Soleil
Aujourd'hui, j'ai su que c'était le moment. Je ne suis pas sortie de mon lit, je savais que cela n'allait servir à rien. Ça faciliterait le travail à ceux qui me trouveraient. J'avais toujours été casanière, alors je ne ressentais rien à l'idée d'attendre, dans mon lit, sans bouger.
Je n'étais pas spécialement paresseuse, pas plus qu'une autre, mais aujourd'hui, j'allais rester dans mon lit. C'était tout. J'étais sur le dos, les bras le long du corps, la boîte encore fermée dans ma main droite. Je n'allais pas l'ouvrir tout de suite. Pas encore. J'ai ouvert grand les yeux en pariant sur ce que je pourrais voir, de là où j'étais.
A gauche, ma fenêtre. Les rideaux étaient tirés, la lumière du soleil arrivait sur mes yeux, ce qui expliquait que je me sois réveillée à cette heure. A côté, une chaise, sur laquelle étaient posés mes vêtements. En face de moi, mon armoire, en désordre, comme d'habitude. Si je continuais mon regard accrochait les livres les plus hauts dans ma bibliothèque. Ensuite, il y avait mon bureau, puis ma table de nuit. Si je baissais les yeux, je pourrais la voir. J'avais enlevé l'étiquette, il n'y avait rien à y lire, mais je savais ce que la boîte contenait. Les billes rondes à l'intérieur ne bougeaient pas, malgré mes mouvements de tête. Elles attendaient leur heure, elles aussi.
Je réfléchis un instant, les yeux clos. Que voulais-je voir ?
Le soleil. Je voulais être aveuglée par le soleil. Je voulais voir la lumière jaune pâle et pourtant si puissante du soleil du matin.
Et puis toi. Je voulais te voir, toi.
Je voulais voir une absence.
Que me donnerais-tu à voir, si tu étais face à moi ? Sourirais-tu ? Serais-tu neutre ? Serais-tu triste ? Serais-tu en larmes ? Je voulais le voir.
Trop tard.
J'ai tenté de lever un bras, il est retombé. Dommage. J'ai souri, et même ce sourire est retombé. Dommage. J'ai voulu fixer mon plafond, mais ma tête est retombée sur le côté.
Et je me suis vue.
Le miroir était en face de moi. Mon visage était reflété, à deux mètres de là. Mes yeux se noyèrent dans leurs reflets, abîme sans nom, sans fond.
Tu vois, la lumière dans les yeux ? Celle qui s'éteint, tous les livres en parlent. Je n'y avais jamais vraiment cru, tu vois.
Mais là, la flamme, elle brûlait. Et je me suis rendue compte que j'étais naïve. Je n'étais pas résignée, loin de là. Loin de là. Et si je refusais ? Et si j'entretenais la petite flamme, qui diminuait dans mes yeux ? Ma tête ne bouge plus, je ne veux pas me voir. Je ne veux pas que la dernière chose que je voie, soient mes yeux qui pleurent. Je ne le veux pas.
Et si je refusais ?
Peut-on seulement refuser ?
Tu m'aurais dit oui, en me traitant de stupide. Tu m'aurais probablement lancé une phrase bateau, me disant que, quoiqu'on fasse, on a toujours le choix.
J'aurais aimé que tu aies raison.
Je me suis regardé, je n'avais pas le choix. Je me fixais, intensément. Le plus intensément possible. Une larme a coulé sur mon oreiller, et j'ai vu que ma lèvre tremblait.
Une dernière fois, j'ai regardé mes yeux. Comme si je voyais une autre que moi, comme si une autre que moi acceptait son sort. Doucement, j'ai baissé mes paupières, j'ai tiré le rideau. Les rayons éclatants qui m'aveuglaient ont fait place à une lumière tamisée, orangée, confortable. Le silence complet régnait à présent, comme si fermer les yeux avait coupé le son du monde.
Je n'ai pas le choix, juste à accepter. Mes pensées se taisent aussi, et c'est mon cœur qui prend le relais. Il bat dans mes oreilles, il bat dans ma poitrine. Obstinément. Un battement après l'autre. Mon cœur, qui refuse de ma lâcher. Mon corps, qui, lui, veut vivre. Je me suis résignée, mais lui n'a pas l'air de le vouloir. Ou alors, il déploie la fameuse "énergie du désespoir". La flamme dans mes yeux, est encore là. Je n'ai pas besoin d'ouvrir les yeux pour le sentir. L'autre moi, celle du miroir, la résignée, la fatiguée, l'épuisée, prête à pleurer, s'est réchauffée auprès de cette petite flamme. Elle s'y accroche, aussi. Et c'est comme si toutes les parties de moi, tous mes fragments, tout mon corps et ses cellules, se rassemblaient autour de cette petite source de chaleur, de lumière, tendaient leurs mains vers elle pour en prendre un peu de vie.
Et si je refusais ?
Mon cœur bat plus fort à mes oreilles. Mes paupières tremblent un peu, le rideau bouge. Un vent léger, quasi imperceptible, me murmure que oui, tu peux refuser. Oui. Tu peux refuser.
Et si j'ouvrais les yeux, de nouveau ? Juste pour voir. Se regarder dans les yeux, sans masque, sans intention, se plonger dans son propre regard, l'expérience a quelque chose de vertigineux. Oubliée l'abime sans nom, sans fond. Oubliée la flamme dans le regard. Quand je me vois, je vois juste mes yeux. Juste mes yeux. Et ma main qui se tend vers eux. Ma main qui s'est levée, ferme.
Je ne cligne pas des yeux, immobile. Le soleil se lève, et mon visage dans le miroir s'éclaire. Derrière moi, j'entends dans la distance une main peser sur la poignée. Les gonds ne grincent pas, mais quelqu'un entre.
- Tu as faim ? J'ai apporté les croissants.
Doucement, tu as enveloppé mes doigts de ta main douce. Tu as senti la boite. Tu as compris. A mes côtés, tu as regardé mes yeux dans le miroir. Je n'ai pas évité ton regard, et tu as serré les dents, dans une expression que je ne connaissais pas. J'ai cligné des yeux.
J'ai refusé. Mon cœur s'est calmé, je ne l'entends plus battre à mes oreilles. Mes larmes ont tari, mes yeux clignent encore, plusieurs fois. J'entends ton regard. Je sais ce qu'il me dit.
Stupide. Tu as encore le choix.
Mes lèvres ont bougé, à leur tour, et je me suis redressée.
- J'ai un peu faim, je crois. Je voudrais bien un croissant.
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