Matt Chapitre 2
— Espèce d’enfoiré !
Mon corps se relève, couvert de sueur, cherchant désespérément des repères visuels.
— Regarde où tu vas ! hurle encore une fois, la voix semi-étouffée qui vient de la rue.
Mes jambes nues sous mon drap sont tellement tendues que je reprends mon souffle avant de me lever. Le néon du post publicitaire éclaire suffisamment pour percevoir deux alcoolos en bas qui s’attirent des noises. Ça m’apprendra à dormir la trappe ouverte en plein hiver. Je la ferme d’un geste brusque puis passe les mains dans mes cheveux mouillés de sueur. J’attrape le verre d’eau sur ma table de nuit en soupirant face à mon réveil qui affiche à peine cinq heures du matin. J’ai l’habitude des nuits compliquées, avec un peu de chance, mes gueules de bois répétées me donneront une cirrhose dans quelques années, mais je déteste quand ils m’embarquent si tôt. Le pas traînant, je me dirige vers la salle de bain. Mon boxer jeté sur le sol, je m’engouffre derrière le rideau de douche. Le liquide froid me saisit et m’aide à chasser les dernières images de mes rêves qui polluent encore mon esprit. Nous sommes le dix-sept janvier, et la journée va être suffisamment longue pour m’éviter de m’envahir l’esprit d’autres conneries. J'essaie de me détendre alors que mon savon est presque vide et m’oblige à utiliser des stratagèmes pour en récupérer le contenu. Finalement, ça s’annonce dans une telle continuité que j’enrage déjà.
Je m’habille rapidement et croque dans une pomme en regagnant la cuisine. Je griffonne « gel » sur le tableau des courses. Le plus silencieusement possible j’attrape mes pompes et sors de l’appartement en verrouillant derrière moi. Jérémy déteste que la porte d’entrée reste ouverte. Je ne peux pas trop lui en vouloir. Lorsqu’on a une mère flic, elle a assez d’arguments pour vous forcer à intégrer certaines règles de cohabitation. Mon téléphone dans la poche, les clés dans les mains, je descends les escaliers en trombe et rejoins mon vélo dans le local de l’immeuble.
Le froid m’attaque dès l’ouverture de la porte. Ma respiration s’élève devant mes yeux m’annonçant que de la neige sera peut-être au rendez-vous. Ça ne m’ennuie pas plus que ça, les trottoirs sont toujours dégagés. Ce qui est bien quand on vit dans une grande ville telle que New York, c’est qu’elle ne dort jamais. Certes, certains endroits sont à éviter, surtout quand la nuit tombe, mais dans l’ensemble, j’aime cette atmosphère qui la traverse. Les étalages parsèment les rues, les marchands à la sauvette envahissent les trottoirs. La foule ne désemplit pas, nous poussant à nous sentir telle une fourmi qui poursuit son chemin. Le seul problème c’est la circulation. Même si à cette heure c’est plutôt dense, il ne faudra qu’une heure supplémentaire pour que les bouchons prennent forme. Heureusement, j’ai trouvé la parade et depuis, mon BMX est devenu mon fidèle ami.
Quand j’arrive devant le café où je travaille, je salue Tom, un sans-abri qui malheureusement séjourne ici depuis pas mal de temps.
— On commence tôt ce matin, Matt, me sourit-il.
Son bonnet en laine sur les oreilles et ses gants troués aux doigts sont les seuls éléments dont il dispose pour se battre contre les températures hivernales. Sa couverture l’englobe à peine puisqu’il préfère s’asseoir dessus pour cacher ses maigres affaires.
— Fallait bien que je pense à mon vieil ami, m’exclamé-je.
Tom a sombré du jour au lendemain. Sa femme l’a jeté dehors sans prévenir après la perte de son job. Comptable, il imaginait rapidement trouver une solution, mais sans domicile fixe aucun employeur n’a dénié l’engager. Les apparences sont importantes ici, au point d’effacer toutes traces d’humanité. Toutefois, je me permets une entorse tous les matins en lui apportant un café chaud. Mon patron m’a déjà remonté les bretelles pour ça, mais vu que je travaille bien et, surtout, que je ne ronchonne jamais sur les horaires, il ferme les yeux en les déduisant de mon salaire.
— Toujours pas de place dans les refuges ? l’interrogé-je tandis qu’il souffle sur la fumée du gobelet.
— Le jour où il y aura de l’espace pour tout le monde…
Il laisse sa phrase en suspens.
Une réalité qui serre mes entrailles.
— Ne t’inquiète pas mon grand, j’ai pris mes habitudes maintenant. Albert va arriver. Et je vais pouvoir me reposer quelques heures.
Comme tous les matins, ce vendeur de hot-dogs prend place sur le trottoir. Il jette sympathiquement sa friture dans les canalisations. Pas très écolo, mais cela réchauffe quelque peu le sol qui fume durant plusieurs heures. Tom en profite pour se cacher derrière son stand et dormir malgré l’éveil de la ville. Il me remercie une dernière fois pour le café et je procède à l’ouverture du bar. Le panneau tourné sur « open » attire les premiers clients frigorifiés des alentours. La plupart sont des habitués, pourtant cette fois, quand je mets mon tablier, une fille, brune, pénètre dans l’établissement. Son regard détaille chaque personne déjà présente, avant qu’il ne se pose, enfin, sur moi.
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