10. Neredia
(1000 mots)
À l'apogée de l'Imperium, Neredia était une planète prospère. Selon ses standards, du moins.
À Amor, la capitale et principale ville de la planète, l'espérance de vie et le taux de mortalité infantiles étaient les plus bas de tout l'Imperium. Toutefois, les campagnes de Neredia n'étaient pas plus agréables que le reste de l'empire.
Caelus
« Montrez-moi. »
Catius posa ses mains sur les molettes du téléscope.
Cet outil indispensable pour les vaisseaux de l'empire était aussi une merveille d'ingénierie et d'optique. Avec son grossissement, Catius aurait pu compter les cellules du moindre acarien rampant sur les lentilles intérieures.
L'objectif du téléscope surgissait du sol en pilier vertical, cachant la masse considérable de cet instrument, capable de pointer dans toutes les directions. Le pilote l'avait déjà réglé sur une région précise de l'espace. Neredia, dont le disque bleuté se rapprochait d'eux, et son orbite stationnaire.
« En effet, c'est une Arx Imperia en construction. Je l'ignorais. »
Il y avait beaucoup de vaisseaux autour de l'ossature de métal circulaire. Construire une de ces forteresses demandait un investissement considérable.
« Avec les deux autres, cela en fera trois. »
Que pouvait faire l'empire de tant de forteresses ? La réponse était évidente : des bases d'entraînement et de lancement. L'Imperium recrutait de nouvelles légions. Il agrandissait ses forces spatiales. Des guerres allaient venir, de plus grande ampleur que les batailles coloniales souvent gagnées avec peu de pertes.
Le centurion venait tout juste de sortir d'un repos bien mérité ; la canonnière rejoindrait bientôt son orbite de rencontre avec l'Arx Imperia où le vaisseau serait révisé avant sa prochaine sortie. La plupart des légionnaires profiteraient de leur permission pour revoir leur famille, du moins ceux originaires de Neredia. Les autres passeraient le temps dans la ville en attendant qu'on rappelle la Troisième Légion au combat.
Catius regretta que l'occasion de réunir ses hommes et de leur rendre hommage en personne ne se présente pas. Il se contenta d'un bref message vocal avant de prendre connaissance des télégrammes de la planète.
« Deux navettes ? s'étonna-t-il. Je croyais que le Sénat souhaitait interroger les prisonniers.
— Apparemment ils ont changé d'avis. »
Le sénateur Lucius avait lui-même signé ce message, indiquant que les rebelles seraient transférés à la prison Septima et placés en isolement en attendant leur exécution publique. Quant à Catius, il devait rendre compte de sa campagne à la session plénière du Sénat.
Je n'aurai même pas le temps de rentrer chez moi, songea-t-il.
Tout au long de leur descente dans l'atmosphère, Catius ne put s'empêcher de jeter des regards fréquents en direction de la deuxième navette, qui suivait une trajectoire parallèle. Il malmenait un fil qui dépassait de sa tunique de cérémonie.
« Vous aurez l'occasion de le revoir » dit Othon en se penchant dans sa direction.
Le légionnaire au regard clair était perspicace, sans doute trop.
« Vous êtes en congé, nota Catius. Que ferez-vous ? Avez-vous quelqu'un à visiter à Neredia ?
— Non, personne en particulier. Je ne suis pas de cette planète. »
Catius fronça des sourcils. L'expansion de l'empire était telle que désormais, des citoyens comme Othon pouvaient être engagés dans la légion sans jamais avoir vu la capitale et ses horizons. C'était comme si l'empire, trop gourmand de conquêtes, perdait son socle commun. Il imposait sa langue et sa culture, mais mille variations de cette langue et de cette culture cohabitaient désormais.
« Dans ce cas, venez me voir. Passez quand vous voulez. Vous avez fait un très bon travail durant cette campagne, Othon. J'écrirai une note pour vous proposer au grade de décurion.
— Ce n'est pas nécessaire, centurion. Je vous remercie de votre sollicitude. »
D'où venait-elle ? Peut-être une façon de diluer sa culpabilité. Catius se sentait mal à l'aise à l'idée que d'autres légionnaires, des servants de l'empire, seraient exécutés dans quelques jours sur place publique. Même après avoir mené lui-même la lutte contre ces forces corruptrices.
« Cependant, j'accepte votre invitation avec plaisir.
— De quelle planète venez-vous, Othon ?
— C'est un monde que vous n'avez pas connu. La vie y était dure. Le froid, la sécheresse. L'insécurité permanente.
— Les choses vont-elles mieux, depuis l'annexion par l'empire ? Parlez sans crainte.
— Vous le savez comme moi, comme Tivan. L'empire n'a pas amélioré la vie de ses citoyens. Les seuls vaisseaux qui traversent les ponts d'Arcs sont les légions et les percepteurs d'impôts. Ces deux puissances sœurs sont le seul aperçu de l'empire dont disposent les mondes éloignés. Les uns collectent les hommes adultes, les autres prélèvent la dîme sénatoriale. Et puis il y a les congrégations de vestales, les prêtres d'Aton et tout ce qui tourne autour du dieu-soleil. »
La navette venait de traverser les nuages.
La capitale de l'empire concentrait toute la présence humaine à des dizaines de lieues à la ronde ; alentour tout n'était que maigres hameaux paysans qui s'acharnaient à alimenter cette fourmilière. Des champs de blé et d'orge à perte de vue, des oliveraies et des arbres fruitiers ; au centre de cette couronne de verdure, fendue en deux par un large fleuve, se prélassait Amor.
« Vous n'avez donc jamais vu cette ville, dit Catius.
— Non, mais il me semble déjà la connaître.
— Amor est semblable à toutes les capitales de province, sauf que tout y est plus grand. Plus ambitieux. Tout ce que l'on trouve là-bas a originé ici.
— Vous êtes né ici, centurion ?
— En effet. »
Au centre d'Amor, la flèche du Sénat dominait toute la région, encerclée d'une foule de bâtiments officiels d'un blanc éclatant, comme la mariée et sa traîne. Les sénateurs, les officiers, les prêtres de haut rang vivaient dans ces premiers cercles, ignorant ces marées de demeures insalubres grouillant dans tout le reste de la ville. Des arches de pierre survolaient même les quartiers secondaires, permettant à l'aristocratie de l'empire de ne jamais se mêler avec la plèbe. Même le grand théâtre, les grandes arènes, où se retrouvaient tous les échelons de la société, avaient leur organisation. On entrait d'un côté ou de l'autre, empruntant les escaliers qui menaient directement aux confortables gradins supérieurs, ou aux entassements humains des niveaux inférieurs.
Quatre millions d'humains se concentraient ici.
À dix kilomètres de hauteur, toute cette vie humaine paraissait dépendre non pas des choix éclairés des uns et des autres, mais de simples instincts grégaires, comme le fonctionnement procédural des insectes.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top