient à des dizaines de lieues de leur position, ce qui était bien trop loin pour tenter de les rejoindre à pied.
— Regardez, nous n'en sommes plus très loin ! s'exclama pourtant Rowan. Ce devrait être faisable !
Eleanor se demanda sérieusement si malgré son chapeau, le soleil n'avait pas réussi à lui taper sur la tête.
— Non, ce n'est pas faisable ! trancha-t-elle. Nous devons penser au trajet du retour et économiser nos forces.
— Mais nous sommes si près du but ! insista-t-il en désignant les monts. Ce serait...
— Quel but ? l'interrompit-elle. Qui nous dit que nous allons trouver quelque chose là-bas ?
Rowan rumina sa frustration en marmottant dans sa barbe.
— Cette première journée n'est censée nous servir que de repérages, tenta-t-elle de le convaincre. Nous reviendrons demain avec des chameaux et...
— Je veux y aller maintenant, insista-t-il. Je ne suis pas fatigué.
Eleanor grogna tout en se massant le front. Il lui semblait faire face à un bambin, et encore... Marcus était cent fois plus mature que lui !
— Vous n'avez qu'à rentrer si vous le voulez, déclara-t-il en s'éloignant d'un pas vif. Je vais me débrouiller.
— Vous êtes complètement fou ! Vous allez finir desséché et dévoré par les charognards ! Est-ce que vous savez au moins combien d'animaux sauvages rôdent par ici ?
Même s'ils n'avaient encore croisé aucun animal terrestre, quelques rapaces passaient parfois au-dessus d'eux.
— Ça ne risque rien, s'obstina-t-il. Nous serons rentrés en début d'après-midi au lieu de la fin de matinée, ce n'est pas un drame.
La louve croyait halluciner. Si elle se retrouvait à jouer la voix de la raison, cela montrait à quel point Rowan avait perdu l'esprit. Comment Clark faisait-il pour le supporter ?
— Arrêtez vos bêtises et revenons en arrière, lui ordonna-t-elle. Nous ne sommes pas à une journée près et...
— Si, la coupa-t-il en faisant brusquement volte-face. Moi je suis à une journée près.
Il planta son regard dans le sien et elle en perdit ses mots. Ses yeux brûlaient d'une violente fureur, mais aussi... d'un indicible désespoir.
— Je ne veux pas passer une nuit de plus sans savoir pourquoi elle a été tuée, avoua-t-il avec des accents presque hystériques. Vous... Vous n'avez pas idée d'à quel point c'est insupportable, d'à quel point cela me rend fou de savoir qu'elle ne reviendra jamais...
Il se passa une main sur le visage et prit une inspiration tremblante. Bien que fatiguée et exaspérée, Eleanor sentit toute sa colère s'évaporer. Elle avait soudain un violent aperçu de toute la tristesse qu'il éprouvait.
— Je sais que j'ai l'air d'un abruti bon à être enfermé, mais... Je vous jure que je n'étais pas comme ça avant. Je crois que je suis mort le soir où j'ai appris qu'elle était morte et... Je suis loin d'être le plus à plaindre dans cette histoire, pourtant... Je n'en peux plus.
La jeune fille s'avança vers lui, sans trop savoir quoi dire. Cette facette que Rowan lui exposait de lui était à la fois si insensée et... si vraie. La plupart du temps, il s'efforçait de faire bonne figure, or elle voyait désormais à quel point il était brisé.
— Vous allez me dire que retrouver les meurtriers d'Anya ne la ramènera pas, reprit-il d'une voix plus calme. Me perdre et mourir dans ce désert non plus. Malgré tout, une part de moi veut croire que découvrir la vérité m'aidera à aller mieux, ne serait-ce qu'un tout petit peu. C'est la dernière once d'espoir qu'il me reste.
Il baissa la tête et jeta son chapeau dans le sable. Eleanor savait qu'aucun mot ne pourrait le réconforter, mais quelques-uns voulaient quand même franchir ses lèvres :
— Je comprends que...
Elle s'interrompit aussitôt. Il lui semblait qu'un drôle de cliquetis était parvenu jusqu'à ses oreilles.
Quand elle tourna la tête, une ombre la fit tressaillir.
Une silhouette enturbannée se tenait à quelques mètres d'eux... et braquait une arbalète dans leur direction.
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