36. Le dévoreur d'étoiles


(1300 mots)

Il existe un animal se nourrissant de graines. À l'approche de la saison froide, il accumule un stock de graines, qu'il cache dans un trou d'arbre ou dans un terrier.

Il existe un autre animal, dans le même écosystème. Celui-ci ne stocke pas de graines. Lorsqu'arrive la saison froide, il se contente de chercher les terriers du premier.

Ainsi, à son arrivée dans l'Omnimonde, le dévoreur d'étoiles n'avait, en réalité, jamais dévoré d'étoile. Il avait volé le trésor de Hela.

Caelus, Notes


Aton traversa l'atmosphère de Neredia tel un trait de feu tiré vers le soleil, une ultime bravade des dieux infernaux contre ceux du ciel. Une Arx Imperia se trouvait sur son chemin ; des éléments de la superstructure métallique se plièrent, se rompirent et fondirent à son passage, s'éparpillant en gouttelettes aussitôt figées dans l'espace. Il creva une des ailes de l'Arx, dont les débris cascadèrent comme une réaction en chaîne. Tout cela se trouvait déjà loin derrière lui.

Aton était indifférent au nombre de morts. Qu'importe la souffrance des mortels ; il souffrait bien plus qu'eux, dévoré vivant par son soleil intérieur, son agonie divine ne connaissant ni accalmie ni repos. Il savait mieux qu'eux ce qu'était la souffrance et le sacrifice. Ainsi pensait-il.

Dans ses instants de colère, Aton redevenait une force de la nature, qu'on ne peut ni arrêter ni raisonner. Lorsque le volcan éclate et que ses laves crèvent la surface de la terre, il faut fuir sans chercher à comprendre.

Comme il cheminait par Arcs, bondissant d'un point à l'autre de la réalité, Aton ne mit que quelques secondes à atteindre les orbites les plus proches de Sol Neredia. Fort loin de ce disque crépusculaire rougâtre, spectre affadi par des millions de lieues de distance et la traversée d'une atmosphère, la naine jaune brillait devant lui de tous ses feux.

Après cinq milliards d'années de loyaux services, cette étoile viendrait elle aussi à mourir. Aton n'avait pas encore vaincu le Temps, mais transporté par cette entreprise insensée, il se voyait déjà supérieur à toutes ces choses qui, même dieux et astres stellaires, laissaient les mille dents du monstre grignoter leurs forces vitales.

Il méprisait ces étoiles qui acceptaient ce statu quo. À quoi bon demeurer cinq milliards d'années pour s'éteindre ensuite ?

« Sol Neredia ! » appela-t-il.

Aton ne craignait pas la lumière ; il se riait de ces océans de plasma dont surgissaient parfois des explosions de plusieurs milliers de kilomètres d'envergure, comme si l'étoile agitait mille petit bras.

« Sol Neredia ! » répéta-t-il.

Et l'étoile répondit !

La plupart des immortels, trop concentrés sur l'architecture artificielle de l'Omnimonde, avec sa carte de ponts d'Arcs bâtis par les anciens dieux, omettaient l'existence de ces monstres cosmiques. Ces inconscients ne valaient pas mieux que les mortels, trop fragiles et trop brefs pour saisir l'ampleur des temps géologiques, l'échelle titanesque à laquelle évoluaient les astres.

En matière, Sol Neredia était une explosion, empilement de plasmas où les atomes éclataient dans de perpétuelles détonations thermonucléaires. Elle crachait à tout instant dans l'espace des quantités infernales d'hydrogène et de résidus de la fusion, ainsi que des rayonnements dont l'intensité pouvait peler, atome par atome, tout objet s'approchant d'elle.

En Arcs, l'étoile avait accumulé une longue file de souvenirs, durant ses milliards d'années de veille stellaire. Elle avait concentré et drainé un peu de la Noosphère de la planète Neredia, comme tous les astres ; elle était son propre nœud de rêves, et, comme tous les astres, elle rêvait.

Il fallait être un dieu de la trempe de Kaldor – et cela, Aton le lui reconnaissait – pour sentir les pulsations des astres, leurs esprits endormis, aussi éloignés des dieux que les photosaures des hommes, et les hommes des mollusques.

Ce que dit l'étoile ne pouvait pas être interprété comme du langage. Même Kaldor, habitué aux barrières de la langue, n'aurait rien compris à ce babillage d'Arcs inconsistants. Mais Aton contenait une autre étoile, Sol Finis, agissant comme un interprète involontaire.

En somme, l'étoile n'avait pas peur de lui.

Elle ne le reconnaissait pas, lui, le dévoreur, comme digne d'intérêt.

L'étoile avait été ici longtemps et serait ici encore longtemps après lui.

« Et maintenant ? »

Aton s'approcha davantage de l'étoile. Il pénétrait dans un monde fait de flammes vivantes et de bouillonnements agressifs. La surface n'apparaissait pas comme une ligne claire ; la densité augmentait simplement jusqu'à ce que le plasma devienne liquide. Aton plongea son bras éclaté, étendu en tentacule de feu, jusqu'à passer en-dessous de la chromosphère – la couche supérieure. Sous la peau de Sol Neredia, il vomit alors ses propres particules, aspirant en retour l'hydrogène et l'hélium comme une tique pompant le sang de son hôte.

D'abord minuscule, sa forme pseudo-humaine gonfla jusqu'à une lieue d'amplitude. Des boursouflures apparurent sur ses épaules, Sol Neredia lui résistait, et faisait pression sur son corps pour l'éclater de l'intérieur – mais il était habitué ! Nourri par la colère d'un soleil exilé, comme Romulus au sein de la louve, il était devenu un fauve redoutable.

« Que fais-tu, Ikar ? »

Un solain ! Ici, dans l'espace ! Aton replia son bras comme un enfant surpris la main dans un sac de bonbons. Un vaste siphon s'était creusé autour de lui, fait de flammes mugissantes. Il tira à lui ce gêneur importun.

« Qu'es-tu ? »

Ses yeux, gorgés de lumière, voyaient pulser les tourbillons de Sol Neredia, mais impossible pour lui de distinguer cet insecte, même par les Arcs.

« Ne me reconnais-tu pas, Ikar ? Nous sommes de vieux amis.

— Othon ! »

Il tenta d'écraser l'insecte dans son poing. En quelques torsions d'espace, Othon brouilla sa position, apparut en de multiples exemplaires indiscernables. Aton s'était plongé dans le temps de l'étoile. Ralenti, étouffé par son repas indigeste, il peinait à suivre le petit solain.

« Je me souviens encore, quand tu disais que tu demanderais audience aux Sermanéens. Que le temps de Sol Finis semble loin de nous ! Je parle d'un monde disparu. Mais qui sait, peut-être que quelqu'un, un jour, retrouvera ses vestiges.

— Othon... maudit !

— Tu devrais te voir, Ikar. Tu as bien grandi. Tu es devenu hideux. Et tu sais à peine parler. Toi, un dévoreur d'étoiles ? Tu n'as jamais dévoré quoi que ce soit ! Tu as volé le soleil de Hela. »

Des câbles d'Arcs se refermèrent sur ses poignets et ses chevilles. De rage, la raison noyée par les feux de sa colère, Aton brisa ses bras et ses jambes pour échapper à ces misérables entraves. Mais le plasma qui s'en déversa ne lui obéissait plus ; il s'agissait d'une mixture de volontés contradictoires, d'un Sol Finis fulminant et d'un Sol Neredia enragé.

Le tourbillon monta autour de lui en vague furieuse, haute de mille lieues, parsemée d'explosions.

« Maudits... tous ! Tu verras disparaître Néa, que tu souhaites protéger ! Néa verra disparaître Lilith, sa propre enfant ! Et Seryn verra disparaître tous les solains, dont elle sera... la dernière !

— Nous sommes habitués aux malédictions. »

Aton tenta de lever la tête hors du tumulte flamboyant ; la vague l'emporta, dissolvant ce qui restait de lui. Sol Neredia reprenait l'avantage. Le dévoreur et la proie échangeaient leurs rôles.

« Je reviendrai ! hurla-t-il avant que les bouillons de plasma fracassent les structures d'Arcs soutenant son esprit. Je serai un million de fois plus puissant !

— C'est vrai.

— Naglfar vous écrasera tous !

— Peut-être. »

Derrière les flammes d'hydrogène obstruant sa vision, Othon apparaissait intact, le visage empli de peine, tel un ange venu soutenir le trépassé dans son chemin.

« Je regrette de ne pas pouvoir te sauver, ami. »

Sol Neredia referma sa cicatrice. La capitale de l'empire vivrait encore, pour quelque temps.

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