18. Le sort des traîtres


(1700 mots)

L'empire traite ses ennemis de manière cruelle, non pour dissuader les prochains, mais par nécessité intrinsèque. Ainsi, il se rappelle qu'il peut tout.

L'empire est un Janus temporaire, puissant quand il fait usage de sa force, fragile quand il vient à questionner son existence. S'il cesse de se persuader de sa nécessité d'être, en quelques décennies, il sera disloqué.

Caelus, Notes


« Maintenant... les ennemis de l'empire vont connaître le sort des traîtres ! »

Othon s'entoura d'une illusion d'Arcs. Il veillait à maintenir les vibrations parasites au minimum. À deux kilomètres de là, dans le secret de sa salle de règne, se trouvait le dévoreur d'étoiles. Du moins, un fragment de sa conscience.

Depuis le début de la guerre d'influence que menaient Kaldor et Aton, aucun solain ne s'était rendu au cœur du système Neredia. Othon et Néa étaient les premiers. Bien camouflés, ils espéraient que le dieu-soleil ne soupçonnerait pas leur présence furtive. Nul doute que les yeux de l'imposteur, bien installé sur le trône laissé vacant par la déesse Justitia, portaient dans tout le système.

L'arène bondée, remplie de cette foule hurlante, lui rappela la ville de Méra. Des enfants rigolards, postés sur les épaules de leurs parents comme des vigies grimaçantes, des parieurs vindicatifs, des vendeurs ambulants hurlant leurs prix par-dessus ceux de la concurrence. Il se passait ici quelque phénomène qui dépassait l'entendement. Cette masse humaine coagulait en une seule bête immense et inconsciente, seulement avide de sang. Othon devait maintenir une barrière autour de son esprit pour se préserver de leurs mots et de leurs pensées. Leur haine, leur violence infinies lui donnaient la nausée. Ces parents aimants, ces enfants sages, ces commerçants honnêtes, ces soldats dévoués avaient fusionné en un seul monstre, comme par quelque alchimie maudite.

Voyant cela, comprenant les mécanismes sombres de la pensée humaine, Aton n'aurait aucun mal à répandre ses légions meurtrières sur l'Omnimonde. Son armée partirait de l'Imperium, conquerrait les planètes accessibles, massacrerait les peuples jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un seul être – le dieu-soleil.

Tout cela malgré les efforts de Shani.

Othon descendit dans l'arène, invisible aux yeux de tous. Seuls quelques humains avaient la capacité de sentir les déformations de la réalité induites par la magie d'Arcs, et ce n'étaient que des impressions fugaces, éphémères, qui requéraient la plus intense concentration.

Des bourreaux de l'empire plantèrent des poteaux de bois dans des encoches prévues à cet effet. En passant, ils donnaient un coup de pied dans le sable de l'arène pour effacer les traces de sang des précédents combat. C'étaient des hommes épais et rustres, habitués du fouet et du pilori, encagoulés non pour préserver leur anonymat, mais parce que l'empire les méprisait au moins autant que les condamnés.

De nouvelles grilles de fer se levèrent et les préparateurs apportèrent des rebelles. Ils traînaient comme des paquets ces hommes affamés, malades et à peine conscients. En quelques jours, les prisonniers, que Catius avait traité avec d'évidents égards, étaient redevenus ce que voulait l'empire : des loques humaines, les pieds ensanglantés par la marche de la matinée, incapables du moindre mouvement.

On ne pouvait pas sérieusement prétendre qu'il ne s'agissait là que de « faire un exemple ». Les punitions de l'empire n'avaient pas qu'une valeur dissuasive. Publiques et spectaculaires, elles conjuraient le démon qui guette toute société organisée : la rébellion. Elles persuadaient l'Imperium de son pouvoir et de son bon droit. Dans le ciment de cet empire puissant et cruel, le sang des condamnés complétait celui des plébéiens et des soldats.

Le peuple haletait comme un chien avant la curée. Les bourreaux ayant enchaîné les rebelles aux poteaux, ils déguerpirent promptement. On entendit le roulement de nouvelles grilles, plus lourdes, plus épaisses, et dont les barreaux portaient des marques inquiétantes.

Othon serait aussi invisible aux fauves qu'au bon peuple d'Amor ; néanmoins, il se plaça en lévitation à quelques pouces du sol. Un grondement émergea d'une des bouches noires, comme un cri remonté des enfers. Un bras fantomatique en émergea d'abord, long de trois mètres. De ses doigts plantés à même le poignet, de simples lames d'os, gouttait un poison noirâtre. Un deuxième bras suivit, puis un troisième.

C'était un monstre formidable que l'empire gardait dans les caves de l'arène. Son cuir noir était parsemé de meurtrissures rosées, mais ces blessures accumulées lors de son emprisonnement ne l'avaient pas diminué, loin de là. Des anneaux d'acier encerclaient son cou et des membres, dont pendaient de longues chaînes, cliquetant dans le sable comme la traîne d'une mariée de cauchemar. D'autres avaient été vissés dans les os de ses épaisses vertèbres, de sorte qu'il ne pouvait s'arracher ses entraves sans démonter son propre squelette.

C'était un amphibien formé autour d'un axe central. Sa tête soudée au thorax s'ouvrait en une bouche circulaire, entourée d'une couronne d'yeux vitreux et de trois bas polyarticulés, crochets chargés d'amener la nourriture jusqu'à l'engloutissement. Il avançait lentement, ses nombreuses pattes se repliaient avec précision, mais sans schéma d'ensemble, ce qui rendait son mouvement confus.

Le monstre fit le tour de l'arène, observant les dix hommes offerts pour son festin, en émettant quelques sifflements aigus.

Reculant de quelques mètres, Othon s'approcha de Tivan.

Le vieux légionnaire ne se débattait point. Il avait à peine la force de garder les yeux ouverts.

« Pourquoi êtes-vous venu ? murmura-t-il.

— Savez-vous qui je suis ?

— Vous êtes un des solains. Un envoyé de Kaldor. Mais je sais que Kaldor ne viendra pas me sauver. Si cela était possible, il l'aurait déjà fait. Seriez-vous porteur d'un message ?

— Mes capacités d'action sont limitées, expliqua Othon. Le dévoreur d'étoiles est très proche d'ici. Si j'emploie ma magie sans me restreindre, il le saura. Il n'aura aucun scrupule à vaporiser cette arène et les dix mille humains qui nous entourent, si cela peut lui permettre de me détruire.

— Alors ne faites rien. Ce peuple qui nous regarde ne paraît point digne d'être sauvé, mais il l'est néanmoins.

— Je le sais.

— Oh, Kaldor est puissant ! Immensément puissant ! Il aurait pu détruire l'empire à la première occasion, et balayer les rêves de conquête du maudit Aton. »

Illuminé de compréhension, Tivan tourna la tête en direction de la tribune d'honneur et s'exclama :

« Kaldor pourrait tous vous anéantir ! Mais Kaldor est restreint par sa morale, ce qui le fait paraître faible : malgré tout, il veut encore bien agir. Et nous agirons bien avec lui. Et cela ne nous rendra pas plus faibles que vous. Vos valeurs sont asséchées. Les nôtres sont dans nos actions. »

Pour que le monstre bondisse en premier sur Tivan, les bourreaux avaient enduit le poteau de bois d'une substance huileuse qui semblait l'attirer particulièrement. Son bras armé se jeta en avant. Il trancha la chair, fracassa les os et pulvérisa le bois. Une mare de sang et de cellulose séchait déjà sur le sable. La créature approcha sa gueule affamée et aspira la matière organique.

« Qu'est-ce que...

— Ne dites rien. Ne pensez à rien. À cet instant, vous êtes dans une anomalie de l'espace. Chaque mouvement de votre esprit ou de votre corps envoie une onde dans cette anomalie. Je veux éviter que le dévoreur d'étoiles la détecte. »

Propulsé dans une torsion locale, Tivan, libéré de ses chaînes, se trouvait toujours dans l'arène. Mais les alentours lui paraissaient parsemés de fractures violacées, comme un assemblage imparfait de fragments de réalité. Au passage dans la boucle locale, les sons se faisaient plus graves ; les hurlements de la foule ressemblaient au martèlement d'un troupeau.

Othon lui reconnut une force de caractère peu commune, pour demeurer ainsi immobile, alors qu'à quelques mètres, la créature monstrueuse se déchaînait sur une illusion d'homme. Avec Néa, ils avaient convenu que l'arène serait le meilleur endroit pour extraire Tivan. Excité et écœuré par la vue du sang, le peuple ne verrait ni ne comprendrait le remplacement du traître par une poupée faite d'Arcs et de chair animale, qu'Othon avait assemblée et cachée la veille dans le sol.

« Voici donc la puissance des mages d'Arcs, murmura Tivan.

— Allons-y, ordonna le solain.

— C'est hors de question. Si vous ne pouvez pas sauver mes hommes, laissez-moi.

— Nous n'avons que quelques secondes, protesta Othon. Et je me passerai de votre assentiment. Nous partons.

— Mais vous êtes un disciple de Kaldor. Vous voulez bien agir. Vous ne pouvez pas abandonner ces hommes sous prétexte que je serais plus important qu'eux. Ce n'est pas vrai ! »

Le monstre achevait son entrée. Une goutte de sang projetée se cogna contre la surface de la torsion locale et demeura en suspension dans l'air. Un détail heureusement invisible depuis les tribunes.

« Vous êtes insupportable » grogna Othon.

Il fit un geste du bras. La torsion se referma sur Tivan et le catapulta à travers l'espace. L'appétit venant en mangeant, le monstre se dirigeait à pas de géant vers deux ex-légionnaires inconscients – on avait dispersé les poteaux pour lui donner un peu d'exercice et pour allonger la durée du spectacle. Othon l'interrompit dans sa course. Il entra dans ses centres nerveux, mit du désordre dans les signaux envoyés aux membres et le fit trébucher.

Le peuple se mit à rire face à ce retournement inattendu.

À chaque pas, à chaque vibration des Arcs, Othon craignait de voir apparaître ce dieu-soleil de pacotille, qui avait autrefois compté parmi ses amis. Il paniquait à l'idée qu'un oiseau de feu traverse le ciel tel l'alcyon crevant la surface du lac, s'écrase dans une tornade de flammes, et qu'en émerge la forme encore vaguement solaine d'Ikar...

Le cerveau primitif de la bête ne lui donna heureusement pas trop de difficultés. Avant qu'elle fasse un autre mouvement, il déconnecta quelques-uns de ces câblages électriques sur lesquels repose l'équilibre des machines biologiques. Les neurones tombèrent dans un état oscillatoire proche du rêve. La bête émit un borborygme et ferma les yeux.

Othon tira un Arc jusqu'à la tribune d'honneur.

Le sénateur Lucius semblait s'amuser beaucoup. Catius, choqué par la mort de Tivan, n'en laissait rien paraître.

« C'est un fiasco, gronda le premier consul à l'adresse du maître de cérémonie, qui s'arrachait les cheveux. Inutile d'attendre que votre animal se réveille. Détachez les autres prisonniers, nous les exécuterons plus tard. »

Exactement ce qu'il attendait de sa part.

Kaldor avait raison : le Consul Catius était la clé pour les sauver de l'Imperium et, plus difficile, pour sauver l'Imperium lui-même.

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