Chapitre 8.2-Matt
Le ciel a beau être noir, j'en aperçois quelques nuages. Ce mucus blanc qui résiste pour ne pas être avalé par le néant. C'était à peu près moi actuellement, dans cette foule et cet air de fête qui a inondé les trottoirs. Je luttais. Noël a beau être passé, certaines décorations demeurent dans les boutiques. Les dernières soldes de l'hiver, le moment opportun pour récupérer les sommes d'argent laissées sous le sapin. Les marchandises envahissent les lieux et les habitants bien emmitouflés boivent volontiers le vin chaud qui est proposé. Les serveurs sortent pour proposer leur menu du jour et les tracts des boîtes alentours proposent leurs dernières soirées à moitié prix. Autant de distractions que de tentations pour un gars comme moi. Mais je me dois de tenir le coup, la neige ne va pas tarder à tomber à nouveau, j'ai conscience que mes heures d'exploration sont comptées. Jeremy m'a appelé, quelques minutes plus tôt, pour m'annoncer qu'il avait retrouvé mon vélo. Toutefois, malgré l'excitation qui avait traversé ma voix pour le remercier, il n'a pas arrêté de me demander si je voulais qu'il me rejoigne pour chercher Tom. J'ai beau savoir que cela part d'une bonne intention, je ne peux me résoudre à accepter. Dans le fond, il ne l'avait jamais rencontré et ce moment est également un test pour moi. J'ai lamentablement échoué hier quand Ozalée m'a posé un lapin. Mais aujourd'hui, je me dois de rester conscient, de ne pas laisser mes démons m'emporter. Cette neige est l'un des pires ennemis des SDF et connaissant Tom, je sais pertinemment que même avec ce temps, il ne cherchera pas une place dans un abri. Il a ses habitudes et surtout un caractère de cochon qui l'empêche de demander de l'aide. Trois jours se sont écoulés depuis la dernière fois que je l'ai vu. L'idée de m'arrêter au poste de police m'a traversé l'esprit, mais qui chercherait un sans abris ? Ma demande ne servirait certainement à rien à part me pousser à perdre mon temps. Les passants autour de moi me dépassent et me frôlent sans réelle importance. Chacun est pris dans ses pensées. C'est peut-être pour ça que chacun peut devenir qui il veut à New-York, personne ne réalise réellement sa présence. Un constat un peu triste en y songeant. J'aperçois une camionnette du secours populaire garée un peu plus haut et c'est avec un nouvel espoir que je me précipite vers eux. Un homme et deux femmes se tiennent derrière la table de fortune qu'ils ont installée. Ils portent tous un tablier blanc sur leurs doudounes, mais leurs mains demeurent rouges face à la baisse des températures de cette soirée. Par instinct, je me présente devant l'homme aux cheveux dégarnis. Il prépare un bol de soupe en parlant et en riant avec le seul client présent devant son étalage.
— Puis-je vous aider ? propose le bénévole en plaçant plus de bols vides devant lui.
— Je suis désolé de vous déranger monsieur, je cherche un homme, un sans abris. Il s'appelle Tom, assez âgé, la cinquantaine. Il porte toujours un cache oreille gris sur la tête.
L’homme me regarde puis se tourne vers les deux femmes, révélant un air inquiet.
— Encore un ? demande l'une d'entre elles.
Une expression préoccupée s’installe subitement sur leur visage. Ce n'est pas la réaction à laquelle je m'attendais. L’homme laisse échapper un long soupir avant de se retourner vers moi.
— Aucune idée mon grand, mais ils sont beaucoup à manquer à l'appel ces derniers temps.
— Comment ça ?
L'homme s'abaisse un plus vers moi, avant que la femme ne le bouscule littéralement pour prendre sa place.
— C'est l'hiver, la plupart des familles ou des bénévoles ouvrent leurs portes durant cette période. Je suis certaine que votre ami reviendra dès que les températures seront devenues douces, déclare-t-elle.
Son regard reste figé au mien avec un sourire étrange et forcé marqué sur le visage. Son collègue à ses côtés hoche la tête pour acquiescer ses dires, visiblement confus d'en avoir trop révélé. Je percute que je n'en saurai pas plus. C'était inutile de me heurter à ces gens. Même s'ils savent quelque chose, ils ne prendront pas le risque de créer une panique dans la ville. Malgré tout, les mots de l'homme tournent dans ma caboche.
— Je vous remercie, Monsieur, Madame. Bon courage pour cette soirée.
Je m'éloigne tout en ramenant rapidement mes yeux vers l'homme qui sert un nouveau passant. Je ne sais pas vraiment pourquoi la femme m'observe toujours. Était-ce parce qu'elle avait peur que je revienne à la charge ? Était-ce sans raison - juste parce que ce que je leur avais demandé les perturbait autant que moi ? Bizarrement je devinais qu'ils en savaient plus qu’ils ne voulaient bien le montrer. Je peux le sentir dans chaque pas qui m'éloigne de ce stand, dans chaque bouffée d’air. À chaque instant, un mauvais pressentiment pèse dans ma poitrine. Dans quel pétrin s'est fourré Tom ?
Mes foulées me conduisent dans une autre ruelle, jusqu'à ce que la camionnette soit hors de ma vue. Cette constatation me soulage, retrouvant cette sensation de disparaître dans la foule. La foule court presque pour fuir les flocons de neige plus denses qui tombent sur le goudron. Pourtant mon regard s'accroche à une silhouette qui demeure à l'arrêt, contemplant le ciel. Un léger sourire fend mes lèvres avant de reconnaître cette personne. L'idée de la confronter me traverse rapidement l'esprit en me rapprochant de sa position. Cependant mon regard ne peut s'empêcher de la détailler, sa tenue, sa coiffure, elle semble sortie du lit. Serait-elle malade ? Cette question me fige un moment avant que ma colère ne reprenne le dessus. Même mal fichue ça n'empêche pas d'envoyer un texto pour prévenir de son absence ! Son attention se tourne vers moi et je distingue ses yeux embués. Habituellement j'aurais enlever mon sweat à capuche pour la recouvrir, mais pas cette fois. Cette fille s'est fichue de moi. Elle me devait des explications, et ses pleurs ne la sauveront pas.
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