7. Deux hommes semblables


(1500 mots)

Pourquoi sommes-nous si semblables ?

Kaldor, Principes


Les légionnaires procédèrent avec soin aux réparations de la canonnière. Lorsque le vaisseau fut de nouveau prêt à traverser les immensités du système planétaire, le centurion Catius ordonna que cap soit mis sur Nemus.

Sur le chemin, la flotte de la troisième légion se remit en forme ; certains appareils endommagés furent mis au rebut ou abandonnés sur les orbites-cimetière de la plus proche géante gazeuse. Durant ces quelques jours de calme, Catius quitta souvent la salle de contrôle pour des rondes solitaires et silencieuses. Il refusait que ses gardes personnels l'accompagnent et leur avait donné congé jusqu'à la fin de la mission.

Une fois que je nous serons rentrés à Neredia, je deviendrai consul, se rendait-il compte, et cette pensée l'absorbait, bien qu'il ne parvienne pas à préciser les contours de ce futur. Il se trouvait comme un adolescent à la veille de l'âge adulte, pressentant qu'un monde d'une complexité toute nouvelle va s'ouvrir à lui, incapable de préparer son entrée fracassante dans ce nouveau cercle.

Au bout de trois jours standard, le vaisseau entama une phase de décélération, qui le porterait sur l'orbite de la colonie impériale. La présence d'un avant-poste sur cette planète tenait d'une volonté politique et militaire – les deux étant indissociables dans l'empire – plus que d'un intérêt économique. Malgré la présence de vie sauvage sur Stella Nemus, ainsi que des résultats encourageants des missions de prospection minière, on n'avait pas encore trouvé sur cette petite planète quelque filon d'iridium qui justifierait les coûts exorbitants du maintien de sa garnison. En revanche, sa position, aux frontières de l'empire stellaire, était stratégique. C'est pourquoi une des toutes premières Arx Imperii, une forteresse spatiale bâtie dès l'origine de l'Imperium, orbitait autour de la planète, maintenue à flot par une toute petite troupe de légionnaires.

Le grand continent de Stella Nemus, embourbé dans d'épais brouillards, braquait sur eux son immense œil verdâtre, tel un cyclope moqueur surgissant du vide infini. Catius contempla ce paysage ; un silence tranquille régnait sur la passerelle. Il observa les pilotes qui se relayaient à la manœuvre, sans cesse penchés sur leurs moniteurs, effectuant d'une main les calculs de trajectoire tandis qu'ils corrigeaient de l'autre les gyroscopes inertiels. La canonnière avait repris son rythme habituel. Il se prit à penser que cette ruche n'avait pas besoin de centurion. Tout était si bien organisé, si bien mis à sa place, que Catius aurait pu disparaître. Hors les batailles à mener, la Troisième Légion n'avait pas besoin de lui.

Les chefs de guerre ne créent-ils pas ces guerres qui rendent leur existence nécessaire ?

La question le taraudait. Elle ressemblait à ces maximes kaldariennes qui se répandaient désormais dans l'Imperium. Catius fit le rapprochement avec Tivan. Depuis sa reddition, il n'était jamais allé voir le prisonnier dans sa cellule. Les ordres du Sénat étaient limpides : si elle parvenait à capturer les traîtres, la troisième légion ne devait, sous aucun prétexte, communiquer avec eux. Ils seraient interrogés sur Neredia, pour autant qu'ils aient quelque chose à apprendre aux informateurs de l'Imperium.

Soucieux, pensif, Catius descendit la coursive en direction des cellules de détention. À lui, personne ne refusait rien.

Dédaignant sa couchette, Tivan s'était assis en tailleur, les yeux fermés. Ce qu'il prit au premier abord comme le sifflement d'une respiration régulière, Catius y reconnut bientôt des murmures.

« Pries-tu, Tivan ? » lança-t-il.

Le centurion déchu se leva et s'agrippa aux barreaux de sa cage, approchant son visage de celui de Catius.

« Les kaldariens ne prient pas, répondit-il. Nous savons que Kaldor n'est pas tout-puissant, peut-être n'existe-t-il pas. En tout état de cause, nous devons agir comme s'il n'existait pas. Dans ces circonstances, prier n'aurait aucun sens.

— Dans ce cas, que fais-tu ?

— Je récite mes principes. »

Catius lâcha un profond soupir. Depuis la disparition de la déesse-impératrice Justitia, depuis l'avènement d'Aton et la mise à jour du culte impérial, le kaldarisme croissait comme une mauvaise herbe envahissante. Il apparaissait spontanément sur les colonies les plus éloignées. Certains au Sénat murmuraient qu'il y avait une relation de cause à effet. Justitia avait fondé cet empire. Quoi que dise l'histoire officielle, modifiée depuis par les scribes, Aton avait remplacé la déesse. Deux générations à peine s'étaient écoulées depuis son arrivée fracassante. La psyché collective, malgré l'influence considérable du nouveau dieu, avait eu des difficultés à accepter ce changement ; le kaldarisme croissait sur ces difficultés comme un parasite opportuniste.

Voir Tivan s'abandonner à cette religion alternative déplaisait profondément à Catius.

Lui-même n'était pas un fou d'Aton, loin de là. Il méprisait la hiérarchie des prêtres d'Aton, des intrigants hypocrites, marchands d'enfer et de paradis qui faisaient leur bénéfice sur les peurs des humains. Mais Catius considérait la religion comme un moindre mal. Elle faisait partie de l'identité de l'Imperium ; il s'agissait de son socle fondateur, essentiel au maintien de son unité et de son intégrité. Ne pouvant imaginer l'Imperium sans Aton, Catius s'était résigné à accepter son dieu.

« Et toi, consul, que fais-tu ?

— Je ne suis pas consul.

— Pas encore. Mais tu sais que cette mission n'était qu'un dernier test de loyauté du Sénat. À ton retour de Neredia, on déroulera le tapis rouge pour toi. Au début, tu n'étais pas parfait pour les sénateurs. Ce qu'il te manquait, ils l'ont savamment modelé au gré de tes missions. Ils t'ont créé tel que tu es. Tu n'es pas le produit de tes propres actions, mais des leurs. Un pantin.

— Et toi, Tivan ?

— J'ai fait des choix... en mon nom propre.

— Ces choix t'ont amené à la ruine. Ton dieu, Kaldor, ne prétendez-vous pas qu'il possède la sagesse, la morale et la raison ? Et ces choix que tu as fait, tourner le dos à l'Imperium, trahir le Sénat, établir une colonie autonome sur Stella Nemus... étaient-ils sages ? Moraux ? Raisonnables ?

— Le Sénat a déjà répondu, pour toi, à cette question.

— Je ne comprends pas ce que tu essayais de faire. Tu étais intelligent, Tivan. L'un des meilleurs d'entre nous.

— Aaaah. »

Le renégat s'écarta des barreaux et reprit sa position assise.

« Ce que tu te demandes, centurion Catius, c'est pourquoi je suis de ce côté des barreaux, et toi de l'autre côté, alors que nous avons eu pratiquement le même parcours. Je peux t'apporter quelque éclairage à ce sujet.

— Je t'écoute, dit-il en croisant les bras, méfiant.

— De mon point de vue, c'est toi qui est en cage, pas moi. Et je me pose la même question. Pourquoi, alors que nous avons eu des parcours parallèles, je suis libre et tu es enfermé.

— Tu divagues, Tivan.

— À moins... à moins que tout vienne de ce titre. Consul. Tu n'es pourtant pas cupide d'honneurs, Catius, comme le sont tous ceux qui cherchent leur gloire dans les titres... non, c'est le contraire. La responsabilité à venir pèse sur tes épaules, elle t'écrase dans le système de l'Imperium. Elle anéantit ta volonté propre. Tu sais par avance que ce pouvoir te dirigera plus que le contraire.

— Mille cornes, Tivan, que vouliez-vous ? »

Ce cri de rage sembla surprendre le renégat, qui leva un sourcil.

« Aton est un tyran, dit-il simplement. C'est irréfutable. Dans sa majorité, l'Imperium souffre des efforts consentis pour financer son expansion. Les légions partiront bientôt à l'assaut des étoiles. Les légionnaires seront des milliers à périr dans les combats, mais les plébéiens seront des millions à s'affamer pour que les vaisseaux soient armés. Notre peuple souffre à cause de la folie d'un dieu. Si nous refusons ce dieu, il n'aura plus aucun pouvoir.

— Tu sais comme moi que, sans Aton, l'Imperium s'effondrerait.

— Eh bien, que l'Imperium s'effondre. Combien de révoltes as-tu matées, Catius ? Quatre ? Cinq ? La fin de l'Imperium, tu viens d'en avoir un aperçu : toutes les colonies redeviendront des mondes indépendants. Les vaisseaux ne voleront plus. Les humains travailleront leur terre et leur terre les nourrira en retour, comme cela s'est toujours fait. Tu as peur de voir disparaître un ordre injuste ! Cette peur est infondée. Quoi qu'il advienne après l'Imperium, nos mondes s'en porteront mieux. »

Catius ne put pas en supporter davantage. Il ne devait pas laisser son esprit se contaminer de tant de paroles sacrilèges. À cette distance de Neredia, Aton ne lirait pas dans ses pensées, non ! Mais lorsque le dieu en personne l'adouberait consul, il serait seul face à lui, incapable de se cacher.

« Nous approchons de Stella Nemus, dit-il sèchement. Les préparatifs ont déjà été faits. Nous allons descendre d'ici quelques heures, pour allumer le bûcher.

— Pourquoi me dis-tu cela ?

— Tu descendras avec nous. »

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