Chapitre 23 - Mauvais départ

— Coucou Elanor !

Marcus courut jusqu'à la charrette où était installée la jeune fille, visiblement pressé de partir. Comme le marche-pied était trop haut pour ses petites jambes, Eleanor se leva afin de l'aider à monter. Il prit ensuite place juste à côté d'elle, sur le banc du cocher.

— Tu viens avec nous sur la Terre du Rubis ? s'étonna-t-elle.

Le petit garçon hocha vivement la tête.

— Papa y va alors j'y vais !

Au même moment, Clark arriva à leur niveau et marqua un temps d'arrêt. Visiblement, il ne s'était pas attendu à ce que son fils choisisse de monter dans la même charrette que la louve.

— Tu ne préfères pas que nous allions avec Judith ou Rowan ? Eleanor préfère peut-être faire le trajet en compagnie de quelqu'un d'autre ou...

— Mais non viens ! le coupa Marcus. Elanor tu nous veux bien, hein ?

Il leva son adorable petite bouille vers sa voisine, qui sourit jusqu'à en avoir mal aux joues.

— Bien sûr, je n'attendais personne en particulier. Ton papa peut venir avec nous.

Clark esquissa un sourire un peu hésitant, comme s'il craignait vraiment de déranger. Ou peut-être ne veut-il pas passer les prochaines heures avec toi, songea-t-elle en repérant la charrette de Rowan, juste devant la leur.

— Attends ! s'écria soudain Marcus avant que son père ne les rejoigne. J'ai pas été dire bonjour à Tonton Rowan, il va être triste !

Le Grand Alpha l'aida à descendre, puis prit sa place à côté d'Eleanor.

— Je ne pensais pas que vous emmèneriez votre fils avec nous, déclara-t-elle dès que le petit se fut éloigné. Le dernier voyage sur la Terre du Topaze n'a pas eu l'air de lui réussir et... Il fait vraiment très très chaud sur la Terre du Rubis, surtout en cette saison. Vous êtes sûr de vouloir le prendre ?

Elle n'avait aucune envie de le faire culpabiliser ou de jouer les rabat-joies, cependant... Se rendre sur la Terre du Topaze était une chose, mais voyager sur la Terre du Rubis en était une autre. Les étendues arides s'étendaient sur des centaines de lieues, sans parler des tempêtes de sable et du soleil qui donnait l'impression de fondre sur place. Impliquer un petit garçon dans ce périple lui paraissait inconcevable.

— Ne vous inquiétez pas, j'ai à peu près tout prévu, la rassura-t-il. Si tout se passe bien, nous n'aurons quasiment jamais à dormir dehors et nous ne marcherons pas seuls dans le désert. La première partie du voyage se déroulera sur un bateau, cela ne devrait pas être trop désagréable.

Le Grand Alpha avait passé la semaine à essayer de tout préparer au mieux. Ils devaient d'abord se rendre jusqu'à une autre ville de la Terre du Diamant, érigée au bord d'un fleuve. Ils emprunteraient alors une embarcation, qui les ferait naviguer vers le sud, en direction de la Terre du Rubis. Ils descendraient une fois arrivés à Manaru, un village situé à seulement quelques lieues de Reejhak.

Même si ce programme ne lui paraissait pas si terrible, Eleanor n'excluait pas l'apparition de quelques imprévus... Et si leur bateau se faisait attaquer ? Et s'ils se retrouvaient obligés d'en descendre et de continuer à pied ? Et si Marcus faisait une insolation ? Elle se força à mettre en veille ses inquiétudes, Clark étant assez responsable pour savoir quels risques il faisait prendre à son fils.

— Savez-vous à quelle heure doit arriver James ? s'enquit-elle en regardant autour d'eux. Nous sommes censés quitter le château dans cinq minutes et...

Elle repéra soudain des boucles rousses accourir dans leur direction. L'ambassadeur du Topaze prit le temps de saluer Rowan et les autres, puis s'approcha de Clark et Eleanor. Ces deux derniers l'avaient déjà vu la veille, lorsque James était enfin rentré de son séjour chez sa famille.

— Où sont vos bagages ? se surprit la jeune fille face à ses mains vides. Vous les avez déjà fait charger ?

Le loup soupira et se passa une main dans les cheveux.

— Malheureusement, je crains de ne pouvoir venir avec vous... J'en ai discuté avec ma compagne et cela l'embête que je reparte si vite. Je ne peux pas le lui reprocher, cela fait un moment que j'ai quitté Bois-Lunaire, mais... Cela me gêne de ne pas pouvoir tenir mon engagement, je suis vraiment désolé et...

— Ce n'est pas grave, l'interrompit doucement le Grand Alpha. Nous ignorons exactement pour combien de temps nous en aurons, c'est tout à fait normal que votre vie personnelle passe avant ce voyage. C'est déjà très gentil de votre part de nous avoir proposé votre aide.

Eleanor ne put masquer sa déception. James était toujours partant pour rigoler, et avait apporté une certaine gaieté lors de leur expédition sur la Terre du Topaze. Sa présence allait indéniablement créer un vide. Sa vampire de petite amie ne peut-elle vraiment pas se passer de lui ? songea-t-elle avec une pointe de cruauté. Elle n'arrivait toujours pas à concevoir que quelqu'un de si gentil puisse partager sa vie avec un cadavre vivant...

— J'essayerai d'aider le capitaine de la garde et votre secrétaire particulier à gérer votre départ, promit-il à Clark. De toute façon, je doute que je vous aurais été très utile sur la Terre du Rubis. Je n'y ai jamais mis les pieds et en cas de problème, je ne sais absolument pas me battre.

Il échangea des banalités avec les deux loups, avant de finir par leur souhaiter un bon voyage. Quelques minutes plus tard, Marcus les rejoignit et se plaça entre son père et Eleanor. Le départ fut donné, chacun étant monté à bord d'une charrette et y ayant entreposé ses affaires.

— Au revoir maison ! s'écria le petit garçon en se tournant vers les interminables escaliers du château.

Ils empruntèrent la route qui serpentait autour du coeur du village et descendait vers les champs. Clark s'empressa d'enfiler une cape, puis rabattit le capuchon sur sa tête. Aux yeux des villageois, leur convoi passait pour une simple troupe de marchands venus livrer des provisions au palais. Cependant, mieux valait éviter que le Grand Alpha se fasse reconnaitre par quelques curieux.

Une fois que la capitale fut loin derrière eux, il se permit de retirer sa capuche.

— Tu te rappelles de ce qu'on doit dire si quelqu'un nous demande quelque chose ? interrogea-t-il Marcus.

L'interpellé hocha vivement la tête.

— Qu'on a été vendre tissus chez papa et que maintenant on va vendre tissus chez les pierres rouges. 

— Pas chez papa, le détrompa-t-il gentiment. Chez le...

— Ah oui ! Chez Grand Alpha ! Enfin toi du coup, mais...

Sa confusion fit sourire Eleanor, même si elle espérait que le petit garçon ne mettrait pas en danger leur couverture. 

Pendant les heures qui suivirent, leur charrette suivit docilement celle de Rowan, Judith et Philip. Derrière eux, le véhicule de Winona et Mathias fermait la marche. Le soleil devait avoir pitié d'eux, puisqu'il brillait haut dans le ciel, sans être trop étouffant. Aucun nuage ne se profilait à l'horizon, ce qui leur garantissait une journée de route plutôt agréable. Les paysages de champs et de forêts avaient tendance à se ressembler, mais Eleanor appréciait de voir autre chose que les murs du palais.

Marcus s'extasiait chaque fois qu'ils longeaient un pré jonché de vaches ou de moutons. Il demanda à s'arrêter pour les voir, ce à quoi son père consentit lors d'une pause. Ils vinrent à la rencontre d'un bovin qui se trouvait près d'une barrière, et l'animal les fixa en ruminant. Rowan souleva le petit garçon pour qu'il tente de toucher la vache, mais il eut peur des mouches qui voletaient autour de son museau.

— Vont me piquer ! Et vache va mordre !

Son "tonton" éclata de rire et le reposa au sol. Ils finirent par remonter à bord de leurs charrettes et au bout d'un moment, la tête de Marcus tomba contre l'épaule de son père. Il s'endormit, bercé par les claquements de sabots des chevaux.

— Il est tellement mignon, chuchota Eleanor en levant les yeux vers Clark.

Elle avait beau ne pas avoir côtoyé beaucoup d'enfants, elle était persuadée que celui-ci était l'un des plus adorables du monde. En dépit de tout ce qu'il devait supporter, jamais elle ne l'avait entendu piquer la moindre crise. Tu devrais peut-être parfois prendre exemple, lui murmura une petite voix moqueuse.

— Cela me rassure qu'il puisse dormir ici, déclara le Grand Alpha. Depuis qu'Anya nous a quittés, il... Il a du mal à faire ses nuits. Il se réveille en pleurant et ne se calme qu'avec Judith ou moi.

Le coeur lourd, la jeune fille baissa la tête vers le louveteau. Comment quelqu'un avait-il pu vouloir tuer la mère de ce pauvre petit ?

— Heureusement, les siestes se passent mieux, ajouta Clark. Et il arrive encore à avoir un comportement d'enfant. J'avais peur qu'il ne parvienne plus jamais à rire ou à sourire, mais... Il a encore quelques moments d'insouciance.

Il prenait garde à ne pas parler trop fort, même si Marcus paraissait plongé dans un profond sommeil. Les lèvres entrouvertes et ses tous petits poings fermés, il restait insensible aux cahots de leur véhicule.

— J'imagine que les séquelles de tout ça risquent d'apparaître en grandissant, soupira son père. Une part de moi voudrait qu'il soit un loup du Saphir et non un loup du Diamant, comme ça il n'hériterait pas du titre de Grand Alpha et... Excusez-moi, je dois sûrement vous ennuyer avec mes tergiversations stupides.

Eleanor se redressa, étonnée qu'il puisse penser une telle chose.

— Pas du tout, le détrompa-t-elle. Au contraire, je... J'aimerais beaucoup pouvoir faire quelque chose pour l'aider, mais...

Hélas, personne n'y pouvait rien. Seule la Lune déciderait s'il serait ou non le futur Grand Alpha.

— S'il est un loup du Saphir, l'un de vos cousins héritera du titre à votre mort ?

Clark acquiesça.

— Ma tante Hilda n'a pas eu d'enfants. Elle était l'unique soeur de mon père, mais elle a des cousins qui vivent à Bois-Lunaire. Les cinq premiers dans l'ordre de succession sont obligés de recevoir un minimum d'instructions sur la gouvernance de la Terre des Loups.

Bien sûr, il était généralement préférable que le futur Grand Alpha soit le descendant direct du précédent. Cela lui permettait de grandir au palais dès l'enfance et de recevoir l'éducation la plus parfaite possible pour le préparer à ce rôle.

D'après les cours d'histoire qu'elle avait reçus, Eleanor croyait savoir que les règnes des cousins et autres apparentés n'avaient pas été très glorieux. L'exemple le plus célèbre était celui de Clarius, le "Grand Fou". Après avoir cédé à la folie qui pouvait toucher les alphas, sa politique avait mené à une guerre sanglante contre les vampires.

— Dans tous les cas, reprit-elle d'un ton plus léger, même si Marcus devient un jour Grand Alpha, je suis sûre que vous l'aurez très bien préparé à son rôle. Il a la chance d'être bien entouré, que ce soit avec vous, Rowan ou Judith.

Il la remercia d'un petit sourire, puis elle ajouta :

— Et qui sait ? Peut-être que vous vous remarierez et que vous aurez d'autres héritiers ? J'ai un jour lu un livre sur un homme marié quatre fois, et dont le véritable amour a été sa dernière femme. Il s'agissait d'une domestique qu'il fréquentait depuis des années, mais il ne pensait pas être amoureux d'elle. Ce n'est qu'après son troisième divorce qu'il a compris qu'il ne la considérait pas simplement comme une amie. C'était celle qui avait toujours été là pour lui, même dans ses pires moments. Vous ne connaissez pas une femme de chambre qui pourrait être l'amour de votre vie ?

Elle avait espéré que cette plaisanterie le déride un peu, or il se contenta de secouer la tête, l'air un peu gêné. S'était-elle trop mêlée de ce qui ne la regardait pas ?

— De quel livre s'agit-il ?

Il lui fallut un moment avant de se le remémorer.

Guernelda, d'Amy Melton. Vous connaissez ?

Il répondit par la négative. Elle se garda bien de lui préciser que c'était l'un des seuls romans qu'elle avait lus, et qu'elle avait mis six mois pour le terminer... La lecture ne faisait pas partie de ses activités favorites.

Ils essayèrent de parler littérature pendant quelques instants, mais chacun n'avait que peu de choses à dire. Un silence pesant finit par s'installer, puis Eleanor essaya de se concentrer sur les chevaux. Comme ils ne faisaient que suivre la charrette qui les précédait, cette contemplation devint vite ennuyante. Elle aurait bien voulu faire semblant de dormir, mais son rôle de cochère l'en empêchait. À côté d'elle, Clark finit par fermer les yeux, et elle le soupçonna d'avoir eu la même idée qu'elle.

Pourquoi avait-il fallu qu'une telle gêne s'installe entre eux ? La louve aurait-elle dû se taire, plutôt que de lui suggérer de se remarier ? Après s'être vu presque trompé par sa femme et son meilleur ami, peut-être n'avait-il aucune envie de lier de nouveau sa vie à quelqu'un ? Loup échaudé craint l'eau froide...

Eleanor n'ayant jamais eu de véritable ami, elle ignorait quelles questions étaient jugées trop indiscrètes. Une prochaine fois, elle essayerait de tenir sa langue.

À la fin de la journée, ils se rendirent à une petite auberge pour les personnes de passage. D'après Clark, ils avaient effectué la moitié du trajet entre Bois-Lunaire et le village où ils embarqueraient pour la Terre du Rubis.

Comme ils se trouvaient toujours sur la Terre du Diamant, le Grand Alpha prit soin de rester discret. Rowan et Winona se chargèrent d'aller réserver les chambres, puis le dirigeant se faufila jusqu'à la sienne sans croiser trop de monde. Son capuchon rabattu sur sa tête ne détonnait pas tellement au milieu des autres clients, car bon nombre d'entre eux semblaient vouloir passer inaperçus.

— Certains viennent dans ce genre d'endroit uniquement pour retrouver leur amant, expliqua Rowan. D'autres sont des voleurs recherchés, et qui sait ? Peut-être y a-t-il des Chasseurs de vampires en mission ?

Il adressa un petit clin d'oeil à Eleanor, puis disparut dans sa chambre. La jeune fille gagna la sienne et profita d'une bonne nuit de sommeil.

Ils se remirent en route le lendemain, dès la première heure. La journée se déroula exactement de la même manière que la précédente, excepté que cette fois, Eleanor fit route en compagnie de Marcus et Judith. Dès que le sujet de conversation ne tournait pas autour du petit, la gouvernante ne semblait plus savoir comment relancer la conversation. Néanmoins, elle était très gentille et se montrait extrêmement prévenante envers son protégé.

Au terme de longues heures à suivre d'interminables routes plus ou moins cabossées, ils atteignirent Oxland. Cette ville de la Terre du Diamant était l'une des plus passantes du territoire. Des centaines de marchands s'y rendaient chaque jour, afin de transporter leurs marchandises par bateau fluvial. Cela permettait de rejoindre plus rapidement le sud du pays, sauf quand les cours d'eau étaient asséchés.

Comme il faisait presque nuit, ils hésitèrent à s'approcher du port. Clark était persuadé que tous les bateaux étaient déjà partis, or Rowan voulait tenter d'embarquer dès ce soir-là.

— Dans le pire des cas, nous nous contenterons de nous renseigner pour demain matin, insista-t-il.

C'est ainsi qu'ils traversèrent Oxland, sans réellement pouvoir découvrir la ville. La plupart des rues qu'ils empruntèrent étaient sales et Eleanor crut apercevoir quelques rats. Le soleil couchant avait chassé les nobles travailleurs, pour laisser la place à des silhouettes sombres qui rôdaient à chaque coin de rue.

— J'espère que nous pourrons partir dès ce soir, murmura Judith en se penchant vers la louve. Les villes portuaires n'ont pas vraiment bonne réputation...

En effet, même si les pirates faisaient surtout parler d'eux dans les mers qui entouraient le continent, il n'était pas exclu que quelques pilleurs s'intéressent aux fleuves... La jeune fille tâcha d'afficher le même calme que le petit Marcus, qui mordillait innocemment l'oreille de son doudou.

Quand ils arrivèrent près du port, Rowan et Philip partirent aux renseignements. Ils revinrent une dizaine de minutes plus tard, tout sourires.

— Un dernier bateau part ce soir ! annonça le meilleur ami de Clark. Il a assez de cabines pour nous transporter et notre "marchandise" pourra être rangée dans la cale.

Grâce aux faux documents fabriqués par le Grand Alpha – et à son argent – ils n'avaient eu aucun mal à négocier une place de dernière minute pour de "nobles marchands".

Chacun monta à bord de l'embarcation, de taille plutôt moyenne. Eleanor avait craint qu'ils ne se retrouvent à la merci d'un vieux cabotier brinquebalant, or leur bateau lui fit une bonne impression. En attendant qu'on leur attribue un endroit où dormir, elle aida les soldats à charger leurs bagages et leur prétendue marchandise. Il ne s'agissait que de tissus rangés dans des caisses de bois, qui suffisaient à les faire passer pour des commerçants.

Quand elle revint vers Judith et Marcus, l'air inquiet de la gouvernante l'interpella.

— Le petit a perdu son doudou, expliqua-t-elle. Il l'avait quand nous sommes entrés dans la ville, mais il l'a sûrement fait tomber de la charrette. Monsieur le Grand Alpha est parti essayer de le trouver, sauf que le bateau part bientôt et...

— Quoi ? la coupa Eleanor. Clark est parti seul dans la ville ?

Elle avait forcément mal entendu. Il ne pouvait pas être stupide à ce point, ce n'était...

— Il est descendu il y a quelques minutes, confirma Judith. Il a dit qu'il revenait vite, mais la nuit est en train de tomber et nous sommes sur le point de partir.

La Neutre prenait soin de parler à voix basse, afin de ne pas affoler Marcus, or le louveteau affichait déjà une mine préoccupée. Pourquoi cet abruti d'alpha n'a pas demandé à un soldat de l'accompagner ? Flâner seul dans une ville inconnue, surtout à une heure pareille, était pure folie.

— Je vais essayer de le trouver, décréta-t-elle. Si nous ne sommes pas rentrés à temps, demandez à Rowan d'essayer de retarder le bateau. Sinon, nous nous retrouverons à la prochaine ville.

Et sans laisser le temps à Judith de protester, elle dévala une passerelle et retourna sur la terre ferme. Elle s'élança à travers le port, en tâchant de se rappeler quel chemin ils avaient pris. S'il s'était lancé à la recherche de la peluche, le Grand Alpha avait sûrement essayé de reproduire leur trajet.

À mesure qu'elle s'éloignait du port, Eleanor sentait son coeur s'accélérer. Elle avait beau regarder de tous les côtés, Clark était invisible.

— Quel imbécile, quel imbécile, quel imbécile, pesta-t-elle en tournant à l'angle d'une rue.

Des passants la regardaient d'un drôle d'air, mais elle ne se laissa pas impressionner. Le poids rassurant de ses poignards, l'un dans la poche de sa robe, l'autre dans sa bottine, l'encourageait à continuer. Hélas, malgré ses efforts, elle ne voyait pas l'ombre du Grand Alpha.

Elle se mit à crier son prénom, sans cesser de courir partout. Au diable la discrétion, elle ne pouvait pas se permettre de perdre plus de temps. S'il revenait au bateau avant elle, et qu'elle loupait le départ de l'embarcation, elle se retrouverait dans de beaux draps... Le dirigeant ne devait pas être la seule personne au monde à s'appeler Clark, ce qui éviterait d'éveiller les soupçons.

Au bout de longues minutes de recherche, elle se mit en tête de faire demi-tour. Cependant, au moment où elle dépassait une énième intersection, de drôles de bruits retinrent son attention. Elle tourna la tête vers une ruelle et manqua de déraper sur les pavés.

Deux hommes se battaient violemment, tandis que deux autres regardaient en ricanant. L'un des combattants était Clark, qui semblait en bien mauvaise posture.

Son adversaire lui décocha un coup dans la mâchoire, manquant de le propulser par terre. Il se rattrapa maladroitement contre un mur, mais l'homme l'agrippa aussitôt par sa veste.

— Lâchez-le tout de suite ! s'écria Eleanor.

Tous les regards se retrouvèrent braqués sur elle. Une lueur d'espoir sembla illuminer les yeux du Grand Alpha, avant d'être remplacée par une crainte redoublée.

— Eh bien, qui c'est celle-là ? s'exclama l'un des hommes. Ça m'étonnerait que ce soit ta copine, elle est trop bien foutue pour un binoclard comme toi !

Il s'esclaffa en même temps que ses acolytes, tous âgés d'une trentaine d'années.

— Je vous ai dit de le lâcher, répéta-t-elle d'un ton menaçant.

— Oh, c'est qu'elle défend son chouchou ! Il doit être sacrément riche pour qu'elle soit autant attachée à lui...

Il fit mine d'approcher une main des poches de Clark, mais Eleanor dégaina son poignard. Les bandits émirent un faux sifflement impressionné, puis ricanèrent comme les idiots qu'ils étaient.

— Tu devrais poser ça, ma chérie, susurra l'un d'eux en imitant grossièrement son accent du Rubis. Tu vas te faire mal.

Elle raffermit sa prise sur son arme et sentit un sourire étirer ses lèvres. On dirait qu'un exercice pratique s'impose, songea-t-elle. Tant mieux.

C'était ce qu'elle préférait.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top