Chapitre 21 - Un vrai casse-tête
— Je peux pas te dire. C'était un secret à moi et maman.
Eleanor pinça les lèvres, tandis que Clark soupirait en retirant ses lunettes. Il les déposa sur son bureau, où était assis Marcus. Ce dernier remuait ses pieds dans le vide, tout en mâchouillant la manche de sa tunique.
— Maman aurait voulu que tu nous le dises, insista Rowan. Il faut absolument qu'on sache qui était Rodolphe.
Le petit garçon secoua la tête.
— J'ai pas droit de vous dire. Maman voulait rien que je dise à personne. Surtout pas à toi et papa.
Pendant tout le trajet du retour jusqu'au palais, Eleanor et Rowan avaient tenté de faire parler Marcus. Le garçonnet avait refusé de leur livrer la moindre information sur ce Rodolphe. Il prétendait que sa mère lui avait fait promettre de se taire, et il comptait bien honorer son engagement.
Tous les trois avaient ensuite rendu visite à Clark, dans l'espoir que le père du petit sache le convaincre. Hélas, Marcus s'obstinait à refuser.
— C'est peut-être lui qui a tué ta mère, avança Rowan, tu dois nous...
— Rowan, l'interrompit le Grand Alpha.
Son ton faussement calme et son regard appuyé brisèrent l'élan de son meilleur ami. Celui-ci commençait à perdre patience et oubliait qu'il s'adressait à un enfant. Il marmonna des excuses et se mit à faire les cent pas dans la pièce.
Eleanor, qui se tenait assise sur une chaise près de Clark et Marcus, se pencha en avant. Elle attrapa doucement la minuscule main du garçon, qui riva ses iris bleutés aux siens.
— Je sais que tu crois bien faire en tenant ta promesse, mais nous essayons de savoir qui a fait du mal à ta maman. Peut-être que Rodolphe était très gentil et ne lui a rien fait. Nous avons juste besoin d'en être sûrs. Est-ce que tu peux au moins nous dire à quoi il ressemblait ?
Marcus jeta un regard en direction de son père, qui l'encouragea d'un signe de tête.
— Monsieur plus vieux que toi, finit-il par marmonner. Cheveux marron et sourire gentil.
Voilà qui ne les aidait pas tellement, mais qui était mieux que rien. Cela correspondait à la vague description de Finn, le témoin du meurtre.
— Est-ce que tu sais s'il s'agissait d'un vampire ? poursuivit Eleanor.
— Non, c'était pas vampire. Il sortait au soleil. Il est comme Judi, je crois.
Un Neutre. Il était donc probablement assez inoffensif. Toutefois, rien ne l'empêchait de s'être allié avec un vampire pour tuer Anya.
— Maman et toi alliez souvent le voir au village ? l'interrogea Clark.
Ces questions plutôt anodines endormirent la méfiance du petit, qui consentit à répondre :
— Je crois pas, c'était des fois à la fin des balades à poney. Maman voulait que Rodolphe et moi on se connaisse.
Cet aveu attisa la perplexité des trois loups. Tant d'interrogations assaillaient Eleanor qu'elle ne savait même plus où focaliser son attention.
— Et quand tu le voyais, qu'est-ce qu'il te disait ? s'enquit Rowan qui avait cessé d'arpenter la pièce.
Le fils de Clark haussa ses frêles épaules.
— Je sais plus, il était juste gentil. Il parlait surtout avec elle. Je comprenais pas tout.
Le Grand Alpha tendit le bras pour attraper un papier qui traînait sur son bureau. Une des lettres de Rodolphe.
— Après le dodo de l'après-midi, tu jouais souvent dans le bureau de maman, commença-t-il en dépliant la feuille. Elle devait passer beaucoup de temps à écrire, non ?
Marcus hocha la tête.
— Oui, comme toi.
— Et est-ce que tu lui demandais ce qu'elle écrivait ? Des fois, il t'arrive de me poser la question. Tu te souviens de ce qu'elle disait ?
— Est-ce qu'elle te parlait de commandes de robes, ou de je ne sais quoi ? ajouta Rowan.
Cette fois, le petit garçon répondit par la négative.
— C'était pas des robes que maman elle achetait.
Eleanor fronça les sourcils et désigna le message que tenait Clark. C'était complètement stupide, puisque le louveteau était trop jeune pour savoir lire. Toutefois, elle précisa :
— Nous avons retrouvé des messages que Rodolphe envoyait à ta maman. Apparemment, il lui achetait des robes et tout un tas d'autres vêtements.
Marcus secoua vivement la tête.
— C'était pas des robes, répéta-t-il.
Rowan marmonna de discrets jurons, tandis que Clark et la jeune fille échangeaient un regard. Aucun d'eux ne voulait brusquer Marcus, mais avec de telles réponses, ils étaient bien obligés d'insister.
— Alors qu'est-ce que c'était ? demanda doucement le Grand Alpha.
Le petit mâchouilla sa manche de plus belle.
— Je peux pas te dire.
Rowan grogna et se remit à marcher de long en large. Eleanor devina que s'ils ne s'adressaient pas à Marcus, il aurait attrapé leur informateur pour le secouer. La jeune fille avait très envie de dire que de là où elle était, Anya se moquait bien qu'il respecte ou non sa promesse. Évidemment, tenir de tels propos était exclu.
— Rodolphe il était gentil, déclara Marcus. Et maman elle disait qu'il avait besoin de nous. Il lui a rien fait.
En quoi Anya avait-elle bien pu aider un Neutre ? Lui donnait-elle de l'argent ? Ces prétendus achats de robes auraient alors pu être un moyen de cacher ses dons... La même idée dut traverser l'esprit de Clark.
— Tu sais si Rodolphe avait une famille ? s'enquit-il. Ou s'il appartenait à un vampire ?
Le petit garçon fronça les sourcils. Il ne devait sans doute pas savoir que les Neutres appartenaient généralement à des vampires, qui les utilisaient pour leur sang. Comment un enfant aurait-il pu comprendre une si terrible réalité ?
— Oublie ça, fit son père en réalisant sa méprise. Est-ce que tu sais simplement si Rodolphe avait des enfants ?
— J'en ai pas vu avec lui. Mais Rodolphe aidait enfants. Il était vraiment gentil, répéta-t-il.
Eleanor ignorait si son avis pouvait être pris au sérieux. Marcus avait-il un semblant de conscience du bien et du mal, ou se fiait-il juste aux propos de sa mère ?
— Bon, ça suffit, s'agaça Rowan. Tout cela ne nous mène nulle part.
Il ignora le regard d'avertissement de Clark et vint près d'Eleanor. Il s'accroupit à côté d'elle, de manière à pouvoir regarder Marcus dans les yeux.
— Tu sais que j'aimais beaucoup ta maman, n'est-ce pas ?
Son ton n'était ni totalement brutal, ni franchement doux. Le petit loup ne parut pas effrayé et murmura doucement :
— Et toi t'étais sa deuxième personne préférée. Moi j'étais premier.
Rowan acquiesça, ses lèvres étirées en un triste sourire.
— Tu sais que je ne lui aurais jamais fait de mal et... J'ai envie que ceux qui lui en ont fait soient punis. Ils pourraient s'en prendre à d'autres personnes et il est hors de question que cela arrive.
Eleanor sentait que ces paroles ne plaisaient qu'à moitié au Grand Alpha. Néanmoins, il resta silencieux et laissa son ami poursuivre.
— Pour le moment, nous ne savons pas qui a fait ça. Mais si tu nous dis ce que tu sais sur Rodolphe, peut-être qu'il nous aidera à découvrir les coupables. Je te jure que s'il n'a rien à voir avec ce qui est arrivé à maman, nous ne lui ferons aucun mal. Tu sais que ton papa et moi ne sommes pas méchants, n'est-ce pas ?
Cela reste à prouver, nuança Eleanor en son for intérieur.
— Mais Rodolphe n'a rien fait, réaffirma Marcus. Il...
— Nous avons besoin d'en être sûrs, le coupa Rowan.
La louve pivota la tête vers lui, surprise par sa dureté. Concentré sur le louveteau, il semblait décidé à mettre un terme à cet interrogatoire.
— Ce n'est plus une question de promesse à respecter. Nous devons savoir, afin d'être en capacité de la venger et...
Il ne put aller plus loin, car Clark bondit de sa chaise et se dirigea vers la porte.
— Rowan, viens avec moi.
Cet ordre fit ciller l'interpellé, qui le fixa sans comprendre.
— Mais je...
— Dépêche-toi.
Eleanor écarquilla les yeux. Hormis lorsque Rowan s'était emporté contre le chef des Rhodebrookes, jamais Clark n'avait parlé ainsi à son ami. D'ailleurs, elle ne l'avait jamais vu parler si fermement à qui que ce soit. Même lorsqu'il lui avait ordonné de ne plus approcher Marcus avec une arme, il n'affichait pas une telle colère froide.
Rowan s'exécuta et les deux loups sortirent dans le couloir. La jeune fille se retrouva donc seule avec Marcus, qui ne paraissait pas avoir tout saisi.
— Papa énervé contre Tonton Rowan ? se surprit-il.
Eleanor ne sut quoi lui répondre. C'était bien l'une des premières fois qu'elle se retrouvait seule en compagnie d'un enfant.
— Ce n'est pas grave, ne t'inquiète pas, finit-elle par lui assurer. Tout le monde se met juste facilement en colère en ce moment et...
Le petit garçon baissa la tête. Il fixa ses pieds qu'il agitait tristement dans le vide.
— Tonton Rowan a dit que ceux qui ont fait du mal à maman peuvent faire du mal à d'autres gens, murmura-t-il. Tu crois qu'ils pourraient aussi faire du mal à mon papa ?
Eleanor serra un peu plus ses minuscules doigts. L'idée qu'un enfant si jeune puisse entretenir de telles pensées lui serrait le coeur.
— Ton papa est protégé par beaucoup de personnes, tenta-t-elle de le rassurer. Je suis là pour ça, moi aussi.
Il leva ses yeux clairs vers elle. Elle crut percevoir une autre crainte dans son regard, ce qui la poussa à ajouter :
— Et à toi non plus, il ne t'arrivera rien. N'écoute pas ce que dit Tonton Rowan. Il est simplement...
Elle ne termina pas sa phrase, mais Marcus comprit.
— Il est triste que maman soit morte, compléta-t-il. C'était sa princesse à lui.
Eleanor acquiesça doucement. Comment était-ce possible que malgré son jeune âge, il comprenne déjà tellement de choses ? Et comment faisait-il pour parler de cela sans éclater en sanglots ?
— Tu crois que je devrais parler de Rodolphe à papa ?
Elle le fixa quelques instants, étonnée. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il aborde le sujet par lui-même, sans qu'elle n'ait besoin de le cuisiner.
— Je pense que c'est le mieux, oui. Nous sommes vraiment désolés de t'obliger à dire tout ça, mais...
Il hocha lentement la tête, sachant déjà la suite. Ils lui avaient déjà assez répété combien ils avaient besoin de ces informations.
— Tu peux toi me promettre que tu feras pas de mal à Rodolphe ? l'interrogea-t-il. Je te jure qu'il est gentil. Maman aurait été triste si vous le rendez triste.
Elle hésita, peu désireuse de prendre un engagement qu'elle n'était pas sûre de tenir. Mentir à des adultes lui était déjà difficile, alors quelqu'un d'aussi innocent que lui...
— C'est promis, affirma-t-elle pourtant. Si Rodolphe n'a rien à voir avec ce qui est arrivé à ta maman, nous ne lui ferons pas de mal.
Le louveteau parut satisfait. Il resta silencieux un moment, puis déclara :
— Rodolphe il aidait maman à acheter des gens.
— Quoi ?
À peine eut-elle lâché cette exclamation que la porte se rouvrit. Clark entra dans le bureau et reprit sa place sur la chaise. Il s'apprêtait à faire un commentaire, quand il remarqua la mine effarée de la louve.
— Que se passe-t-il ? s'inquiéta-t-il en portant son attention sur Marcus.
Ce dernier affichait une mine perplexe, visiblement surpris par la réaction d'Eleanor.
— C'est pas bien d'acheter des gens ? demanda-t-il. C'est pour les aider, non ?
Le Grand Alpha fronça un peu plus les sourcils et se tourna vers la jeune fille.
— De quoi parle-t-il ?
— Il... Il vient de dire que votre femme... achetait des gens.
Il afficha un air incrédule. Elle-même peinait à croire qu'elle venait de prononcer ces mots.
Il était bel et bien possible d'acheter des Neutres, cependant... Qu'est-ce qu'Anya aurait bien pu en faire ? Il était courant que ces pauvres malchanceux, dénués de capacités surnaturelles, se fassent capturer par de vils ravisseurs. Ils étaient alors mis en vente comme des objets, sans que quiconque puisse empêcher cela. Les vampires les achetaient principalement pour leur sang, tandis que les loups les utilisaient afin d'accomplir diverses tâches.
De peur de s'attirer un conflit avec les vampires, les Grands Alphas n'avaient jamais pris de mesures durables pour empêcher ces pratiques. Les Neutres ne pouvaient qu'espérer tomber sur un vampire aimable, ou s'attirer la protection d'un loup-garou.
— Tu... Tu veux dire des gens comme Judith ? s'enquit Clark en dévisageant son fils.
Il répondit par un hochement de tête convaincu.
— C'est impossible, contra le Grand Alpha. Nous n'achetons pas les Neutres que nous employons, ils ont un contrat de travail et un salaire ordinaires et... Anya n'aurait jamais fait une chose pareille. Elle n'aurait jamais acheté des Neutres. Elle n'en avait même pas besoin et...
Il s'interrompit, incapable de trouver un sens à tout cela. Son regard croisa celui d'Eleanor, mais elle se sentait tout aussi perdue et démunie que lui.
— Avez-vous eu le temps de vérifier ses comptes ? l'interrogea-t-elle. Est-ce que les sommes d'argent mentionnées par Rodolphe ont bien été dépensées ?
— Tout correspond, confirma-t-il. Je ne me mêlais jamais de ses affaires, elle s'achetait ce qu'elle voulait avec son argent, mais... Je commence à croire que j'aurais dû surveiller tout ça d'un peu plus près.
Il se concentra ensuite sur son fils. Le petit garçon conservait un air impassible, ne se rendant sûrement pas compte de la portée de ses révélations.
— C'est maman qui te l'avait expliqué ? Qu'est-ce qu'elle t'avait dit d'autre ?
Marcus semblait toujours hésiter à se confier. Face au regard inquiet de son père, il fit tomber ses dernières barrières :
— On allait voir Rodolphe pour lui donner pièces d'or. Comme ça il achetait les gens que maman lui disait.
Eleanor attrapa les lettres de Rodolphe qui traînaient sur le bureau de Clark. Elle les relut plusieurs fois, à la recherche du moindre indice corroborant les dires du petit. Hélas, elle n'y voyait toujours que de simples indications sur des vêtements.
— Un jour j'ai même vu une fille qu'elle a achetée, poursuivit Marcus. Je la connaissais pas et maman a dit que c'était Tata Laura.
La jeune fille releva brusquement la tête.
— Ta maman avait une soeur Neutre ? se stupéfia-t-elle.
En réalité, cette question s'adressait plutôt à Clark, qui réfuta aussitôt.
— Anya était fille unique. Ses deux parents étaient des loups-garous et à ce que je sache, aucun n'a eu d'autres enfants de son côté.
— Mais peut-être que vous ne saviez pas tout. Ou qu'elle considérait une amie comme sa soeur, exactement comme vous le faites avec Rowan.
Cette supposition le laissa sceptique.
Soudain, la porte derrière eux s'ouvrit avec fracas, les faisant tous sursauter.
— J'ai compris ! s'écria Rowan en se précipitant vers le bureau.
Il prit les lettres qu'Eleanor tenait entre ses mains, et se mit à les feuilleter à toute vitesse. Ses yeux étaient si brillants que personne n'aurait pu être blâmé de le croire malade.
— Je t'avais dit de ne pas rester ici, marmonna Clark en se massant le front.
— Sans vouloir te vexer, tes mises en garde ne font absolument pas peur. Et ne t'inquiète pas, je me suis calmé.
Il parlait en effet d'un ton plus léger, mais cette euphorie était d'autant plus préoccupante. Ce changement d'attitude ne semblait pas effrayer Marcus, qui observait la scène sans dire un mot.
— Ah, voilà ! s'écria Rowan, pile au moment où Eleanor le croyait ravagé par la fièvre. Regardez !
Il tendit une lettre à Clark, qui prit le temps de remettre ses lunettes. La louve se rapprocha pour découvrir de quoi il s'agissait.
— Je suis resté derrière la porte pour écouter ce que vous disiez et quand Marcus a parlé d'une certaine Laura, j'ai eu une illumination. Je vous avais dit que les majuscules au milieu des mots étaient suspectes. J'avais essayé de voir si elles correspondaient à quelque chose, mais je ne comprenais pas. Regardez ce que celles-ci veulent dire.
Du bout du doigt, il leur désigna un passage bien précis. La robe LAvende maUve et son chapeau Rose et Argent ont bien été achetés sur la Terre de l'Ambre. Le Grand Alpha plissa les yeux.
— Llaurata ? Ça ne veut rien dire, si ?
Rowan poussa un grognement, mais Eleanor s'exclama :
— Laura ! C'est bien ça ?
Le meilleur ami de Clark sourit de toutes ses dents.
— Vous voyez ? Et je suis sûr que c'est pareil pour les autres !
Il s'intéressa à une autre lettre, puis la donna à la jeune fille. Un manteau BlEu Nuit surmonté d'un JAbot blanc et des gants rose fraMboIse avec des boutoNs.
— Je ne vois vraiment pas, soupira le Grand Alpha, dépassé.
Heureusement, Eleanor faisait preuve d'un peu plus de vivacité.
— Benjamin ?
Rowan acquiesça et s'amusa à déchiffrer toutes les autres lettres. Il tomba sur des Mikaela, Ingvar, Sonja, Bjorn...
— Es-tu au moins sûr que ce sont de vrais prénoms ? intervint Clark. Toute cette histoire me paraît vraiment tirée par les cheveux...
— La plupart sont des prénoms de personnes originaires de la Terre du Saphir, expliqua Rowan. Peut-être qu'Anya les connaissait ?
Il interrogea Marcus du regard, mais le petit haussa les épaules. Il ne devait pas connaître l'histoire dans tous les détails.
— Est-ce que vous savez si Anya était particulièrement attachée à la cause des Neutres ? demanda Eleanor. Peut-être qu'elle les achetait pour leur épargner un sort horrible, non ?
Clark secoua la tête, tandis que Rowan ajoutait :
— Elle ne nous en a jamais parlé. C'est cela qui m'étonne et me paraît étrange... Si elle voulait simplement sauver des personnes qu'elle connaissait, nous ne nous y serions jamais opposés. Pourquoi en faire un secret ?
Nul ne savait qu'en penser. Et si Anya menait des activités plus obscures ? Et si ce Rodolphe lui faisait du chantage pour qu'elle lui donne de l'argent ? Et s'il lui interdisait d'en parler à qui que ce soit ?
— En tout cas, je suis assez sceptique quant à ces soi-disant "prénoms cachés", reprit Clark. Pourquoi Anya aurait-elle caché ces lettres dans le bureau de mon père s'ils s'embêtaient à utiliser un code secret ? Déjà que je ne vois toujours pas comment elle a pu avoir connaissance de cette cachette...
Même s'il lui avait déjà affirmé le contraire, Eleanor n'excluait pas l'implication de l'ancien Grand Alpha... Il se pouvait très bien que Clark n'ait pas été mis au courant de tous les secrets de son père.
— Les lettres de Rodolphe elles sont magiques, leur apprit Marcus. Fallait que personne les mette à poubelle.
Tous attendirent impatiemment qu'il se montre plus précis.
— "Magiques" ? répéta finalement Rowan.
— Faut les brûler et elles se transforment.
Pouvaient-ils prendre cette indication au sérieux ? Comme personne n'osait s'y attaquer, Eleanor se leva et contourna le bureau du Grand Alpha. Elle commença à ouvrir les tiroirs, sous le regard perplexe du maître des lieux.
— Qu'est-ce que vous cherchez ?
— Vous n'auriez pas du papier à lettres quelque part ?
Elle ne prétendait pas être une professionnelle du rangement, mais elle avait rarement vu un tel désordre...
— Premier tiroir à droite. Soulevez quelques documents et vous devriez en trouver.
Les "quelques documents" étaient en réalité une pile de vieux rapports froissés et gribouillés de partout. Eleanor finit par y trouver son bonheur et attrapa une feuille vierge. Elle s'empara d'une plume et entreprit de recopier à la va-vite l'une des missives de Rodolphe. Une fois cela fait, elle approcha la lettre originale d'une bougie.
Le feu ne tarda pas à consumer le papier, qui tomba en cendres sur le bureau. Clark s'empressa de faire descendre Marcus, que ce spectacle de destruction semblait fasciner.
— Ça va faire des saletés à nettoyer, marmonna le Grand Alpha.
— Comme si c'était vous qui faisiez le ménage, répliqua Eleanor.
Rowan gloussa et tous attendirent qu'un "tour de magie" se produise. Hélas, les cendres n'eurent pas l'idée de s'assembler pour former un message secret. La louve crut juste entendre un bruit étrange, sans saisir d'où il provenait.
— Il y a autre chose à faire ? s'enquit-elle en regardant Marcus. Tu as déjà vu ta maman brûler une des lettres ?
Il répondit par de grands hochements de tête.
— Faut chercher dedans.
Elle s'exécuta, quitte à se salir les doigts au passage. Les cendres ressemblaient à des cendres ordinaires, mais le sceau de cire rouge avait fondu en une drôle de forme. Il semblait avoir épousé un morceau rectangulaire, que la jeune fille attrapa en toute hâte.
En l'examinant, elle réalisa qu'il s'agissait d'une petite plaque de verre, jusque-là dissimulée par le sceau.
Elle gratta la cire du bout de son ongle, afin de nettoyer le morceau transparent. Il lui parut d'abord tout à fait insignifiant, mais en l'approchant de la lumière, un détail l'interpella.
— On dirait que quelque chose est gravé dessus.
Les lettres fines étaient à peine lisibles.
— Il doit y avoir une loupe dans le dernier tiroir, fit Clark comme elle plissait les yeux.
Elle la trouva en moins d'une minute et se repencha sur la petite plaque. Rowan vint à côté d'elle et ensemble, ils déchiffrèrent trois simples mots. Nord de Reejhak.
— Que signifie "Reejhak" ? s'interrogea Rowan.
À la lecture de ce nom, le sang d'Eleanor s'était glacé. De tous les endroits au monde, pourquoi avait-il fallu que celui-ci fasse partie de cette région ?
— C'est... C'est un village sur la Terre du Rubis.
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