49. Et nous brillerons encore
(1000 mots)
Les solains brillaient toujours.
Si Aton voulait vraiment manger toutes les étoiles de l'univers, il allait avoir une sérieuse indigestion.
Barfol, La fois où j'ai porté la moustache
Depuis leur transmigration, les solains formaient une seule famille.
Kaldor était leur père.
Néa était leur mère.
Othon et Seryn, leurs protecteurs.
Certains s'étaient détournés de cette famille. Pour les autres, leurs ressentiments, leurs oppositions, leurs doutes avaient été avalés par Sol Finis. À la surface de ce puits de ténèbres ne flottait que les étincelles de leurs espoirs ; seuls ces espoirs demeuraient donc, qui les unissaient comme jamais, dans l'histoire de l'Omnimonde, une famille ne fut unie.
Ces espoirs procédaient d'un seul : leur monde futur. Il occupait tant de leurs pensées qu'il avait fini par se former en rêve commun. Ainsi, ce monde encore imaginaire était devenu leur havre de paix. Ils n'ignoraient pas qu'il s'agissait là d'un rêve naïf, comme un dessin d'enfant, mais cet horizon rassurant amendait les meurtrissures de leurs âmes.
Dispersés physiquement pour observer les mouvements d'Aton, les solains se rassemblaient dans ce monde astral, fraction de la Noosphère qu'ils avaient assemblée eux-même pour s'y trouver en leur domaine exclusif. Un rêve en attendant le monde véritable que Kaldor bâtirait pour eux.
Si toutefois ils parvenaient à vaincre Aton.
À son retour auprès de la grande flotte de l'Armada, Kaldor fit rassembler les solains. Il s'installa au sommet d'une colline verdoyante. Les plaines de la bordure de Sol Finis, restaurées dans leur beauté originelle, s'étendaient devant lui, la frontière du monde étant marquée par les sommets de la Barrière montagneuse.
Le peuple solitaire et le dieu solitaire partageaient un chemin commun, un langage commun. Kaldor sentait que dans cette symbiose, il avait construit quelque chose qu'il recherchait depuis toujours, sans jamais l'avoir trouvé.
La sagesse s'acquiert durement. Le nombre des années ne compte pas ; la quantité d'essais écrits, de natures mortes peintes, de sonnets composés, ne compte pas ; seule compte une certaine expérience de la vie. Cette matière subtile, semblable au phlogistique des alchimistes, ne peut être ni divisée, ni comptabilisée ; pourtant elle est indubitable et ses effets peuvent être observés : Kaldor devenait sage.
Kaldor entretint longuement le cercle des solains, plus qu'il ne s'était entretenu avec les dirigeants de l'Armada Magna.
Il expliqua que la lutte entre Shani et Aton avait pris fin, à l'avantage de ce dernier. Tout au long de la transmigration, Shani leur avait ouvert la voie. Ils avaient une dette immense envers l'arpenteuse de mondes.
« Où est-elle ? » demanda Néa.
La solaine savait mieux que tous ce que pouvait avoir vécu Shani, l'esprit dispersé en milliers d'éclats, comme une simple matière première. Il lui était arrivé pareille dislocation et elle n'avait survécu que de peu.
Seryn passa un bras autour de son épaule.
Elle aussi avait vécu l'implosion, manqué de disparaître, et s'était reformée de peu, laissant partir de vastes pans d'elle-même, tels les glaciers qui se détachent de la banquise.
« Shani a survécu, répondit Kaldor. Elle vit désormais avec moi. Elle sera ma médiatrice vis-à-vis des mortels. »
Leur approbation fut sincère. Oui, il n'y avait pas d'autre choix.
Ensuite, ils parlèrent de l'empire. L'Imperium de Justitia avait été sauvé, grâce à la sélection de Catius comme Imperator, remplaçant un dieu à ce poste laissé vacant. L'homme était fait pour ce rôle.
« S'il ne possède plus l'empire, quelles forces reste-t-il à Aton ? demanda Seryn.
— Aton lui-même, nota Othon. Et il reste le cas de Naglfar.
— Kaldor, sais-tu où ils se trouvent tous les deux ?
— Aton se trouve sur une planète proche du centre de l'Omnimonde. Ce monde ne l'intéresse pas. Il n'essaie pas de rebâtir un empire. Il étend sa toile dans les consciences, tout en attendant que nous venions à lui.
— Et Naglfar ?
— Je pense qu'il l'a installé en périphérie du même système. Il sera appelé par Aton sitôt que nous nous tiendrons face à lui.
— Kaldor, peux-tu vaincre Aton ?
— Ce sera notre rôle.
— Tu comptes donc sur nous, sur l'Armada Magna, pour empêcher Naglfar de te nuire ?
— En effet.
— Lilith était l'une d'entre nous, rappela Néa. Ikar l'a été. Naglfar est une arme qu'Aton a bâtie contre Kaldor, en se servant d'une solaine. Il n'y a personne de mieux placé que nous pour la détruire.
— Naglfar n'est pas qu'une arme, indiqua Kaldor. Il s'agit d'une armée. Naglfar est multiple et retors. Vous devrez l'affronter sur tous les fronts ; dans la réalité et dans les rêves. »
Il déploya une carte transparente d'un système planétaire inconnu des solains, situé à dix ponts d'Arcs de l'Imperium.
« Aton se trouve ici, dit Kaldor en désignant une planète tellurique, la seule chargée de vie du système. Il m'attend déjà. »
Son bras pivota ensuite pour désigner une géante gazeuse aux couleurs vives, bouillon d'hydrogène et d'hélium parcouru d'immenses tempêtes.
« Naglfar se trouve ici. Vous lui couperez la route avec l'Armada. Nous irons seul confronter Aton, avec les omnisaures. Lequel d'entre vous prendra la tête de votre armée de lumière ? »
Seryn eut un sourire.
« Nous sommes tous un peu fatigués par nos luttes. Mais je sais qui est le mieux placé. J'ai mené les solains lorsque nous avons quitté notre monde ; Néa a mené les solains lorsque nous avons quitté Stella Medius ; il revient donc à Othon de nous conduire à cette dernière bataille.
— Pourquoi moi ? » s'exclama-t-il.
Déjà désigné volontaire, il était impossible faire changer d'avis quiconque.
« Je trouve ça naturel. Tu as vaincu le Collecteur et réussi à extirper Aton de Neredia dans la même journée. Le temps de ton enseignement au magistère de Khar est bien loin ! Désormais tu es l'un des meilleurs mages d'Arcs qu'il nous reste, tu as vécu quantité de batailles et tu sais faire en sorte de protéger ceux qui marchent avec toi.
— Eh bien, j'espère... que je ne vous décevrai pas.
— Il est trop tard pour perdre maintenant. Nous avons tellement perdu sur le chemin. Nous avons quasiment atteint notre horizon. »
Seryn se joignit à Kaldor sur la colline.
« Ce rêve qui nous entoure n'a plus lieu d'être. D'ici peu, ou bien nous l'aurons réalisé, ou bien il sera mort avec nous. Alors démantelez-le. Prenez-en chacun un morceau. Emportez-le avec vous sur le chemin. Gardez-le avec vous lorsque nous chargerons l'armée d'ombres d'Aton. Lorsque vous douterez de notre victoire, souvenez-vous – et nous brillerons encore. »
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