Matt Chapitre 4.2

Une simple bourrasque vivifiante sur mon visage est une délivrance. Ce moment d’air frais après cette heure enfermée est un plaisir limpide et unique. Appuyée contre le mur, la brise froide me donne un léger frisson tandis que je tire sur ce tube de nicotine qui me réchauffe de l’intérieur.

— Salut, est-ce que tu aurais du feu ?

Surpris, je dévisage la demoiselle qui me parle. Sa chevelure rousse me frappe suffisamment pour capter que je ne l’ai jamais vue. Sans un mot, je saisis mon briquet dans ma poche arrière et l’actionne. Certains pourraient répéter que c’est une technique de drague à la con. Pour moi, c’est l’assurance de le garder. On pourrait croire que les gens friqués n’en ont rien a foutre d’un objet qui coûte seulement un euro cinquante et pourtant. Elle me remercie sans pour autant s’éloigner. Personne ne prend le risque de rester à mes côtés sauf Cass. C’est la certitude de se mettre tout le monde à dos.

— Nouvelle ? ne puis-je m’empêcher de lui demander.

Son minois se tourne vers moi, avec un sourire timide qui amplifie ses taches de rousseur.

— Ça se remarque tant que ça ?

Je lui imite une moue explicite qui provoque son rire.

— Moi c’est Julie, m’annonce-t-elle en me tendant une main parfaitement manucurée.

Au même moment, je reconnais la silhouette élancée de ma meilleure amie qui sort enfin de la salle de contrôle.

— Je ne saurai que te conseiller de sympathiser avec des gens de ta classe Julie, clôturé-je en me détournant.

Sa surprise est si grande, qu’elle manque presque de perdre sa clope quand sa mâchoire se décroche. J’ai bien conscience de lui avoir parlé comme une primaire qui désire traîner avec des lycéens, mais dans le fond, vu les regards qui se posent sur nous, c’est pour son bien.

Cass souffle en arrivant à mon niveau.

— La prochaine fois, c’est toi qui devrais montrer ton balcon ! Je ne suis pas certaine d’avoir la moyenne sur ce coup.

Je compatis face à sa mine triste et je la tire vers moi.

— J’ignore si Monsieur Renoir sera intéressé par mes abdos, mais pour toi, je veux bien essayer, lui chuchoté-je à l’oreille.

En remerciement, je reçois une tape dans l’estomac. Son petit cri de plainte me dicte qu'elle est en souffrance.

— T’es qu’un emmerdeur Evend, gémit-elle en secouant ses doigts.

L’entendre grogner mon nom ravive le pire enfoiré qui loge dans mes veines. J’éclate de rire sans me retenir. Une chaleur démentielle me parcourt. Les larmes me montent aux yeux et j’en ai des maux de ventre. Le regard que m’octroie Cass en tapant du pied n’arrange rien. Je la compare à une lapine entre deux respirations qui l’énerve jusqu’au rouge écarlate. Je sais qu’elle va m’incendier quand je serai calme, mais pour le moment, je savoure ce bien-être qui m’enlace.  La sonnerie retentit, laissant les élèves sortir en trombe.

— Vu que tu sembles bien actif, je suis sûre que tu sauras déniché assez de courage pour aller à la cafétéria ce midi, plaide ma meilleure amie.

D’un air boudeur, elle se détourne et avant que j’ai eu le temps de défendre ma cause, elle a disparu dans la foule.  Mon instant de bonheur s’évanouit, mais je ne peux pas en vouloir à Cass, je l’ai cherché, je l’ai trouvé. Je ne pouvais pas m’attendre à mieux d’elle. Bien que la cafette soit un coup bas. En plus de coûter un prix exorbitant, c’est là où se déroulent les règlements de compte. Entre les yaourts sur la tête ou le molard dans l’assiette, même en étant intouchable à l’extérieur. À l’intérieur, les pourboires permettent souvent au surveillant d’avoir une vue de taupe. À force d’être malmener, on avait pris l’habitude que Cass me prépare une de ses ciabattas qu’elle agrémente selon ses humeurs. Une découverte chaque midi que je partage avec elle. Enfin pas aujourd’hui visiblement. Mais je ne suis pas aussi fou pour tenter d’aller bouffer ici. J’attrape mon sac et le balance sur mon dos, je quitte les grilles de l’institut.

L’esprit plus morose, je sais parfaitement où me réfugier durant cette pause. J’observe les pigeons qui roucoulent en s’envolant dans les nuages, au point que je manque de m’éclater sur le béton à plusieurs reprises. Je slalome entre les voitures et fini sur le trottoir. J’emmerde les piétons qui s'écartent en me lançant des injures. Dans ma bulle, je ne réagis à aucune de leurs provocations. Même quand j’arrive face à la devanture de mon boulot, je laisse mon vélo près de la porte de service. L’arrière salle est assez petite, c’est à peine si nos casiers ne prennent pas tout l’espace entre les étagères de stockage. Un gain de temps sur le ménage d'après le patron. Celui-ci est au comptoir avec mon collègue devant la caisse. Sa calvitie avancée et sa corpulence importante sont immanquables. Il ne lui manque que la moustache pour incarner le pizzaiolo parfait. Les deux intéressés se retournent lorsque je me racle la gorge. Samaël me remarque et me rejoint en fermant la porte.        

—  Tiens, mon serveur préféré ! Il paraît que tu as réalisé de l'animation ce matin ?

Aïe. Ces deux phrases ne vont pas du tout ensemble. L'esprit embarrassé, j'ignore si je dois m'inquiéter et être discret ou encore défendre ma position.

—  Justement…,  commencé-je.
—  T’inquiètes, je l’ai engagé ta brunette, réagit-il avec un geste de la main, mais tu as intérêt à lui apprendre les ficelles du métier. Hors de question d’avoir un bras cassé derrière le comptoir.

Incapable de surenchérir, je l’écoute m’indiquer ses horaires et le rôle qu’elle devra effectuer avec moi, et qu’elle continuera avec Fil, jusqu’au dernier coup des quatre heures et demi de l’après midi. Repenser à ses fines jambes et ses escarpins me donnent le sourire, elle va souffrir.

— Je ne veux aucun traitement de faveur, Matt. Si elle a ce poste c’est qu’elle sera capable de remplacer Fil, ou elle s’en va. On est d’accord ?

Je hoche la tête en prenant conscience que je viens de laisser croire à mon patron qu'il m'offrait une faveur en laissant une chance à cette fille. Je passe la main sur ma nuque. Si elle prépare n'importe quoi, je peux oublier l'acceptation de mes prochaines vacances pour réparer les pots cassés. C'est hors de question, elle a intérêt d'assurer ou je la vire moi-même avec un coup pied au cul !

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