Chapitre 6 - Ozalée

L’idée de rentrer à la maison est une bonne idéologie, du moins quand on oublie que j’habite chez ma grand-mère. Rien que de penser que je puisse l’inquiéter  me pousse à effectuer un demi-tour. Je m’en fiche qu’on me toise de travers ou que la foule rigole à mon passage. Je sers un peu plus mes louboutins contre moi et erre dans une ruelle. L’important est que je reviens la tête haute. Demain sera un autre jour. Lorsque j’emprunte la porte de la première boutique de luxe de la rue, le regard choqué du vendeur me dicte bien mon apparence épouvantable.

— Bonjour, je suis désolée de cet accoutrement, mais je suis sûre que vous pourrez m’arranger cela.
Le cœur serrer, je défais mon bracelet Sweet Alhambra en or jaune et le glisse sur le comptoir. Ce n’est pas très déontologique, mais le clearing été très vogue à Los Santos, là où je vivais avant. Un moyen pour les vendeurs de s'en mettre aussi plein la pense contrairement à une vente brute. S'il accepte mon offre, je suis certaine que cette forme de trèfle ne lui sera pas inconnue. Sa grimace se détend pour m’accorder un sourire forcé. Gagné.

— Vous avez de la chance de ne pas être venue aux heures de pointe. Mon patron vous aurait massacré même avec un tel bijou.

Il tend le bras vers le fond de la salle et hurle littéralement pour appeler son collègue qui se présente à mes côtés. Il est très grand et porte ses longs cheveux attachés en queue de cheval. Il dégage une prestance dans son costume deux-pièces que j’ai l’impression d’être toute petite.

— En bien mademoiselle, il semblerait que vous passez une mauvaise journée, s’exclame-t-elle. Vous permettez que je m’occupe de vous  ?

Mes jambes m’octroient une telle douleur que j’ai du mal à ne pas m’écrouler aux  pieds de ce jeune homme.  Le regard brouillé, je me contente d’un signe de tête positif.

— Entre là-dedans, m’ordonne -t-il en me désignant l’arrière-salle.

Je me redresse pour contempler la façade ou trône le panneau « réservé aux employés », en plus de ce tutoiement inopiné cela n’a rien d’accueillant. Le vendeur me prend la taille afin de me donner l’impulsion supplémentaire à passer cette porte. 

— Nous avons encore de l’eau chaude  ce matin. Une chance  !

Sur ces mots, il pointe du doigt un écriteau, qui comporte un bonhomme avec un micro sous une pompe de douche, dans un coin de la pièce. Mon cœur s’emballe. La peur s’infiltre doucement dans mes pores. La lumière du soleil se reflète de manière très désagréable sur le lambris imitation bois quand je pousse le dernier battant. La tension monte dans mon organisme et j’ai l’impression que je vais tourner de l’œil à tout instant, ne supportant plus cette pression insoutenable.

— Installez-vous, je vais chercher ce qu’il vous faut pour après !

Un soulagement non feint se grave sur mes traits quand à mes côtés se trouve une véritable douche italienne. Immédiatement, je ferme derrière moi.

Tu n’es qu’une idiote ! pesté-je contre moi-même.

Au départ, le scénario « du refuge dans un magasin » me paraissait comme un  compromis. Me changer et pouvoir rentrer sans devoir m’expliquer. Pourtant, je tremble de la tête aux pieds. Peut être parce que c'est ma première fois dans cette ville. Et sûrement la dernière ! Contrairement à avant, cette sensation de danger ne veut pas me quitter. Mon cerveau ne songe qu'à des hypothèses plus ou moins glauques. Personne ne sait que je suis ici. Ma mâchoire se serre à cette constatation. Je dois respirer et virer tous ces foutus films d’horreur que j’ai adorés mater pendant toute mon adolescence. J’ai payé assez cher pour une douche et une tenue, risquerait-il de perdre une future cliente qui se ramène avec son pesant d’or ? Personne ne connaît mon nom, donc aucun ne peut être informé de ma véritable situation. Peut-être vérifieront-ils si le bijou n’est pas volé, mais mis à part ça, rien ne peut m’arriver.

Respire ma grande, c’est juste une dure journée. Une put*ain de journée….

Malgré un moment d’hésitation, j’analyse un peu mieux ce petit emplacement. Le point d’eau prend les trois quarts de l’espace. Seuls un lavabo et un meuble bas trônent difficilement entre la paroi et le mur.  D’une main frêle, j’ouvre le mobilier et y découvre des serviettes et des produits de la supérette d’à côté. On néglige souvent que les ouvriers gagnent beaucoup moins que les marchandises qu’ils peuvent vendre. Je me munis de tout le nécessaire et me défais de mes habits mouillés. Une véritable délivrance quand l’eau chaude m’inonde. L’odeur des pins que dégage le shampoing n’est pas désagréable. Je libère mon esprit, je respire et tente d’oublier mes soucis du moment. Cette boule qui me plombe l’estomac. La vapeur a envahi tout l’espace lorsque je sors, j’attrape le tissu cotonné pour m’envelopper. La chevelure ruisselante, j’aperçois ma tenue posée au-dessus du battant, le tout soigneusement accroché  à un cintre. Un pull-over « the attico » et un jean « paige ». L’ensemble de sous-vêtements Victoria’s secret date un peu, je me souviens encore l’avoir découvert dans mes magazines, mais vu la qualité du reste, je ne peux pas être exigeante. Je suis assez surprise de l’exactitude des tailles, mais tout est parfait. Juste en une observation sommaire de la silhouette, on peut imaginer l’expérience qu’a ce magasin. Quelque part, ça me redonne confiance et la force nécessaire pour oser déverrouiller la serrure. Le battant grince légèrement avant que je risque de le pousser moi-même. Toutefois, ce sont des baskets qui sont posées là, dans le couloir. Je ne saurais expliquer ce bonheur de retrouver enfin des chaussures à mes pieds. Cette chaleur réconfortante et cette sensation d’aise qui se propagent dans tout mon corps.

— Bien, il semblerait que tout vous va à ravir !

Je reconnais immédiatement le réceptionniste. Ses cheveux blonds sont immanquables, tellement ils sont clairs, presque blancs. Et pourtant, il les porte bien avec ses taches de rousseurs et ses yeux noisette. Cela lui donne un côté mousse de lait saupoudré de chocolat. Bon Dieu, voilà que je compare des gens avec des boissons. Ce boulot aura-t-il réellement ma peau ?

— J’avais un doute sur les chaussures, mais j’ai pensé qu’après cette dure journée, des talons seraient de trop, continue-t-il en se rapprochant.
— Vous m’avez très bien analysée. Tout est absolument parfait.

Un sourire se fend enfin sur mon visage. La peur que je ressentais a disparu pour me laisser totalement abattue. La fatigue revient en fanfare. C’est à ce moment que je réalise que j’ai oublié mon déjeuner au shop. L’environnement m’empêche de réagir ouvertement. J’ai l’intime conviction que je suis déjà assez en situation de faiblesse devant des inconnus. Toutefois, mon organisme ne l’entend pas de cette oreille. Je sens mon corps penché vers l’avant. J’ai à peine conscience de mettre mes mains pour me protéger que je suis au sol. Le choc est rude. Ma tête frappe violemment à terre, ne laissant que le cri apeuré du petit blond emplir mes songes.
Je ne sais pas combien de temps je suis restée dans le noir totale, mais le réveil est brutal. La douleur dans mon crâne me pousse à gémir.

— Hé bien, vous revoilà, j’ai bien cru devoir appeler une ambulance.

Je peux distinguer deux silhouettes en face de moi. Visiblement, il a incité son collègue en renfort. 

— Je suis désolée, je n’ai rien avalé depuis ce matin.
— Eden, amène-la à la salle de repos, qu’elle se détende pendant le passage du patron. On verra ensuite.

Il n’y a rien à répondre, c'est très valorisant de se sentir comme un gros boulet. Niveau reprise en main et femme forte on peut me donner un zéro pointé. Le pire dans tout ça, c’est que je suis dans l’incapacité de riposter. Des gouttes de sueur envahissent mon visage et j’ai l’estomac dans les talons. Je suis même contrainte de retenir la nausée qui me menace quand Eden m’aide à me relever. Mon seul moment d'apaisement se produit quand je m'allonge dans leur canapé. Mon accompagnateur me tend un café que je n'ose pas refuser.

— Merci d'être si gentil avec moi.

Son sourire rehausse ses pommettes. Il paraît moins intimidant avec cet air jovial sur le visage.

— Faut pas t'inquiéter, Bart ne répétera rien au patron. Le boss ne s'intéresse qu'à la trésorerie alors quand il verra le chiffre de ton bijou, il s'occupera de rien d'autre, m'affirme-t-il.
— Je ne vais pas vous ennuyer de toute façon, je dois rentrer chez moi me reposer.

Je n'ai pas le temps de poser mon gobelet fumant que sa masse me surplombe les mains accrochées à sa taille.

— Vu ton état, mademoiselle. Hors de question qu'on te laisse partir. Je veux pas avoir la mort de quelqu'un sur la conscience, moi.

Mes yeux s'écarquillent d'étonnement. C'est pas parce que j'ai eu un malaise qu'il faut imaginer le pire quand même ! Toutefois, c'est avec insistance qu'il m'oblige à me rassoir et m'offre même une madeleine. Finalement, c'est Bart qui se ramène quelques minutes après, les mains remplies de pizza. Il semblerait que je n'aie pas beaucoup de marge de manœuvre aujourd'hui.

—  A notre cendrillon du jour ! ricane ce dernier en déposant ses présents sur la table basse.

Un ricanement éclot dans ma gorge. Au moins mon moral n'est plus en berne ou en badtrip. Autant en profiter. Je saisis l’une des parties et mords avec appétit. Des vibrations, presque imperceptibles, me détachent de ma contemplation alimentaire. C’est à ce moment que je peux percevoir ses ombres noires envahir ma vision tandis que ce téléphone se démène comme s'il voulait me réveiller. Mes compagnons ne me parlent plus et se contentent de me fixer sans réagir. La peur envahit de nouveau mes entrailles. Plus violente, plus pressante. Comme si j'avais touché l'épicentre de ma terreur qui me poussait à réagir il y a quelques heures. Avec un sanglot et une boule de douleur qui m’obstrue la gorge, j'essaie de me lever. Mes pieds dérapent sur le parquet alors que je me mets en mouvement pour quitter la pièce. Aucun, ne m’en empêche. C’est inutile dans le fond, moi-même je sens que je n’irai pas très loin. Ma lucidité me déserte en même temps que mon corps qui s’échoue, une seconde fois, dans le couloir.

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