Chapitre 22 - Retour en terre ennemie
Toutes les lettres de Rodolphe eurent droit à une opération méticuleuse. Plutôt que de toutes les brûler, Eleanor se contenta de gratter chaque sceau de cire rouge. Une minuscule plaque en verre se trouvait derrière presque chacun d'eux, avec toujours une drôle d'indication. Nord-Est de Sable-Lunaire. Sud de Fearghasdan. Ces endroits se situaient dans différentes régions de la Terre des Loups, souvent très éloignées les unes des autres.
— Cela se suit par ordre chronologique, avait cru comprendre Rowan. Les plaques des lettres les plus anciennes indiquent toutes la Terre de l'Ambre. Ensuite, pendant environ trois mois, les plaques ont mentionné la Terre de l'Émeraude. Les cinq lettres les plus récentes cachaient toutes la même plaque indiquant Reejhak, sur la Terre du Rubis.
Cependant, ils ignoraient quoi faire de cette déduction. À quoi servaient ces adresses, si Anya ne les découvrait jamais ? Et surtout, vers qui menaient-elles ?
Marcus n'avait su répondre à aucune autre question supplémentaire. Les rares informations qu'il leur avait fournies étaient déjà précieuses, mais pour le moment, elles ne servaient qu'à les perdre davantage. Faute de pouvoir trouver un sens à leurs nouvelles découvertes, chacun avait regagné sa chambre, en se promettant d'y réfléchir de son côté.
Deux jours plus tard, en début d'après-midi, un valet vint à la rencontre d'Eleanor. Celle-ci se trouvait sur l'une des petites terrasses du palais, occupée à faire de l'exercice. À force de ne plus suivre son entraînement de Chasseuse, elle craignait de perdre sa forme et ses réflexes. Rowan lui avait vaguement promis qu'il viendrait un jour s'entraîner au combat avec elle, mais n'avait jamais montré son nez.
— Mademoiselle ? l'interpella le domestique. Monsieur le Grand Alpha souhaiterait s'entretenir avec vous.
Elle interrompit aussitôt sa série d'étirements dans les escaliers. Sûrement Clark avait-il trouvé une nouvelle piste, ou Marcus avait-il confessé de nouvelles choses.
Elle suivit docilement le valet à travers les couloirs, mais s'étonna lorsqu'il dépassa plusieurs escaliers sans jamais les monter. Il doit avoir un autre bureau au rez-de-chaussée, supposa-t-elle. Toutefois, lorsque le domestique ouvrit une porte, ce fut une toute autre pièce qui s'offrit à elle.
Une délicieuse odeur de chocolat fondu lui assaillit les narines, mélangée à de légères senteurs de bois brûlé. Elle retint une exclamation en découvrant le nombre d'ustensiles fixés aux murs, allant de la plus petite des casseroles à la plus imposante des marmites. Les minces fenêtres situées en hauteur faisaient briller les objets en cuivre, tous lustrés à la perfection. Un four en pierre était allumé, projetant des reflets orangés sur le cuisinier qui n'était autre que... Clark.
— Bonjour ! s'exclama-t-il quand Eleanor s'avança dans la cuisine. Excusez-moi de vous avoir fait venir ici, je voulais vraiment vous parler, mais il faut que je surveille ces gâteaux.
Il s'exprimait avec un entrain que la louve ne lui connaissait pas, ce qui accentua sa perplexité. Il avait remonté les manches de sa chemise blanche au-dessus de ses coudes, tandis que son pantalon était protégé par un tablier accroché à sa taille. Cela lui conférait un air décontracté, que la jeune fille se surprit à trouver... plutôt plaisant.
Le valet s'éclipsa après avoir salué son maître. Comme il n'y avait pas l'ombre d'un autre cuisinier ou d'un quelconque commis à l'horizon, les deux loups se retrouvèrent seuls.
— Vous... faites la cuisine ?
Elle n'avait pu contenir cette remarque, incapable d'assimiler ce tableau incongru.
— Cela m'arrive de préparer quelques pâtisseries, avoua-t-il en triturant ses lunettes. J'avais fait des gaufres, l'autre jour. Marcus ne vous en a pas porté ?
Si. Et elles étaient tellement délicieuses que depuis, tout me paraît fade. Évidemment, s'adonner à de telles louanges était hors de question. D'autant plus que la nourriture du palais était excellente. Ce compliment aurait été beaucoup trop exagéré...
— Il m'en a bien donné. J'ignorais juste que vous les aviez faites, mentit-elle.
Il parut la croire et se contenta d'un petit sourire un peu gêné. Curieuse de découvrir ce qu'il préparait, elle contourna la table au centre de la pièce et s'approcha du four.
— Ce ne sont que des petits gâteaux au chocolat, lui expliqua-t-il. Il me reste à faire un coulis de framboise que je mettrai à l'intérieur. Marcus les préfère comme ça.
Appuyée contre le plan de travail, juste à côté de lui, elle le regarda découper de magnifiques fruits rouges.
— Vous pouvez en prendre, si vous voulez, fit-il en désignant la petite barquette de framboises.
Eleanor ne se fit pas prier et en piocha quelques-unes. Elle n'avait eu que rarement l'occasion de goûter ce fruit, pourtant délicieux.
— Vous devez être le seul alpha au monde à savoir faire la cuisine, commenta-t-elle, amusée.
Il consulta un petit carnet, puis attrapa un pichet d'eau.
— Je... J'ai toujours eu l'habitude de venir ici. Une des anciennes pâtissières m'a tout appris. Quand les cuisiniers partent après avoir terminé le service du midi, c'est l'endroit le plus tranquille du palais.
Il mélangea quelques ingrédients inconnus à ses framboises, puis goûta la préparation. Il afficha une demi-grimace et griffonna quelques notes sur son carnet.
— Ce sont vos propres recettes ? s'étonna la louve en observant le livret.
— Plutôt le suivi de mes expériences, marmonna-t-il en grattant dans un placard. Certaines sont un vrai désastre.
Eleanor tourna quelques pages, en prenant soin de ne pas perdre celle où travaillait Clark. Ce dernier entendit le bruissement du papier et fit volte-face.
— Oh ! Ne... Tout est à moitié illisible, bredouilla-t-il en accourant vers elle. Et... Et je doute que vous soyez très intéressée par le secret de la pâte à crêpes et...
Il l'empêcha de tourner une page et attrapa le carnet pour le garder près de lui. Cet affolement déconcerta Eleanor, qui eut l'impression qu'il lui cachait quelque chose. Pourquoi n'aurait-elle pas pu feuilleter de simples recettes ?
— Justement, la pâte à crêpes est un art qui me dépasse totalement. La veille du jour où vous avez débarqué dans ma tour, je venais d'en faire brûler une dizaine.
Il laissa échapper un petit rire nerveux, tout en surveillant son carnet du coin de l'oeil. Je n'avais pas l'intention de le jeter au feu, aurait-elle voulu lui lancer. Une fois n'est pas coutume, elle préféra ne pas jouer la carte de l'agressivité.
— Quelle poêle aviez-vous utilisée ? lui demanda-t-il en mélangeant ses framboises avec une sorte de sirop. Certaines ne sont pas très pratiques pour retourner les crêpes et on finit par les écraser ou les faire tomber dans le feu.
Effectivement, elle avait eu l'occasion d'en faire l'amère l'expérience...
— Celle avec laquelle vous vous êtes défendu quand je vous ai attaqué, lui indiqua-t-elle avec une pointe de malice. Vous vous en souvenez ?
Il écarquilla les yeux et leva vers elle une mine sidérée.
— Utiliser une telle poêle est une honte pour l'association des crêpes parfaites, fit-il mine de la sermonner. Elle ressemblait presque à une casserole, comment voulez-vous échapper à la catastrophe ?
Elle se mordit la lèvre pour réprimer un sourire, puis ajouta :
— Et visiblement, cette pauvre poêle n'était pas non plus un excellent bouclier. J'imagine que vos lunettes dorées n'ont pas pu être réparées ?
— Malheureusement non. En attendant que de nouvelles soient fabriquées, j'essaye de protéger celles-ci. J'espère que je n'ai pas une deuxième ex-fiancée qui veut me refaire le portrait...
Elle gloussa et l'observa remuer sa préparation. Il la goûta de nouveau, puis attrapa une autre petite cuillère qu'il trempa dans le bol.
— Pouvez-vous me donner votre avis ? s'enquit-il en la tendant vers Eleanor.
La louve se pencha pour goûter le mélange, qui se révéla excellent. Au moment où elle recula, elle réalisa qu'elle aurait peut-être dû prendre la cuillère elle-même, au lieu de laisser Clark la lui donner...
— Vous devriez vraiment ouvrir une pâtisserie ! lança-t-elle pour éviter un silence gêné.
Il baissa les yeux, comme s'il était peu habitué aux compliments.
— Je pense que si je n'étais pas Grand Alpha, j'aurais beaucoup aimé être boulanger. Mais j'imagine que tous les boulangers rêvent de devenir le Grand Alpha...
Il grimaça un sourire, qui peina Eleanor. Quand les gens songeaient au rôle de dirigeant, ils pensaient d'abord à tous les privilèges qui allaient avec. Certes, les avantages – comme la richesse quasi illimitée et le personnel à disposition – étaient considérables, mais les problèmes à gérer l'étaient davantage...
— Et vous ? l'interrogea-t-il en jetant un coup d'oeil à son four. Est-ce que vous auriez aimé être autre chose que Chasseuse de vampires ou... que ma fiancée ?
La jeune fille n'eut pas besoin de réfléchir longtemps. Quand elle était petite, elle s'était même imaginé qu'elle pourrait exercer ce métier tout en étant la femme du Grand Alpha.
— Danseuse.
Elle avait toujours eu l'impression d'être née pour ça. Dès qu'elle entendait de la musique, elle ne pouvait réprimer son envie de bouger et de suivre le cours de la mélodie. Cela faisait des années qu'elle n'en avait pas entendu et c'était ce qui lui manquait le plus au monde.
— C'est vrai, vous disiez dans votre lettre que vous adoriez la danse, se souvint-il. En des temps plus joyeux, des bals se tiennent souvent au palais. Je suis désolé que nous ne puissions pas en prévoir un...
En effet, même si cela faisait désormais plus de deux mois que sa femme était morte, organiser une soirée dansante aurait été un peu déplacé.
— Ce n'est pas grave, lui assura-t-elle avec un petit pincement au coeur. De toute façon, je connais surtout les danses traditionnelles de la Terre du Rubis... Je doute qu'elles soient souvent jouées ici.
À l'évocation de la Terre du Rubis, une ombre passa sur le visage de Clark.
— À ce propos, c'est justement pour ça que je vous ai fait venir ici. J'ai réfléchi à ce que nous avons découvert sur Anya et... Je crois que nous devrions nous rendre dans votre région.
Eleanor prit sur elle pour rester de marbre, mais ses doigts trahirent sa nervosité. Ils se mirent à triturer ses bagues, sans pouvoir s'arrêter.
— Vous êtes sûr que ce n'est pas une perte de temps ? Ou pire, que ce ne serait pas sauter dans la gueule du loup ?
— Nous prendrions les mêmes risques que lorsque nous nous sommes rendus chez les Rhodebrookes, admit-il. Ce serait même plus dangereux, puisque nous ne connaîtrions pas nos adversaires. Malgré tout... Cette adresse est la plus récente qu'a laissée Rodolphe.
— Elle ne nous mènera pas forcément à lui. S'il rencontrait régulièrement Anya au village, il ne devait pas faire à chaque fois le trajet de la Terre du Rubis jusqu'ici.
Ce Rodolphe semblait certes plutôt nomade, mais qui leur disait que cette adresse permettrait de le trouver ? Ils pourraient tomber sur absolument tout et n'importe quoi.
— Si c'est notre seule chance de trouver les coupables, ou ne serait-ce qu'un nouvel indice, j'ai bien peur que nous n'ayons pas tellement le choix, soupira Clark. Croyez-moi, je n'ai aucune envie de prendre des risques inutiles, mais... Nous ne pouvons pas abandonner maintenant.
Au fond, la louve était d'accord avec lui. Ils ne pouvaient pas ignorer ces adresses cachées derrière ces sceaux de cire et faire comme si elles n'existaient pas. Cependant, elle avait l'intime conviction que les choses tourneraient mal. Plutôt que de jouer les pessimistes, elle préféra demander plus de précisions :
— Qu'avez-vous prévu ?
— Pas grand-chose pour le moment. J'avais dans l'idée de reprendre le groupe qui s'était rendu sur la Terre du Topaze avec nous. Winona, Philip et Mathias ne sont affectés à aucune autre mission, donc j'imagine qu'ils doivent être disponibles. Je ne sais pas si impliquer Rowan est très judicieux, mais il voudra forcément être de la partie.
En espérant qu'il évite d'étrangler le premier suspect venu... De toute façon, Eleanor n'était pas contre quelqu'un qui saurait user de ses poings.
— Et l'ambassadeur de la Terre du Rubis ? s'enquit-elle en croisant les bras. Vous n'avez pas l'intention de l'emmener, si ?
Depuis son arrivée au palais, la jeune fille prenait soin de ne pas croiser sa route. Même si le nom que lui avait donné Clark ne lui disait rien, il était possible qu'elle l'ait déjà croisé chez l'alpha du Rubis. Si l'ambassadeur la reconnaissait, il ne faisait nul doute qu'il en toucherait un mot à la famille d'Eleanor... Heureusement, les réunions diplomatiques se tenaient toujours aux mêmes heures, ce qui permettait de l'éviter sans difficultés.
— Non, la rassura le Grand Alpha. Il s'est toujours montré sérieux et aimable avec moi, mais je ne lui fais pas assez confiance pour le mêler à l'enquête. Par contre, James du Topaze doit revenir cette semaine. Il m'avait fait savoir que même si sa région n'est plus concernée, il serait toujours volontaire pour continuer à nous aider.
— C'est vrai ? s'exclama-t-elle, ravie à la perspective de revoir l'ambassadeur. James revient ?
Sa présence avait contribué à rendre le voyage sur la Terre du Topaze plutôt agréable.
— Oui... Euh... Vous l'aimez bien, n'est-ce pas ? balbutia Clark en s'intéressant à son four.
Peut-être était-ce seulement à cause du feu qui brûlait à côté d'eux, mais les joues du jeune homme devinrent écarlates. Eleanor fronça les sourcils, ne sachant trop où il voulait en venir.
— Il est très gentil, confirma-t-elle. Pourquoi ?
Il éteignit le feu si maladroitement qu'elle craignit de se retrouver avec un grand brûlé.
— Pour... Pour rien du tout, je... Laissez tomber.
Mais quelle mouche l'a piqué ? Elle hésita à l'interroger davantage, à peu près certaine d'avoir loupé quelque chose. L'odeur de gâteaux fraîchement cuits détourna son attention et elle observa Clark sortir une dizaine de petits moules.
— Je ne vous propose pas mon aide, tout tomberait par terre, déclara-t-elle en restant à sa place. Les esprits de la cuisine sont contre moi.
Il rit doucement et planta un couteau dans l'un des gâteaux, qui se révéla parfaitement cuit. Il lui apprit ensuite qu'il fallait attendre un peu avant de démouler les pâtisseries, sans quoi elles finiraient toutes écrasées.
— Pour en revenir à la Terre du Rubis, reprit-il, je n'en ai encore parlé à personne. Je voulais vous prévenir en premier pour avoir votre avis et... Surtout, je ne veux pas que vous vous sentiez obligée de venir. Je sais ce que cet endroit représente pour vous et il est hors de question que je vous replonge dans de mauvais souvenirs...
Elle resserra les bras autour de sa poitrine et baissa les yeux vers le carrelage marron. Le jour où elle avait quitté la Terre du Rubis, elle s'était juré qu'elle n'y reviendrait plus jamais. Les dernières heures qu'elle y avait passées avaient été les plus difficiles de sa vie. Moins elle était près de sa famille, mieux elle se portait.
Néanmoins, elle ne pouvait nier que l'idée de revoir sa région avait quelque chose d'excitant. Le soleil brûlant lui manquait, la mer et les plages interminables aussi, sans parler de l'ambiance chaleureuse des rues lors des fêtes nocturnes... Du moment qu'elle ne s'approchait pas de Sable-Lunaire, le chef-lieu du territoire, ce voyage pourrait peut-être lui être bénéfique.
— Reejhak est assez loin de la ville où se trouve ma famille. Je n'y suis même jamais allée. Ça ne devrait pas être si terrible.
— Il ne faut pas non plus que cela vous mette en danger, s'inquiéta-t-il. Vous resterez tout le temps avec nous, mais si des soldats de votre père vous retrouvent...
— Je leur planterai un poignard bien placé et ils ne m'auront pas, le coupa-t-elle.
Elle n'était plus une gamine de seize ans complètement dépendante de sa famille. Même si les risques étaient bien présents, elle refusait de vivre comme si elle n'était pas libre de ses mouvements. En renonçant à ce périple, elle laisserait encore l'alpha du Rubis exercer un contrôle sur elle. Et cela n'avait que trop duré.
— Comme vous voulez, décréta-t-il. Mais vous êtes complètement libre de changer d'avis.
Sa prévenance la toucha, or elle ne comptait pas se défiler. Malgré tout, elle ne pouvait empêcher une légère appréhension de la tenailler...
— De toute façon, reprit-elle pour donner le change, vous aurez besoin de moi. Passer inaperçus sur la Terre du Topaze était plutôt facile, mais ce ne sera pas la même chose sur celle du Rubis. Aucun des membres de votre équipe n'a la tête de quelqu'un du coin, vous attirerez l'attention dès que vous aurez dépassé la Frontière.
Organiser un voyage officiel du Grand Alpha était impossible, puisque Rodolphe – ou la personne qui se trouvait au nord de Reejhak – risquait d'être prévenu de son arrivée. Ils étaient donc obligés d'utiliser la même méthode qu'avec les Rhodebrookes.
— Je discuterai avec Rowan et les soldats de la couverture qu'il nous faudra adopter, approuva-t-il. Je ne sais pas si celle de marchands sera suffisante, nous verrons bien... Quoi qu'il en soit, c'est sûr que votre présence ne serait pas de trop. Mais comme je vous l'ai dit, si...
— Si je change d'avis, je vous le dirai, l'interrompit-elle. Je sais.
Ils échangèrent un sourire, puis Clark se reconcentra sur ses gâteaux. Eleanor s'émerveilla devant la forme parfaite des pâtisseries, qui ne restaient pas collées au fond du moule.
— Que faites-vous ? s'horrifia-t-elle quand il les coupa en deux, tels de pauvres décapités.
Si par miracle, elle avait un jour réussi à obtenir de si beaux gâteaux, jamais il ne lui serait venu à l'idée de les saccager ainsi !
— Il faut bien mettre la framboise.
Il étala le coulis sur une moitié de gâteau et reposa l'autre par-dessus, le ressoudant presque parfaitement. Il le tendit ensuite à Eleanor.
— Voulez-vous bien me servir de cobaye ?
Quelle question ! Ses yeux dévoraient déjà la pâtisserie.
— Vous êtes sûr qu'il en restera assez pour votre fils ? prit-elle toutefois la peine de s'enquérir. Je ne voudrais pas que vous en gâchiez un pour moi et...
— Vous pourrez même en prendre autant que vous voulez. Enfin, seulement s'ils sont mangeables, ajouta-t-il avec un sourire timide.
Il avait beau jouer les mal assurés, elle le soupçonnait de savoir à quel point ses gâteaux étaient délicieux. Elle prit la pâtisserie et croqua dedans sans plus hésiter. Le coulis de framboises sublimait en effet le gâteau au chocolat, le rendant beaucoup moins sec et étouffant.
— Absolument immangeables, fit-elle mine de se navrer. Vous devriez tous me les donner, Marcus ne va pas du tout aimer.
Il éclata de rire et continua de découper ses gâteaux. Il proposa à Eleanor d'étaler le coulis de fruits rouges, ce qu'elle parvint à faire sans trop de mal.
Quelques semaines plus tôt, l'idée de passer du temps en sa compagnie lui aurait paru inconcevable. Désormais, elle se surprenait à rigoler avec lui chaque fois qu'elle faisait une bêtise. Elle n'oubliait pas totalement qu'il était son ex-fiancé, néanmoins... Elle n'éprouvait plus aucun sentiment négatif à son égard.
— Et voilà, conclut-il une fois qu'ils eurent terminé. Tout est prêt juste à temps pour le goûter.
En effet, la pendule accrochée dans un coin de la cuisine affichait presque quatre heures de l'après-midi. La jeune fille n'avait même pas vu le temps passer.
— Si vous avez un jour encore besoin d'un commis, n'hésitez pas, plaisanta-t-elle en se rinçant les mains. Surtout si vous avez des doutes sur certaines préparations, je suis volontaire pour être votre cobaye officiel.
— Voilà un titre que je devrais créer...
Ils gloussèrent et commencèrent la vaisselle, tâche pour laquelle Eleanor était un peu plus douée. Des domestiques auraient sûrement pu s'en charger, mais Clark paraissait habitué à la faire lui-même. Cela ne posa aucun problème à la louve, qui n'avait pas la moindre envie de partir.
Cet agréable moment lui fit presque oublier que d'ici quelques jours, elle serait de retour sur la Terre du Rubis... Là où son frère avait définitivement fait basculer sa vie.
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