57. Barfol
(1300 mots)
En comparaison de mes efforts, je trouve qu'on n'a pas beaucoup chanté mes louanges. Au final, dans cette histoire, Kaldor prend tout le crédit. Non que je veuille paraître jaloux. Après tout, j'avais une dette envers tout ce beau monde.
Et ils ne m'ont toujours pas reconnu, les sagouins !
Barfol, La fois où je portais la moustache
La salve des frégates remsiennes contre Naglfar n'avait eu aucun effet. Les projectiles thermo-cinétiques furent comme absorbés par sa croûte organique. Il demeura à peine quelques traînées de suie ; là où les frappes avaient creusé des cratères, la peau vaporisée fut aussitôt remplacée.
En revanche, contre leur nouvel objectif, la technologie des thercin ferait de spectaculaires dégâts.
Encore fallait-il que les frégates survivantes manœuvrent parmi les débris de leurs voisines pour échapper aux assauts incessants des loups noirs, que les vaisseaux de l'armée lazaréenne demeurent visibles et à portée de tir. Ils entraient dans un tunnel d'incertitudes.
« Avant que nous soyons tous morts d'un excès de témérité, annonça Barfol dans la radio, je vais vous raconter l'origine de mon nom. Tout le monde aura compris que Barfol est un nom d'emprunt ; pour ceux qui ne l'ont pas compris, je ne peux plus rien pour vous. Je me trouvais donc un jour dans un tripot de T'schnizta, T'schnitza selon les sources, qui, contrairement à ce que je vous ai laissé croire afin de vous déconcentrer, est une vraie planète. »
Voyant un loup noir foncer sur lui à deux cent lieues à l'heure, le capitaine vira. Un tressaillement parcourut la coque ; l'animal avait sans doute laissé quelques griffes accrochées.
« Je venais tout juste d'apprendre à tricher aux cartes, lorsqu'un homme que je n'avais jamais vu, avec qui je jouais, me traite de Barfol. Le bougre ne parlant pas la même langue que moi, sauf lorsqu'il s'agissait de cartes, je conclus à son attitude que c'était une insulte. C'est ainsi que tout le monde se mit à me nommer Barfol.
— Capitaine, intervint l'amirale, nous avons ciblé une vingtaine de frégates lazaréennes. Vous devez les empêcher de fuir. Notre séquence de tir est longue, surtout pour des canons qui ont déjà servi.
— C'est pas bien pratiques, vos machins. Mais on va continuer de faire ce qu'on sait faire, c'est-à-dire, faire semblant d'être utile. »
Il changea de fréquence.
« À tous mes pilotes ! Vous êtes super, les gars ! Concentrez vos tirs sur tout objectif méritant qu'on s'y attarde. Surtout, restez imprévisibles. »
Après un instant d'hésitation, il enclencha de nouveau la commande.
« Eh, Aarto, est-ce que vous ne seriez pas là, par hasard ?
— Je suis là, répondit le vampire.
— Vous nous avez fait un sale coup, c'est pas gentil-gentil.
— Entre nous, capitaine, qui êtes-vous ? D'où venez-vous ? Pourquoi vous battez-vous sans relâche pour Kaldor ? La situation est désespérée, vous le voyez bien.
— Si elle est désespérée, c'est de votre faute ; on commençait tout juste à en voir le bout. Sinon, je voudrais bien vous répondre, mais il faudrait que je vous tue ensuite pour garder le secret. Oh, suis-je bête ! J'allais justement vous tuer.
— Kaldor ne réprouve-t-il pas le meurtre ?
— C'est vrai. Donc, ne lui dites rien. Oh, suis-je bête ! Vous n'allez justement rien lui dire, parce que je vais trouer votre frégate. Où êtes-vous ? Vous m'indiquez le chemin ?
— Vous êtes cinglé, Barfol.
— C'est là ma plus grande qualité. Mais je parle, je parle, et il y a justement une batterie de réacteurs qui me fait de l'œil. Salutations. »
Il fit un geste ; ses artilleurs avaient déjà repéré l'objectif. Les obus frappèrent les alentours des réacteurs à ions ; l'un d'entre eux entra même dans la tuyère et y explosa. Une onde parcourut le métal, qui se fractura en milliers d'éléments. Dans l'espace, aux vitesses et aux énergies mises en jeu, tout semble fait de carton, de papier et d'allumettes.
La frégate vampire, prisonnière d'une trajectoire mal calculée, emboutit une voisine. Le choc laissa les deux vaisseaux pratiquement immobiles ; une proie facile pour les remsiens.
« Il me semble qu'Aarto est sur ce vaisseau, souffla Segonde dans son oreille.
— Oh, qu'entendons-nous, les amis ? Ne serait-ce pas le sifflement des thermocin ?
— On n'entend rien, dit Segonde.
— Eh bien, écoutez plus fort. »
Une traînée de plasma passa juste en-dessous d'eux. Fusant à une dizaine de kilomètres par seconde, le projectile n'avait pas même été visible. Il se vaporiserait au contact de la frégate, non sans pénétrer d'une dizaine de mètres dans sa structure, à la manière d'un harpon traversant les chairs molles d'un poisson remsien.
Une grande brèche, encore rougeoyante, s'était formée dans la coque. Des objets en tout genre s'en échappèrent aussitôt, aussi bien des pièces de cloisons fracassées que des petits vampires étonnés de ce qui leur arrivait.
« Quelqu'un m'a dit un jour de ne jamais trahir une femme, dit Barfol.
— Oui, intervint Segonde, c'était moi.
— N'hésite pas à me le rappeler régulièrement. »
Il vira pour éviter un banc de loups noirs. Leur association avec les lazaréens n'avait pas duré longtemps.
« C'est parfait, capitaine, dit E'ptal. Revenez maintenant. On va avoir besoin de vous de ce côté.
— Navré, amirale, mon devoir m'appelle sur tous les fronts.
— Vous n'allez quand même pas défendre les vampires ?
— Quand on a du cœur, on a du cœur. Et comme disait l'autre : l'amour triomphe toujours à la fin. À moins que ce soit l'humour. Un bon dieu devrait avoir un grand sens de l'humour, d'ailleurs. Faites passer le message à Kaldor, qu'il se déride un peu.
— Après ça, capitaine, ne venez pas me faire croire que vous êtes un humain !
— C'est pourtant vrai. Bon, il est possible que j'aie un peu exagéré l'histoire de ma vie. Mais, en somme, je suis né il y a cinquante ans à T'schnitza, ou T'schnizta selon les sources. J'étais un beau bébé avec de belles couleurs. J'ai eu une enfance sans histoire, puis il y a eu l'exil, les pirates, les jeux de cartes, les jeux à boire, beaucoup de jeux à boire... et puis, un jour, je rencontre une voyante. »
Il évita une grande plaque de métal qui dérivait vers lui comme un déchet remontant à la surface de l'eau.
« Et voilà ce qu'elle me dit : que je me suis réincarné. Imaginez Barfol plein d'espoir : quoi donc ? Étais-je le prince de quelque chose, est-ce que j'ai caché un trésor quelque part ? Qu'est-ce tu vois dans ta boule de cristal ? Dans tous les cas, ça pourrait m'aider à conquérir la fille du roi. – Du tout, qu'elle me dit. Tu viens de passer deux mille ans dans un tunnel, pas de trésor. – Bon, au moins, j'espère que j'étais un vaillant guerrier courageux et que je tenais bien l'alcool. – Tu tenais bien l'alcool, gros cochon, mais t'étais moche. – Eh, tu t'es regardée, toi, d'abord ? Et à quoi je ressemble, tu vois ça dans tes feuilles de thé ? – À un machin rond. – Rond comment ? – Rond comme ton gros bide, là. »
Barfol partit en vrille contrôlée, insaisissable pour les loups noirs, centre d'une tornade de tirs qui balayait des dizaines d'entre eux. Plusieurs se décrochèrent des vaisseaux vampires comme on racle les bernicles sur une coque de navire.
« Et donc, poursuivit-il alors que plus personne n'écoutait, j'étais un globule. Un globule bien globuleux. Pourquoi me réincarner en humain, alors ? Apparemment il n'y avait rien d'autre de disponible, mon espèce devait avoir disparu entre temps. Sale histoire. Il vaut mieux que je ne me souvienne pas de tout. Mais il y a bien un truc dont je me souviens. Les solains, les omnisaures, Kaldor ; je leur suis redevable pour un bon bout de temps.
Segonde, c'est moi, ou ils sont de plus en plus nombreux ?
— On est submergés, indiqua la seconde.
— Ce serait bien que mon pote Catius en profite pour nous filer un coup de main, pas vrai ?
— Ici, ce n'est pas un rêve, tes désirs ne deviennent pas toujours réalité.
— L'astuce, c'est de conformer ses désirs à ce qui arrive : ça s'appelle le stoïcisme, et je suis vachement stoïque. T'as pas vu le radar arrière ? Ça fait une petite heure que trois légions impériales se promènent dans notre direction. Ils ne sont pas là pour cueillir des champignons. »
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