Chapitre 7-Matt
Dépourvu de mon vélo, je demande à mon coloc de me déposer en ville. Je sens que cette situation va me prendre la tête. Jérémy m'a déjà proposé d'aller effectuer un tour du parc pour essayer de le retrouver. Le jour où il ne me sauvera pas de la merde celui-là. Les lampadaires éclairent encore le bitume quand on arrive. Leurs lumières luttent contre le brouillard matinal qui semble s'être imposé en quelques heures. On va peut-être l'avoir cette neige si souvent annoncée. Je salue mon ami qui reprend la route en étant klaxonné à cause de son arrêt trop long pour certains. Si seulement c'était possible de se garer sans payer. Une chose qui n'existe plus ici. Les bandes bleues ont envahi les trottoirs pour signaler leurs nouvelles réglementations. C'est pour ça que ma voiture est plus à Cass qu'à moi. Elle a le courage de supporter les bouchons, les chauffards et tout ce qui va avec. Même si c'est une vieille Renault cinq, elle en prend soin durant toutes les périodes scolaires. Au moins, je n'ai pas à m’inquiéter quand les vacances arrivent. Je retrouve mon sourire en pensant que les congés de février sont dans quatre jours. J'espère que le boss aura accepté ma requête, c'est ce qui a de plus pénible, d'être prévenu au dernier moment. Je ne peux pourtant blâmer Samaël, pour qu’un magasin fonctionne, ce n'est pas une simple affaire. Il doit trouver un remplaçant et bien souvent très peu veulent travailler pour nos salaires actuels. Le clocher sonne. Sept heures. Encore deux heures à attendre. J'effectue l'ouverture du Shop tous les matins sauf le mercredi. Avant j'avais mes rendez-vous avec le psy durant cette période. Et même si je n'y vais plus, mon contrat a été établi comme ça. Ce n'est pas une mauvaise chose en y réfléchissant. Je frotte mes mains qui s'engourdissent avec le froid, et les porte à ma bouche, j'observe les alentours. Mes pas me guident jusqu'à la ruelle du bas de ma rue. Avec l'augmentation vertigineuse du nombre de pauvres, la plupart se sont regroupés ici. L'ambiance change sans même le vouloir rien qu'en apercevant les premiers bidons qui sont posés sur le trottoir. Le feu crépite à l'intérieur et plusieurs silhouettes l'entourent en se massant les extrémités. Peut-être que quelqu'un aurait vu Tom ?
L'air est vivifiant ici, les odeurs des parties communes sont plus odorantes à cause de la masse de population qui squatte la zone. Pourtant, aucuns déchets n'envahit l'espace. Même si beaucoup de détritus sont visibles entre les grandes planches de carton et le grillage, chaque morceau appartient à quelqu'un. Ici c'est la loi de la récup. Il faut observer ce qu'ils fabriquent avec du simple papier mâché. Bien sûr tout n'est pas rose, le poids des mois assombrit certains esprits. L'idée de sortir d'ici disparaît, rendant la vie plus amère. L'alcool devient souvent destructeur pour ceux qui ont perdu espoir. Le moindre coût, c'est le vice le plus abordable et ça permet également de chasser la réelle froideur de ces températures glaciales. L'hiver est généralement la période où l'on déplore le plus de décès malgré les associations qui tournent dans le coin.
Je ne suis pas froussard, mais je peux sentir les poils de mes bras se redresser lorsque je passe les premiers espaces occupés. On m'épie sans un mot. Seule une femme blonde ose échanger un regard avant de ce détourner. Je ne suis pas le bienvenue, j'en ai bien conscience. Un chien aboie violemment, jugeant mon intrusion. Des bruits de verre résonnent à mes oreilles avant de percevoir une silhouette s'avancer vers moi. Une couverture recouvre cette silhouette masculine. Ses longs cheveux dépassent et une barbe charnue habille son visage. Je serais incapable de lui désigné une tranche d'âge.
— Qu'est ce que tu viens foutre ici ? demande-t-il d'une voix forte.
Ma mâchoire se serre et je lutte pour ne pas prendre la poudre d'escampette. L'homme se rapproche suffisamment pour que je distingue ses iris dans tous ces aspects sombres. Je n’affirmerais pas que j'y lie de la colère, mais plutôt de la méfiance. Ses pattes d'oie, son regard évasif, ça me redonne de l'assurance.
— Je cherche un ami.
Sa moustache s'élève me révélant un sourire moqueur.
— Un ami ? reprend-t-il. Tu crois vraiment qu'on a ça ici ?
Mes paupières s'abaissent. C'est vrai que je n'ai pas entrepris grand-chose pour Tom, à part lui servir un misérable café. Pourtant, nos discussions sur le trottoir du coffee shop me permettent de le croire. Je sais tout de lui, il m'a conté son histoire et je me suis livré également. Bizarrement, je trouve que nos échanges nous ont envoyé un instant loin de toutes ces merdes qui nous sont tombées dessus. Peut-être que je suis fou, mais je me suis attaché à notre relation et je pense que cela est réciproque.
—Tom. Il s'appelle Tom Fist.
J'insiste sur son nom de famille. Connaître l'identité entière d'un SDF est une marque de complicité indiscutable. Trop essaie d'oublier leurs anciennes identités pour que celle-ci vous rattrape en un seul mot.
— Tom, oui, réagit-t-il. Mais… Tu ne serais pas ce Matt du bar du centre ville ?
Entendre mon blason me réchauffe de l'intérieur. Visiblement, il parle de moi. Un rictus se dessinerait sur mon visage, si je n'étais pas si stressé de sa prochaine réponse.
— En effet. Vous l'avez aperçu récemment ?
Il semble réfléchir un court moment avant de secouer la tête.
—Non, c'est vrai que nous ne l'avons pas croisé depuis un petit moment.
Mes épaules s'abaissent tout comme l'espoir qui demeure dans cette communication. La déception doit se percevoir, il tente de me toucher. Étonné, je recule d’un pas ce qui a le mérite de l'arrêter. Plus par réflexe que par réel esquive. J'ai appris à anticiper les gestes de mes adversaires, c'est devenu inné. Pour cette fois, l'atmosphère s’alourdit de la même manière que je le présentais à mon arrivée.
— Je passerai le mot que tu le cherches, m'assure-t-il.
Je baragouine un remerciement, puis reprends le chemin du magasin. Je passe à peine les barbelés que j'ai l'impression de changer de monde. Les flocons de neige ont envahi le ciel, laissant une petite couche blanche recouvrir le paysage. J'adore les admirer. Ça me rappelle les Noël que j'ai pu passer avec Anastasia. Elle affectionnait cette fête. C'était pour elle sa propre renaissance. Elle répétait que c'était le meilleur moment de l'année pour montrer sa gratitude aux autres. Réexaminer sa place dans le monde et partager sa joie de vivre. Un peu comme si ça pouvait excuser notre comportement le restant de l’année. Même si la plupart évaluent des résolutions qui leur sont propres. Ana cherchait toujours des solutions pour changer l'univers tout entier. C'est ce que j'aimais le plus chez elle. Son audace, sa générosité et sa folie. Si elle savait ce que je venais d'accomplir, elle me soufflerait de ne pas abandonner. C'est une conviction qui m’insuffle le courage pour une fois depuis longtemps d'imaginer ma soirée sobre, à chercher mon ami. J'ose espérer que mon humeur ne se ternisse pas avant la pénombre.
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