Chapitre 20 - Un témoin insoupçonné

« Chère Anya,

Comme convenu, j'ai réussi à retrouver le commerçant que vous m'aviez indiqué. La robe LAvende maUve et son chapeau Rose et Argent ont bien été achetés sur la Terre de l'Ambre. Elle est en parfait état. Cela m'a coûté un peu plus cher que le prix que nous escomptions, mais j'avais assez pour la transaction. Je vous recontacte dès que j'ai effectué les autres achats.

Encore merci pour votre confiance,

Rodolphe »

Eleanor avait beau relire ce message, elle échouait à lui trouver un sens. Il n'était certes pas étonnant que la femme du Grand Alpha ait fait appel à des acheteurs pour lui dénicher des robes aux quatre coins de la Terre des Loups, seulement... Il y avait des dizaines de lettres comme celles-ci. Pourquoi acheter autant de tenues inutiles ? Et pourquoi avoir caché ces missives dans le bureau du père de Clark ?

— Vous être sûr que votre femme n'était pas kleptomane ? fit la louve en levant la tête vers le Grand Alpha.

Cela faisait quelques heures qu'ils se trouvaient dans son bureau, occupés à examiner les différentes lettres. Ils avaient demandé à un domestique d'aller chercher Rowan, qui s'était empressé de venir. Hélas, cette découverte l'avait autant surpris qu'eux.

— Quel est le rapport avec le vol ? s'enquit Clark, perdu.

Eleanor réalisa qu'elle avait employé le mauvais terme.

— Comment appelle-t-on les personnes qui font des achats compulsifs sans pouvoir s'en empêcher ?

— Des riches qui ne savent pas quoi faire de leur argent, intervint Rowan. Mais je vous jure qu'Anya ne faisait pas partie d'eux.

Assis sur le bureau du Grand Alpha, il fixait les missives sans avoir l'air de vraiment les voir.

— Cela expliquerait pourquoi elle a caché ces lettres, insista Eleanor. Vous avez vu le nombre de bons de commande qu'elle entassait dans son bureau ? Peut-être que certaines robes valaient une fortune et qu'elle avait honte de vous dire tout l'argent qu'elle dépensait ?

— Elle n'avait pas tant de tenues que ça, affirma Rowan. Elle se moquait complètement de la manière dont elle s'habillait.

Clark confirma par un hochement de tête et alluma une nouvelle bougie. La nuit était tombée depuis un moment et malgré ses nombreux chandeliers, le dirigeant semblait ne plus rien y voir. La louve commençait aussi à fatiguer, ignorant quoi penser de leurs découvertes. Au fond, elles ne faisaient qu'apparaitre de nouvelles interrogations.

— Elle ne vous parlait vraiment jamais de ce Rodolphe ? demanda-t-elle à l'adresse de Rowan.

Il répondit par la négative et poussa un soupir.

— Je refuse de croire qu'elle ait pu me cacher quelque chose. Je suis certain que ces lettres sont des messages codés et qu'il lui voulait du mal, ces majuscules au milieu des mots sont suspectes, ces sceaux rouges en bas de page qui ne servent à rien aussi, ça ne peut pas être qu'une question de stupides robes et...

— Calme-toi, l'interrompit Clark. Il ne lui demande jamais de lui donner rendez-vous quelque part, ce qui est plutôt bon signe. Je crois aussi que ce nom de "Rodolphe" m'est familier, je l'ai sûrement lu dans un livre de comptes. Peut-être qu'Eleanor a raison et qu'Anya nous cachait juste un trouble du comportement.

Lui-même ne paraissait pas convaincu par cette hypothèse et à vrai dire, la jeune fille ne l'était pas non plus. Soit Anya était une acheteuse compulsive qui détruisait ses vêtements dès qu'elle les recevait, soit ces lettres avaient un sens caché... Restait à savoir lequel.

— J'essayerai de retrouver un historique de ses comptes demain matin, décréta le Grand Alpha. Je m'intéresserai à l'état de sa fortune et je verrai si des transactions sont suspectes. En attendant, nous ferions mieux d'aller nous coucher.

Eleanor acquiesça et se leva de sa chaise. Rowan resta immobile quelques secondes, mais il finit par s'exécuter. Avant qu'il ne s'éloigne, son meilleur ami l'interpella :

— La gouvernante de Marcus m'a demandé sa journée de congé pour demain. Est-ce que tu voudrais bien aller te promener avec lui au village ? Cela fait longtemps qu'il n'est pas sorti et comme je ne peux pas y aller moi-même, je me suis dit que tu serais peut-être d'accord. Si tu n'as pas envie, ce n'est pas grave et...

Il parlait à toute vitesse, comme s'il craignait que Rowan lui oppose un refus catégorique. Ce fut cependant tout l'inverse.

— Bien sûr, approuva-t-il. Eleanor pourrait peut-être venir avec nous ? Je ne crois pas que quelqu'un vous ait encore fait visiter le village, si ?

Il se tourna vers la jeune fille, qui hésita un peu. Hormis sa sortie avec Clark jusqu'à l'endroit où avait été tuée Anya, elle n'avait pas quitté le palais. Se balader en plein jour était-il vraiment raisonnable ? Et si des soldats envoyés par son père arpentaient la capitale ? Tu ne seras pas seule, tenta-t-elle de se rassurer. Et de toute manière, si quelqu'un osait l'aborder, elle n'hésiterait pas à dégainer son poignard.

— Je suis d'accord, mais vous êtes sûr que vous ne préférez pas que je continue les recherches sur Anya ?

— Nous verrons une fois que j'aurai examiné ses comptes. Cela nous aidera à y voir plus clair et nous éviterons de nous lancer dans des hypothèses farfelues pour rien. En attendant, vous changer les idées ne vous fera pas de mal.

Il porta son regard sur Rowan en prononçant cette dernière phrase, et ce dernier ne chercha pas à protester.

C'est ainsi que le lendemain, en milieu d'après-midi, quelqu'un vint frapper à la porte d'Eleanor. Un sourire se dessina sur ses lèvres lorsqu'elle découvrit Marcus, déjà accompagné de Rowan.

— Bonjour, Elanor ! la salua le petit garçon. T'es prête ?

Il semblait réellement enthousiaste et aucune tristesse ne voilait ses splendides yeux bleus. Il portait une petite tunique et un pantalon tout simple, qui dissimulaient toute appartenance à la noblesse. Rowan avait également opté pour des habits assez sobres, ce qui n'entachait en rien son charisme et son élégance naturelle.

La louve s'était vêtue d'une robe bordeaux, achetée lors de leur voyage jusqu'à la Terre du Topaze. Les manches étaient légèrement trop longues, mais Eleanor aimait beaucoup la jupe fluide et les motifs fleuris.

— Ne vous inquiétez pas, vous êtes complètement dans le thème du jour, la rassura Rowan comme elle jetait un dernier coup d'oeil à sa tenue.

Son ton empreint de malice lui parut suspect.

— Et puis-je savoir quel est ce thème ? s'enquit-elle en plissant les yeux.

— Quand on sort on doit pas ressembler à gens riches, l'éclaira Marcus. T'as pris rideau pour faire robe, c'est super !

La jeune fille retint une exclamation outrée, tandis que Rowan ricanait bêtement. Pourquoi fallait-il toujours qu'on lui fasse des réflexions sur ce qu'elle portait ?

— Moi, je n'ai rien dit, se défendit Rowan face à son regard noir.

Mais vous l'avez pensé tellement fort que je l'ai entendu, eut-elle envie de répliquer. Elle s'en abstint, le petit Marcus étant déjà assez perdu comme ça. Il observait alternativement Eleanor et le meilleur ami de son père, l'air d'ignorer s'il avait dit une bêtise.

— Allons-y, grommela-t-elle en sortant de sa chambre.

Ils gagnèrent la sortie du château, puis descendirent les interminables marches de pierre. Comme Marcus les accompagnait, la jeune fille jugea dangereux de glisser sur la rampe en sa présence. Cela risquerait de lui donner des idées et elle ne tenait pas particulièrement à ce qu'il se fracasse le crâne...

Quand ils arrivèrent dans l'Ancien Quartier, ils croisèrent quelques gentilshommes qui sortaient de leurs maisons. Même si Eleanor s'était déjà aventurée dans cet espace résidentiel, elle eut l'impression de le découvrir pour la première fois. Lors de son unique sortie, l'obscurité avait atténué la magnificence des immeubles, tous plus beaux les uns que les autres.

Les rues étaient d'une propreté remarquable, sans qu'aucun rat ne vienne grignoter le moindre déchet. Quelques nuages avaient beau masquer le soleil, cela n'empêchait pas certains vitraux de projeter leur éclat sur les façades voisines.

— Si vous avez quelques millions à dépenser, l'un de ces immeubles pourrait être à vous, lui glissa Rowan.

— Au cas où vous l'auriez oublié, je n'ai pas un sou. Vous n'avez qu'à en acheter un, vous.

Elle avait lancé cette simple remarque pour le taquiner, mais il se rembrunit aussitôt. Il baissa la tête vers Marcus, qui lui tenait la main en regardant partout autour de lui.

— Anya et moi y avions pensé, murmura-t-il d'une voix à peine audible. Cela nous aurait permis d'avoir un endroit rien qu'à nous, tout en restant proches de Marcus et Clark.

Eleanor s'en voulut pour cette énième maladresse.

— À ce propos, je suis désolée de vous avoir accusé de l'avoir tuée, je...

— Je pense qu'à votre place, j'aurais imaginé la même chose, la coupa-t-il avec un sourire sans joie. Cela m'apprendra à jouer les abrutis grognons et mystérieux, Clark m'a toujours dit que ça ne me réussissait pas.

Ils s'approchèrent de rues un peu plus fréquentées, sans qu'aucune animation ne se profile encore à l'horizon. Elle décida de poursuivre la conversation avec un sujet qu'elle espérait plus léger :

— Marcus a l'air de beaucoup vous aimer. L'autre jour, il vous a appelé Tonton Rowan, lorsque je lui ai demandé où vous étiez.

Cette remarque eut le mérite de détendre ses traits.

— Je crois que dans sa tête, il me prend vraiment pour le frère de son père. Il n'est pas encore assez grand pour réaliser que ce n'est pas tellement possible...

Il désigna vaguement son visage à la peau noire, puis Marcus leva la tête vers eux.

— Tu parles de moi ? demanda-t-il. On dit toujours que moi pas assez grand ! Regarde, je suis presque aussi grand que ta jambe !

Il s'arrêta pour se hisser sur la pointe des pieds et Eleanor gloussa doucement.

À mesure qu'ils tournaient à différentes intersections, la foule se faisait de plus en plus dense. Ils atteignirent bientôt une large rue bruyante, bondée de monde. Des dizaines de promeneurs circulaient entre des étals colorés, où l'on trouvait toutes sortes de marchandises. La louve repéra des bijoux et des vêtements, mais il semblait y avoir aussi tout un tas de friandises.

— C'est le jour du marché, l'informa Rowan. Le matin, on trouve surtout de la nourriture, puis à cette heure-ci, on peut acheter à peu près tout et n'importe quoi.

— Il faut trouver Tata Hilda ! s'écria Marcus.

Le meilleur ami de son père l'attrapa pour l'installer sur ses épaules. Du haut de son perchoir, il tournait la tête de tous les côtés. Il s'agitait tellement que Rowan dut gentiment le rappeler à l'ordre et raffermir sa prise sur ses petites jambes.

— Qui cherchons-nous, exactement ? s'enquit Eleanor.

— La tante de Clark, elle tient un petit stand de peinture. Mais elle peut s'être installée n'importe où, nous verrons au fur et à mesure si nous la voyons.

Ils commencèrent à longer les étals, qui éveillèrent mille et une tentations chez Marcus.

— Croissants ! cria-t-il en désignant une table chargée de viennoiseries.

— Tu devrais attendre qu'on ait fait le tour avant de décider quoi prendre, lui conseilla Rowan. Tu auras peut-être envie d'autre chose après et...

— Non, je veux croissant !

Face à une telle insistance, le loup abdiqua. Ils s'insérèrent dans la file d'attente et quand vint leur tour, le petit garçon marqua une hésitation.

— Gâteau à la confiture c'est mieux, non ?

Derrière eux, quelques clients pressés manifestèrent leur impatience. 

— On va prendre les deux, trancha Rowan. Tu prendras ce que tu veux et Eleanor ou moi mangerons l'autre.

Comme elle n'avait pas vraiment faim, le jeune homme hérita du gâteau à la confiture. Après une mûre réflexion, le fils de Clark avait estimé que le croissant était plus appétissant.

— Ceux de papa sont plus bons, affirma Marcus lorsqu'il arriva à la moitié de sa viennoiserie. Tu veux finir ?

Rassasié, il tendit la pâtisserie à Eleanor, qui consentit à grignoter quelques petits bouts. Ce croissant étant déjà délicieux, elle songea que ceux du Grand Alpha devaient être à se damner. Déjà que ses gaufres étaient proches de la perfection, ce talent pour la pâtisserie devenait un peu suspect... C'est sûr que quelqu'un l'aide, se convainquait-elle.

Malgré l'ambiance plutôt joyeuse et détendue de cette sortie, la jeune fille ne pouvait s'empêcher de rester aux aguets. Elle avait l'impression de croiser bien trop de regards curieux. Ce ne fut que lorsqu'une femme sourit à Rowan, puis la fixa d'une drôle de manière, qu'elle comprit que ces personnes étaient en réalité jalouses. Le jeune homme était trop séduisant pour passer inaperçu, surtout avec Marcus juché sur ses épaules.

— On dirait que certains vous prennent pour le père idéal, lui fit-elle remarquer.

Il éclata d'un petit rire, qui lui allait beaucoup mieux que son air morose.

— Quand je sors seul avec lui, j'ai toujours une horde d'admiratrices autour de moi. Parler du petit est un bon prétexte pour engager la conversation. Surtout que les femmes voient clairement que Marcus n'est pas mon fils, ce qui les rassure un peu. Les pères célibataires ont tendance à les faire fuir.

Même si elle savait ne pas être au centre de l'attention, Eleanor demeura méfiante. Elle n'aperçut aucun loup du Rubis dans les environs, ce qui la rassura un peu.

— Tata Hilda ! s'écria soudain Marcus.

Il tapa doucement sur la tête de Rowan, afin de lui demander de descendre de ses épaules. Dès qu'il toucha le sol, il s'élança vers un étal recouvert d'une trentaine de tableaux. Il bouscula quelques passants et contourna la table, derrière laquelle était assise une femme aux cheveux grisonnants. Celle-ci lâcha aussitôt le pinceau qu'elle tenait et prit le petit garçon dans ses bras.

— Mon bébé louveteau ! s'exclama-t-elle. Je suis passée te voir avant-hier, mais tu faisais la sieste !

Les rares curieux intéressés par le stand se dispersèrent rapidement. Loin de s'en formaliser, la dénommée Hilda ne perdit pas son immense sourire. Elle remarqua à peine Eleanor et Rowan lorsqu'ils s'approchèrent de son étal.

— Tu es plein de miettes, constata-t-elle en époussetant Marcus. Tu as déjà pris quelque chose ? Tu aurais dû attendre, j'ai une amie qui voulait te faire goûter ses chocolats !

À la mention du mot "chocolats", le fils de Clark se mit à sautiller sur place.

— Nous avons eu le malheur de passer devant un marchand de gâteaux, intervint Rowan. Il a juste mangé la moitié d'un croissant.

La femme porta enfin son attention sur les deux loups. Eleanor remarqua qu'elle avait les mêmes yeux bleu glacier que Marcus et son père. Au vu des légères rides qui marquaient son visage, elle ne devait pas avoir plus d'une cinquantaine d'années. Elle cligna les paupières en regardant la jeune fille, comme si elle essayait de déterminer si elle la connaissait ou non.

— Voici Eleanor, déclara Rowan. C'est une apprentie Chasseuse de vampires qui nous aide à...

Compte tenu de la présence de Marcus, il ne termina pas sa phrase. Hilda comprit le message et hocha la tête, l'air sombre. Elle se reconcentra toutefois sur Eleanor et un nouveau sourire fendit ses lèvres.

— Vous avez le même prénom que ma mère ! s'exclama-t-elle.

Cette remarque incongrue manqua de la faire tressaillir. Elle réalisa que si cette femme était la tante de Clark, cela signifiait qu'elle était la soeur de l'ancien Grand Alpha... Elle était donc également la fille de celle qui avait inspiré les parents d'Eleanor.

— Incroyable ! souffla Rowan d'un air théâtral. Ce n'est pas comme si des milliers de demoiselles s'appelaient aussi comme ça !

Il avait dû sentir le malaise d'Eleanor, et venait heureusement de l'en sauver. Hilda adressa au jeune homme un regard mi-amusé, mi-courroucé.

— Fidèle à ta réputation de comique, à ce que je vois !

Il mima une révérence, qui fit sourire les deux louves. Après l'avoir connu si triste, Eleanor était heureuse de le voir ainsi.

— Permettez-moi de vous dire que vous avez des yeux magnifiques ! reprit Hilda en se tournant vers la jeune fille. Cette nuance de marron couplée à du doré, c'est absolument...

— Si je m'aventurais à dire une chose pareille, vous me traiteriez de goujat, affirma Rowan.

La femme poussa une exclamation offusquée.

— Je parle en tant qu'artiste ! Et évidemment que tu es un goujat, tu ferais la cour à un arbre s'il pouvait t'accorder de l'attention !

Il porta une main à son coeur, faussement blessé. Marcus tira ensuite sur la jupe de sa tante, puis pointa les toiles vierges posées près d'un chevalet.

— Je peux faire dessin ?

Hilda acquiesça et s'empressa de lui sortir toutes sortes de crayons et fusains. Le petit garçon s'empara d'une toile et s'assit par terre pour la barbouiller de mille couleurs.

— Aucun d'entre vous n'a envie que je lui dessine son portrait ? s'enquit Hilda à l'adresse des deux adultes. Je suis ici depuis une heure, mais je n'ai encore aucun client !

En plus de proposer à la vente des tableaux déjà réalisés, la louve avait installé une pancarte devant son stand. Portraits en moins de trente minutes pour seulement dix pièces d'argent ! Satisfaits ou toile brûlée !

— Je pense que je saurai m'en passer, répondit Rowan. Depuis que vous vous êtes aventurée à me peindre, j'ai développé un énorme complexe vis-à-vis de mon nez...

— C'était parce que tu n'arrêtais pas de rire ! Je ne savais pas que me voir dessiner était si drôle !

— Vous faites exactement la même tête que Clark lorsqu'il écrit une lettre à un autre alpha. Tant de concentration force l'admiration !

Les mains sur les hanches, Hilda leva gentiment les yeux au ciel.

— Sans vouloir me montrer trop insistante, j'adorerais vous peindre ! reprit-elle à l'intention d'Eleanor.

— Oh oui ! intervint Marcus depuis le sol. On va peindre Elanor tous les deux ! Après on dira à papa et Rowan de choisir dessin le plus beau !

La jeune fille ouvrit la bouche pour refuser, mais n'en eut finalement pas le coeur. L'enthousiasme du petit garçon était trop rare pour qu'elle fasse des manières. Elle se laissa guider jusqu'à un tabouret posé derrière le stand, puis attendit que les "artistes" se mettent à l'ouvrage.

Pendant ce temps-là, Rowan partit faire un tour du marché. Il revint avec deux sucettes au chocolat, qu'il donna à Marcus et Eleanor. Cette dernière le remercia, tandis que le petit garçon restait concentré sur sa toile. Il utilisait tant de couleurs que la louve se demanda si elle ne s'était pas transformée en arc-en-ciel...

Pour sa part, Hilda paraissait aussi s'en donner à coeur joie. Elle ne tenait pas compte des clients qui passaient devant son stand sans rien lui acheter, ce qui n'empêchait pas Rowan de la taquiner :

— Heureusement que vos revenus ne dépendent pas de ce petit commerce... C'est dans ces moments qu'on voit l'utilité des rentes versées aux membres de votre famille.

— Tu peux parler, marmonna-t-elle en trempant un pinceau dans sa palette. Ta fonction  actuelle consiste à attendre que ton père prenne sa retraite.

— C'est faux ! répliqua-t-il, feignant d'être scandalisé. Je suis très utile à la bonne administration de la Terre des Loups ! Je sers de messager entre mon père et Clark, parcourir les couloirs du palais est épuisant !

Eleanor pouffa, tout en dégustant sa sucette au chocolat. Cela ne semblait pas déranger les peintres, qui achevèrent leur travail quelques minutes plus tard.

— Fini ! s'écria Marcus en bondissant sur ses pieds. Alors, t'en penses quoi ?

Il brandit son oeuvre en direction d'Eleanor et Rowan. La première manqua d'avaler de travers, ne sachant comment prendre la réalisation d'une telle "oeuvre" en son honneur... Le second ne se gêna pas pour glousser.

— C'est remarquablement ressemblant ! fit-il ensuite mine de s'impressionner. Je vais l'accrocher dans le bureau de ton père, il sera ravi !

Si Clark avait vu ce dessin quelques années plus tôt, il ne lui serait sûrement pas venu à l'esprit de filer jusque chez toi pour t'épouser, songea la louve en fixant la toile. Marcus avait transformé ses cheveux en deux épais traits noirs, tracés de chaque côté de sa minuscule tête. Deux points et un triangle lui servaient de yeux et de nez, tandis que ses lèvres se déformaient en un sourire monstrueux. Pour reproduire sa robe, il avait gribouillé tout un tas de spirales multicolores.

— Tu dessines déjà mieux que ton père quand il avait ton âge, commenta Hilda avec une moue perplexe. Le pauvre diable ne pouvait pas tracer trois lignes sans casser les mines des crayons...

Ce compliment satisfit le garçonnet, qui sourit de toutes ses dents.

— Et toi, fais voir, encouragea-t-il sa tante en lorgnant sur son travail.

La concernée prit quelques secondes pour peaufiner un ou deux détails, puis tourna la toile vers les trois loups. Cette fois-ci, Eleanor se sentit flattée d'être associée à ce portrait. Hilda avait reproduit chacun de ses traits à merveille, sans oublier ses légers cernes sous les yeux. Certes, le résultat n'était pas aussi parfait que le tableau réalisé à ses quatorze ans, mais pour un travail effectué en si peu de temps, il était exceptionnel.

— Je crois que t'as gagné, soupira Marcus. C'est de la faute d'Elanor, elle est trop belle pour être dessinée...

La jeune fille s'esclaffa, attendrie par ce petit compliment. Elle remercia Hilda, puis l'heure de rentrer ne tarda pas à arriver. Ils aidèrent la tante de Clark à remballer son stand de peinture, avant de se séparer à l'angle d'une rue. Apparemment, Hilda habitait à quelques lieues du village, dans une maison nichée au coeur de la forêt. Eleanor en venait presque à lui envier une telle tranquillité. Avoir passé l'après-midi au milieu de tout ce monde l'avait comme vidée de son énergie.

C'est avec soulagement qu'elle retrouva les ruelles de l'Ancien Quartier, beaucoup plus calmes que l'allée principale. Les sorties ne devaient pas non plus être très familières à Marcus, puisqu'il sollicita l'aide de Rowan. Celui-ci le percha de nouveau sur ses épaules, heureusement larges et habituées à l'effort.

— T'es presque aussi rapide que Max ! s'extasia le petit garçon.

— Qui est Max ? le questionna Eleanor.

Elle avait beau avoir retenu les noms de quelques soldats et valets, la plupart lui étaient encore inconnus.

— L'un des chevaux d'Anya, répondit Rowan sans trop se rembrunir.

— C'est mon préféré ! compléta le fils de Clark. Avec maman on le prenait souvent pour voir Rodolphe !

Rowan s'arrêta si brusquement que Marcus faillit perdre l'équilibre. Le meilleur ami de son père resserra sa prise sur ses jambes, le regard plus sombre que jamais.

— Qui est Rodolphe ? l'interrogea-t-il en levant la tête vers lui.

Le garçonnet fronça ses petits sourcils bruns, troublé par l'attitude de son "oncle". Il jeta un bref coup d'oeil à Eleanor, qui demeurait tout aussi suspendue à ses lèvres.

— Euh... Un monsieur.

La mâchoire de Rowan se crispa.

— Comment le connais-tu ?

— Je t'ai déjà parlé de lui, tu souviens pas ? Rodolphe attendait souvent maman et moi ici.

D'un mouvement du bras un peu saccadé, il désigna l'Ancien Quartier et les riches immeubles qui les entouraient. Eleanor sentit une drôle de sensation l'envahir, à la fois pleine d'espoir et de terreur.

— Est-ce que tu... sais des choses sur lui ? demanda-t-elle.

Marcus marqua une brève hésitation, avant de hocher la tête timidement.

Rowan laissa son regard croiser celui de la jeune fille, qui partageait sa stupeur. Le Rodolphe en question était forcément celui qui avait envoyé des messages à Anya. Il ne pouvait s'agir d'une coïncidence.

Pendant des semaines, ils avaient négligé un informateur qui se trouvait tout près d'eux. Un petit être qui observait tout avec son regard d'enfant, mais qui au final, connaissait Anya mieux que personne.

Marcus.

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