Épilogue - NDA


(1800 mots)


Othon et Reya quittèrent le village des bergers à l'aube. L'air était chargé d'humidité ; le ciel rouge, parsemé de lignes nuageuses, descendait les cols et envahissait la vallée comme une vague fantomatique. Leurs bottes de cuir se couvrirent d'humidité sur le chemin. Les derniers mulots des plaines avaient regagné leurs terriers. Quelques insectes dévalaient les tiges des hautes herbes pour goûter à l'eau de condensation, en prélude à la vie bourdonnante qui se jetterait tantôt sur les fleurs sauvages.

Ils étaient à cent mètres du village, petit paquet de briques cuites aux fenêtres rondes, où perçaient quelques lueurs, lorsqu'un grondement lointain secoua la vallée, dont les résonances portaient partout entre les cimes. Une traînée de feu traversa brièvement les nuages. Les loups domestiques hurlèrent pendant quelques minutes.

Ils passèrent à côté du premier enclos à moutons. Depuis que des chiens-loups dormaient parmi les bêtes, aucun prédateur sauvage ne venait plus s'y risquer. Dans cette nature intacte, les solains apprenaient à tracer les limites de leur domaine. Le plus souvent avec doigté et sans magie d'Arcs.

Souvent taciturne, Reya était d'autant plus silencieuse ce matin. Elle te ressemble beaucoup, remarquait souvent Seryn. Par le caractère, si ce n'est par l'apparence. Elle aurait beaucoup à dire mais elle parle peu, par crainte de mal parler. D'ailleurs, le moquait-elle, est-ce que vous vous êtes déjà parlé ?

Cinq cent solains, c'était déjà trop pour une seule vallée ; aussi Seryn avait-elle fondé un autre village quelques lieues plus loin. Ils ne se voyaient qu'une fois tous les trois à quatre jours. Même si leurs rêves formaient toujours une toile compacte, les solains se séparaient comme une fratrie adulte. Les départs en tour du monde n'étaient pas rares. La magie ne pouvait pas les porter dans ces terres inconnues, peu denses d'Arcs, où leurs esprits ne s'étaient encore jamais rendus ; ce qui augmentait l'attrait de ces voyages.

« C'était à droite, ou à gauche, à partir du rocher solitaire ? »

Reya l'attendait, accoudée au lieu-dit, une stèle inexplicable haute comme trois hommes, plantée dans le sol comme un vestige météoritique, un basalte incompatible avec les montagnes alentour. Le fait qu'elle ait pu gagner du terrain aussi vite trahissait sa propre appréhension. Car Othon était de ces personnes qui appréhendent toujours le retour des anciens amis.

Il fit quelques pas pressés pour arriver à son niveau.

« Tu es très belle ce matin, dit-il gauchement.

— Merci. »

Elle lui offrit sa main.

« J'ai l'impression que tu vas rougir, plaisanta-t-elle. Je me demande à quoi ça ressemblerait. »

Ils rejoignirent un empilement de roches escarpées qui marquait la clôture de cette vallée. Une épaisse colonne de fumée montait de l'autre côté, cachée jusqu'à présent par un à-pic rocheux. Othon et Reya escaladèrent les marches naturelles d'un mètre et demi chacune. Un petit plantigrade sauvage observa leur avancée d'un œil circonspect et, au dernier moment, s'enfuit dans un trou de roche.

« Il est là-bas, indiqua Othon en achevant son ascension.

— Et la fumée, c'est bon signe ?

— Ne t'en fais pas pour lui. »

Un curieux assemblage de tôle rouillée, de forme vaguement cylindrique, s'était posé au milieu d'une prairie pastorale. Barfol avait carbonisé une zone de dix mètres de diamètre autour de son vaisseau. De gros bouillons noirs puant la cendre et le soufre se dégageaient du sas de sortie.

Plusieurs silhouettes humaines portant vareuses et masques en plastique faisaient des allers et retours dans la fumée. Reya et Othon s'assirent sur la crête pour assister à ce ballet. Après un temps, l'un des individus leva la tête vers eux. Il agita des bras, ses cris furent étouffés par son masque ; il entama alors une course parmi les herbes carbonisées pour venir à leur rencontre, trébucha sur une branche calcinée, pesta, arracha le masque de son nez et se débarrassa de son ample manteau.

« Othon ! Eh, Othon ! C'est moi ! »

Le solain aida sa compagne à descendre les dernières marches de pierre. Le visiteur, déterminé à faire bonne figure, essuya ses mains couvertes de cambouis sur son pantalon, épousseta sa veste de cuir et lissa sa moustache légèrement roussie.

« Nous avons eu, euh, une avarie de routine à la descente. Rien de catastrophique. À l'heure où je vous parle, l'incendie a été circonscrit au poste de pilotage. Nous devrions pouvoir sauver l'appareil.

— Content de vous voir, Barfol. »

Segonde surgit aussitôt derrière le capitaine, un extincteur à la main. Une braise grésillait toujours sur sa vareuse noircie.

« Capitaine ! L'incendie est éteint !

— Victoire ! Hum, j'ouvrirais bien une bonne bouteille pour fêter ça, mais le feu a emporté tout mon stock. Sieur Othon, cela fait combien de temps ? Un an ? Deux ans ? Dix ans ?

— Ça dépend sur quelle planète. Mais sur T'schnitza, trois ans.

— Diantre. Et vous m'avez l'air en pleine forme.

— Vous aussi.

— Ah, ça ! Il m'est arrivé des aventures à peine croyables. Il me tarde de vous les conter toutes.

— J'ai hâte de vous entendre, capitaine. J'ai prévenu Seryn de votre visite. Elle nous attendra au village. Vous venez avec nous ?

— Rien ne m'arrête, sieur Othon. »

Il retroussa ses manches et entreprit de grimper la roche sédimentaire avec eux.

Une fois arrivés en hauteur, Barfol desserra le col de sa chemise, qui avait sans doute été blanche trois incendies plus tôt et accusait désormais un teint grisâtre.

« Là-bas, désigna Othon, vous pouvez apercevoir le village, entre les enclos à moutons.

— Vous... je n'arrive pas à le croire. Vous... vous élevez des moutons ?

— C'est vous qui en avez parlé le premier.

— Oui, enfin, c'est-à-dire... sieur Othon... que penseriez-vous si je vous disais que c'était... euh... et si c'était une blague ? Je pensais... enfin... personnellement, l'élevage, ce n'est pas trop mon genre.

— On ne s'en sort pas trop mal.

— Oh, je n'en doute pas. D'ailleurs, ils ont l'air contents, vos moutons. Comme disait l'autre : si le mouton est content, eh bien, eh bien... euh, la laine est bonne. »

Ils entamèrent la descente des rochers éclatés. Le soleil apparaissait maintenant derrière les cimes. La prairie se métamorphosait, depuis un lac rouge aux reflets métalliques, en un festival de verts, d'ocres et de mauves, toutes les fleurs d'altitude rayonnant de leurs plus beaux atours.

« C'est bien, répéta Barfol, guère habitué à ce genre d'environnement sauvage. Une question me tarabuste, toutefois, sieur Othon. Permettez que je la pose.

— Oui ?

— Il y a, euh, une humaine qui nous suit.

— Reya ? »

Ils s'arrêtèrent tous les trois sur le chemin, à quelques dizaines de mètres du rocher solitaire.

« Je ne vous ai pas présenté Reya ? s'exclama Othon, confus.

— C'est une vraie personne ? souffla Barfol.

— Capitaine, je vous présente Reya.

— Enchantée.

— Enchanté. »

Quelque chose semblait travailler Barfol, qui grattait compulsivement les cendres prises dans sa moustache. Il attendit que Reya se fût éloignée d'eux d'une dizaine de mètres et prit Othon à partie.

« Sieur Othon, dites-moi tout. Vous êtes... ensemble ?

— Depuis deux ans, soupira Othon en abaissant les épaules, sur le ton d'une remarque défaitiste – car ce n'était pas la première fois qu'on lui posait la question, à croire que la société refoulait inconsciemment l'existence de leur couple.

— Vous avez des... euh... enfants ?

— Les solains et les humains ne peuvent pas avoir d'enfants.

— Ah, c'est comme avec les vampires, alors.

— Mais ce n'est pas un problème.

— Oh, non, se défendit Barfol en agitant les mains, ce n'est pas un problème, ça n'a jamais été un problème, je n'ai jamais dit que c'était un problème, qui a dit ça ? Simplement, je ne m'attendais pas à vous retrouver en galante compagnie après seulement dix... quatre... je ne sais plus... trois ans. Enfin, si, plus exactement, mais pas ce genre de compagnie. Ou pas cette espèce. Vous me comprenez. J'ai perdu le fil. Qu'est-ce que j'étais en train de dire ? J'en conclus que la... euh... cohabitation... s'est plutôt bien passée.

— Elle a eu du mal à convaincre ses parents.

— Ah ! Ça me rappelle cette princesse et son roi de père. Comme disait l'autre, le plus dur ce n'est pas de convaincre, c'est de vaincre les c...

— Seryn nous attend ! les héla Reya, qui avait pris beaucoup d'avance sur eux.

— Pas de panique ! répliqua Barfol, une réponse qui avait fait ses preuves dans nombre de situations d'urgence. Et sinon, sieur Othon, deuxième et dernière question... est-ce que vous vous souvenez de moi ? »

Le solain plissa des yeux, surpris face à l'attitude de Barfol, qui rentrait les épaules et frisait sa moustache du doigt, le regard trouble, comme un contrebandier en pleine vente illégale.

« Eh bien, comment aurais-je pu oublier l'Armada Magna et la bataille de Sol ?

— Non, je veux dire... Stella Medius ?

— Qu'est-ce que c'est, Stella Medius ? Où est-ce que ça se trouve ?

— Arrêtez de parler ! répéta Reya en agitant les bras. On aura tout le temps au village !

— Je crois qu'elle nous appelle » soupira Barfol.

Il donna une tape amicale sur l'épaule d'Othon, laissant une grande trace de suie sur sa veste de berger, qu'il s'empressa d'essuyer avec la manche de sa chemise, ce qui ajouta une tache d'huile de moteur.

« Allons-y, mon ami. Ne faisons pas attendre Seryn. »

Les rêves sont si vite oubliés, songea Barfol.

Tel est le choix qui s'offre ainsi aux arpenteurs de mondes. S'arrêter un jour dans son havre de paix et s'y éteindre, ou vivre en perpétuel mouvement, comme une légende vivante.

Personne ne se souviendrait de Barfol !

Cela le fit rire. C'était le but ! Puis il leva la tête vers le ciel.

Ô Kaldor, où que tu sois, lorsque nous aurons tous disparu, veille encore sur ces mondes ! Ils en ont besoin ! Il ne reste que toi ! Avec ton médiateur Shani, tu es parfaitement à la hauteur de ta tâche. Va et assure l'avenir de l'univers !

« À quoi pensez-vous, Barfol ?

— À prendre un bain, principalement. Mais avant cela, il faut que je vous raconte la fois où je suis passé de l'autre côté de l'Omnimonde, quand j'ai rencontré Mjöllnir, le vaisseau-fantôme qui parlait tout seul, quand j'ai failli signer un bail d'exploitation pour une mine de moustiques fossiles, quand j'étais sur un vaisseau en perdition, dont le cockpit avait pris feu, et que je me suis servi d'un balai pour diriger le levier de commande... »


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Voici la fin de la trilogie des solains !

Comme précédemment indiqué, certains personnages semi-divins réapparaîtront deux mille ans plus tard dans la trilogie Nolim. Quant au fameux Kaldor (ou Kaldar, selon les sources), il est mentionné dans à peu près tous les bouquins avec son collègue Aton. C'est dire si nous sommes au cœur de la légende !

Quand à CN, il réapparaîtra dès qu'un des projets de la pile actuelle (reprendre l'Ère des esclaves, reprendre Nolim, écrire un bouquin avec des vampires et des escargots) aura pris des couleurs.

Merci à tous et salutations kaldaristes,

CN

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