Chapitre 19 - "Cher futur mari" (2/2)
Clark esquissa un petit sourire, presque malicieux, que la louve ne lui avait encore jamais vu. Un peu perplexe, elle l'observa sortir une nouvelle lettre de sa poche. Il la déplia avec une lenteur exagérée, qui la fit lever les yeux au ciel.
— Cher futur mari, commença-t-il d'un ton faussement solennel. C'est déjà la troisième lettre que je t'écris, alors je vais faire court. Le chacal qui me sert de frère a trouvé les deux autres et les a déchirées. Je le déteste !
Eleanor se décomposa.
— Excuse-moi pour les fautes, j'ai un peu de mal avec la conjugaison, poursuivit Clark sans tenir compte de son air horrifié. Ma servante m'a promis de les corriger, mais elle n'est pas très douée non plus. Bref, j'ai déjà écrit trop de lignes.
— Ce n'est pas possible, marmonna-t-elle en se cachant le visage.
Comment cette lettre avait-elle pu atterrir entre les mains du Grand Alpha ? Visiblement, tout cela amusait le jeune homme au plus haut point, puisqu'il continua sur sa lancée :
— Je sais pas ce qu'on te raconte sur moi, mais en tout cas, on ne me dit pas grand-chose sur toi. Je me suis donc dit que je pourrais te donner toutes les informations que tu as besoin de savoir. Pour commencer, je suis gentille, drôle et intelligente. Je fais de la danse tous les jours, j'adore ça ! Mon plat préféré est la crème brûlée au caramel et ma couleur préférée est le violet. Ou le rose, ça dépend des jours.
La jeune fille tentait de se remémorer le reste de la lettre, afin de déterminer si elle devait commencer à creuser un trou pour se cacher... Malheureusement, elle se souvenait à peine de l'avoir écrite.
— J'aime beaucoup les chats et les chameaux. On m'a dit qu'il y avait pas de chameaux chez toi, c'est dommage ! Un jour, je me promenais dans la rue avec ma maman et un monsieur lui a proposé cinquante chameaux en échange de moi ! Je croyais que cette histoire de chameaux en échange de quelqu'un était une légende ? s'interrompit Clark.
Elle se contenta de pousser un grognement, sans prendre la peine de lui répondre.
— J'ai vraiment hâte de te rencontrer, reprit-il. Mais j'ai un peu peur aussi. J'espère que tu es joli et que tu seras gentil pour me faire des bébés, certaines servantes se plaignent de leur mari et...
— Donnez-moi ça ! le coupa Eleanor.
Elle essaya d'attraper la lettre, or il n'eut aucun mal à la maintenir hors de portée. Diantre, quelle idée avait-elle eu d'écrire des choses pareilles ?
— Je sais pas trop comment ça se passe pour en faire, tout le monde en fait un grand secret, mais on verra. J'aimerais bien qu'on ait un garçon et une fille. J'ai déjà trouvé les prénoms, j'espère qu'ils te plairont et que tu seras d'accord. Puis-je savoir à quels noms vous pensiez ?
Il paraissait davantage amusé que vraiment moqueur. Une douce étincelle animait ses yeux bleus et pour une fois, il n'avait pas l'air triste ou fatigué. Ce spectacle attendrit un peu la louve, si bien qu'elle dut se retenir pour ne pas entrer dans son jeu.
— Vous n'avez pas besoin de le savoir, puisque vous n'êtes plus concerné, répliqua-t-elle.
Cela ne suffit pas à lui faire perdre son sourire.
— Je n'ai presque plus de place sur ma feuille, donc je vais arrêter. Si ton papa te laisse le droit de m'écrire, est-ce que tu pourras me répondre, s'il te plaît ? Mon frère n'arrête pas de me répéter que je suis insupportable, mais j'espère que toi, tu m'aimeras.
Il marqua une courte pause, avant de conclure :
— Ta Eleanor qui ne pense déjà qu'à toi.
Il baissa la lettre et son regard vint rencontrer le sien. La jeune fille resta quelques secondes les bras croisés, puis bondit sur la feuille. Cette fois, elle put s'en emparer sans difficultés et la relut à la va-vite. Son écriture ronde était à peine lisible et des taches d'encre s'éparpillaient partout. La fin de la missive lui réservait une dernière surprise : elle avait dessiné un petit coeur à côté de sa signature.
Elle poussa un grognement d'exaspération et maudit tant de niaiseries.
— Vous êtes la seule personne à m'avoir un jour écrit une telle lettre, s'amusa le Grand Alpha. Vous aviez neuf ans, je crois.
À cette époque-là, Eleanor était encore trop naïve et innocente pour vraiment réaliser ce qui l'attendait. En grandissant, elle avait pris conscience du choix de ses parents et de tout ce qu'il impliquait... Hélas, malgré ses suppliques désespérées, ils n'avaient jamais voulu revenir sur leur décision.
— Je ne pensais même pas que cette lettre avait réussi à parvenir jusqu'ici. Je n'avais pas le droit de vous écrire, mais une femme de chambre avait accepté de m'aider. Pourquoi votre père ne l'a-t-il pas jetée ?
— Je n'en ai aucune idée, avoua Clark. Quand je l'ai trouvée, l'enveloppe n'était pas ouverte. Je pense qu'il l'avait mise dans la boîte, puis l'a oubliée.
Eleanor se demanda pourquoi l'ancien Grand Alpha n'avait même pas pris la peine de donner la lettre à son fils. Avant qu'elle ne puisse formuler sa question, le jeune homme se dirigea vers les caisses entassées sur leur droite.
— Lorsque nous nous sommes rencontrés, vous m'avez dit avoir posé pendant des heures pour qu'on puisse m'envoyer un portrait de vous. Eh bien... Figurez-vous que je l'ai aussi retrouvé.
Il souleva un tableau et le plaça sur l'une des caisses. Perplexe, la louve s'approcha. À la vue de la jeune fille représentée sur la toile, elle lâcha un petit rire. Une Eleanor de quatorze ans lui faisait face, sagement assise sur un tabouret. Cette position lui était si peu naturelle que cela frisait le ridicule. Elle se souvenait encore des crampes qu'elle avait dû endurer, ainsi que des ordres du peintre. Tenez-vous plus droite. Souriez. Arrêtez de baisser le menton !
Néanmoins, même si elle avait détesté cet homme, elle ne pouvait nier qu'il avait accompli un travail remarquable. Les couleurs choisies, dans des tons de rouge et de marron, la mettaient particulièrement en valeur. Les traits de son visage avaient été sublimés, tandis que ses longs cheveux noirs et sa peau de bronze avaient été reproduits à l'identique. Le sens du détail de l'artiste se retrouvait dans ses grands yeux marron : il n'avait pas oublié les paillettes dorées qui les constellaient.
— Votre père aurait tout de même pu vous le montrer, c'est vraiment du gâchis, fit-elle mine de s'agacer. Il avait tant peur que ça de vous faire fuir ?
— Vous rigolez ? s'esclaffa-t-il. Il avait surtout peur que je file sur la Terre du Rubis pour vous épouser !
À peine eut-il prononcé ces mots qu'il rougit comme une pivoine. Un léger silence s'installa et Eleanor baissa la tête, presque aussi gênée que lui. Malgré tout, elle était obligée de se mordre les lèvres pour réprimer un sourire.
Le voir ainsi avait quelque chose d'horriblement mignon.
— Je... Euh... Je voulais dire... Laissez tomber.
Il se gratta l'arrière de la tête, puis retrouva son sérieux.
— Quoi qu'il en soit, je suis désolé pour tout ce que vous avez vécu à cause de moi. Je...
— C'est surtout la faute de ma famille et de votre père, l'interrompit-elle. Vous n'aviez pas plus de pouvoir que moi.
Il lui avait fallu du temps pour admettre cette vérité, mais elle commençait à se faire de plus en plus évidente. Il ne chercha pas à la contredire et enchaîna :
— J'ai l'intention d'envoyer une lettre à votre père. Je compte lui faire savoir que votre histoire est remontée à mes oreilles et que je lui interdis de lancer des recherches pour vous retrouver. Vous serez libre de mener votre vie comme vous l'entendez. Si j'apprends que lui ou votre frère vous a fait le moindre mal, ils devront en subir les conséquences.
Sa gravité stupéfia Eleanor. Son regard ancré au sien prouvait qu'il ne s'agissait pas de simples paroles en l'air. L'envie d'accepter et de le remercier était terriblement tentante, or elle savait que rien n'était jamais aussi simple.
— Et comment pourrez-vous savoir s'ils m'ont retrouvée ? Ils ont réussi à me garder prisonnière six ans, mon frère est capable de recommencer et...
— J'ai des espions au sein de chaque territoire.
Il parut aussitôt s'en vouloir pour cet aveu. Cela ne surprit toutefois pas la jeune fille. Tous les alphas se doutaient que leur supérieur ne se contentait pas des comptes-rendus qu'ils lui envoyaient. Le Grand Alpha était évidemment obligé de se mêler des affaires de chaque meute.
— Je leur dirai de surveiller les faits et gestes de votre famille, en particulier ceux de votre frère. Et une fois partie d'ici, vous devrez m'envoyer de vos nouvelles tous les mois. Si je ne reçois rien, j'obligerai l'alpha du Rubis à me dire où vous êtes. On se débrouillera pour mettre en place un code secret, afin que même s'ils vous forcent à m'écrire, je puisse savoir que vous êtes en danger.
Eleanor ne chercha même pas à dissimuler son admiration. Il avait vraiment pris le temps de penser à tout, alors même que mille autres choses requéraient son attention.
— Je sais que vous allez me dire que d'une certaine manière, vous dépendrez toujours de moi, mais... Après tout ce que vous avez vécu, je pense que vous avez le droit de compter sur l'aide d'un ami. Enfin, si vous voulez bien me considérer comme tel...
Il semblait sincèrement espérer qu'elle accepte sa proposition et à vrai dire, la louve aurait été folle de refuser. Après avoir passé toute sa vie prisonnière des autres, sa liberté était à portée de main. Elle pourrait passer son examen pour devenir une Chasseuse, tenter autre chose si le coeur lui en disait, rencontrer quelqu'un et peut-être fonder sa propre famille...
Tout cela lui paraissait encore lointain et inaccessible, or elle en était plus proche que jamais.
— Je... Je vous remercie, mais...
Elle tritura son paquet de lettres et leva vers lui un regard hésitant.
— Je vous avais promis de vous aider à retrouver les meurtriers de votre femme. Je ne partirai pas avant que nous ayons avancé dans l'enquête.
Avec tout ce qu'il avait fait pour elle, c'était la moindre des choses. De plus, maintenant qu'elle savait qu'un avenir l'attendait, elle n'avait plus vraiment envie de s'en aller tout de suite.
— Je ne veux pas que vous vous sentiez obligée, mais si vous êtes d'accord... Vous pouvez rester autant que vous le voulez.
Ils échangèrent un petit sourire, et la jeune fille sentit son coeur se délester d'un poids. Elle qui avait passé les derniers jours à se morfondre, voilà que les choses semblaient doucement s'éclaircir.
— On peut le faire accrocher dans votre chambre, si vous voulez, lança Clark en désignant le portrait. Après tout le mal que vous vous êtes donné pour ne pas bouger, ce serait dommage qu'il continue à prendre la poussière...
Il masquait à peine son ironie, ce qui ne la vexa pas le moins du monde.
— Au contraire, il est très bien ici, affirma-t-elle d'un ton faussement désinvolte. Regardez, il y a même un clou pour l'accrocher.
Elle posa sa boîte pleine de lettres sur le bureau, puis s'empara du cadre. Il était un peu plus lourd que ce qu'elle pensait, mais elle n'eut pas trop de mal à le soulever. Elle l'approcha du clou qui dépassait du mur et tenta de le fixer. Quand elle crut le tableau à peu près stable, elle le lâcha et tapa dans ses mains, satisfaite.
— Et voilà ! Les araignées et les souris seront ravies de passer devant tous les...
La toile tomba avant qu'elle n'ait pu terminer sa phrase. Le cadre rebondit sur l'une des caisses et s'échoua sur le sol dans un vacarme retentissant. Eleanor plaqua une main sur sa bouche, certaine d'avoir abîmé le parquet.
— Excusez-moi, je...
— Vous avez entendu ? l'interrogea Clark.
Elle se tourna vers lui, sceptique.
— Cette chute a réveillé les morts, évidemment que je l'ai...
— Non, on aurait dit que quelque chose s'ouvrait.
Il ne tint pas compte de son air perdu et s'approcha du mur. Il laissa ses doigts effleurer la paroi, près de l'endroit où se trouvait le clou. Au moment où la louve se demandait quelle mouche l'avait piqué, il ouvrit une minuscule porte, qui se confondait avec le mur.
Stupéfaite, Eleanor vit apparaitre une petite cavité dans la paroi.
— Il me semblait bien avoir entendu une sorte de déclic, déclara-t-il. Je suis à moitié aveugle, mais heureusement, je ne suis pas encore sourd...
Pour sa part, la jeune fille n'avait rien entendu. Elle vint près de lui et s'aperçut qu'en réalité, le clou n'en était pas vraiment un. Il s'agissait d'une sorte de tige, qui permettait certainement d'actionner un mécanisme.
— C'est une cachette secrète, constata-t-elle, assez impressionnée. Votre père ne vous l'avait jamais montrée ?
Il secoua la tête et passa une main prudente à travers l'ouverture. Il en sortit d'abord quelques flacons vides, ainsi que de vieux papiers rongés par le temps.
— Je pense qu'ils doivent dater de l'époque de mes grands-parents, voire d'avant. Si ça se trouve, mon père n'était même pas au courant de ce secret.
Alors qu'il examinait les flacons, Eleanor continua d'explorer le petit placard dissimulé. Elle y trouva de vieilles cartes datant d'un autre siècle, puis un paquet d'enveloppes entouré d'une cordelette. Celui-ci était dissimulé tout au fond de la cavité, mais paraissait pourtant moins dégradé que les autres documents.
La louve dénoua la petite corde et inspecta les différentes enveloppes. À la vue du nom du destinataire, elle chancela sur ses pieds.
— Re... Regardez, c'est... Elles sont toutes adressées à votre femme !
Elle tendit les lettres à Clark, sans cesser de les fixer. Sur chacune des enveloppes étaient inscrits un même nom et une même adresse : Anya du Saphir, Palais du Grand Alpha, Bois-Lunaire, Terre des Loups du Diamant.
— Je... Je ne comprends pas, bredouilla le jeune homme. Comment ces lettres se sont retrouvées là ?
Eleanor était trop sonnée pour lui répondre. Comment, et surtout, pourquoi ? aurait-elle voulu lui dire.
Visiblement, ils ne s'étaient pas rendus dans ce vieux bureau pour rien...
Note de l'auteure :
Coucou ! J'espère que ce chapitre vous a plu ! 💖 Me revoilà pour vous poser la question dont je vous ai parlé dans la partie d'avant !
À la fin de Sang de Rose et de Coeur de Diamant, je vous avais dit qu'un personnage mystère de Soleil d'Argent aurait peut-être une mini-histoire centrée sur lui. J'avais peur d'un peu éveiller vos soupçons en vous disant de qui il s'agissait, mais maintenant que le chapitre 18 est passé, je peux vous le dire 😁
Est-ce que vous seriez intéressés par une petite histoire (encore moins longue que celle d'Isa je pense, 25 chapitres grand max) sur Rowan, Anya et Clark ? Tout se déroulerait pendant les trois/quatre années qui ont précédé la mort d'Anya. Je n'ai pas encore fini d'écrire tous les brouillons de Soleil d'Argent, donc je verrai à ce moment-là s'il me reste encore des choses à raconter sur eux, mais c'est juste pour savoir si ça peut éventuellement vous intéresser ^^
Vous : ON S'EN FOUT ON VEUT JUSTE L'HISTOIRE DE BLANCHE NEIGE NOUS, BOUGE TOI ! ON L'AURA DANS 10 ANS SI TU RAJOUTES TROP DE MINI-HISTOIRES !! 😭😤
Surtout qu'il ne faut pas non plus oublier notre chère Kristal, elle aussi attend patiemment son tour... 😂 (Pour ceux qui ne la connaissent pas, ne vous inquiétez pas, c'est un vrai ange **tousse** 😇😅)
Merci à tous ceux qui prendront le temps de répondre, à très vite ! 😘❤️
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