Chapitre 5- Ozalée Jour 1


La peur. L'angoisse. Des sentiments néfastes qui annoncent un danger. Ils montrent nos faiblesses et nos limites. J'aimerais rester dans ma zone de confort et envoyer tout le reste au diable. Mais je ne peux pas effectuer ça, je n'évoluerai pas, je me contenterai de cette barrière de protection, sans réaliser qu'elle se referme sur moi. Oser de nouvelles choses c'est répondre oui à la vie. C'est dans cet état d'esprit que je pousse les portes du Coffee pour la seconde fois. Un sac plastique à la main pour mon repas du midi, j'essaie d'être discrète jusqu'au comptoir où il n'y a personne actuellement. Les tables sont pleines et les clients semblent agités ce matin.

— Vous avez une sonnette pour appeler si vous êtes pressée.

Je me retourne pour apercevoir un vieil homme me sourire. Assis à l'une des tables, il est accompagné par deux personnes avec lesquelles il joue une partie de cartes.

— Pas sûr qu'il vous entende, le jeune homme est dehors, m'annonce la femme.

— Dehors ? demandé-je surprise.

— Oui, reprend l'homme. C'est Tom qui n'est pas venu ce matin, ça inquiète beaucoup le gamin. Il est tellement gentil.

Je n'ai pas le temps de demander qui c'est que j'entends une porte claquer. Mon regard bascule vers la réception. Matt apparaît, les traits tirés. Pour un premier jour, il semblerait que le karma ne soit pas de mon côté. Un sourire timide sur le visage, je lui signale ma présence d'un signe de main.

— Ça va, Paul ? demande-t-il dans ma direction.

C'est le vieux monsieur qui lui répond d'un rire amical qu'il me tient compagnie.

— Et bien la demoiselle prendra l'habitude de passer par l'entrée de service la prochaine fois, me réprimande le serveur en s'éclipsant du comptoir.

Je serre les dents en hochant la tête. Je le suis à l'arrière, où je manque de lui rentrer dedans. Il n'est pas bien de s'arrêter à peine la porte passée.

— Votre casier est là. Le mini frigo au fond. Préparez-vous et on commence.

C'est à ce moment-là que je remarque que la pièce est si minuscule qu'en réalité, il n'a pas vraiment le choix. Ce n'est pas une arrière boutique, mais carrément un placard de réserve. Pourquoi le propriétaire a mis toutes ces étagères en fer qui surplombent l'espace ? J'essaie d'oublier ce mal-être qui s'infiltre dans ma peau en m'enfonçant dans cet espace clos. Je dépose mon repas, mets mon tablier et me lave les mains. Parée, je respire un bon coup et retourne derrière le comptoir. Matt s'attèle à servir les nouveaux clients qui viennent d'arriver.

— Est-ce que tu sais régler un moulin ?

Son regard se fixe sur moi. J'en conclus que c'est à moi qu'il parle malgré son tutoiement soudain. Le stress compresse ma poitrine, je ne sais pas quoi répondre. Je l'entends soupirer et il se détourne pour attraper un plateau qu'il me tend.

— Apporte les commandes, chaque table possède son numéro. Un post-it est collé au mur, mais essaye de les mémoriser, ça te facilitera la tâche quand tu seras toute seule. Tiens, deux expressos pour la quatre, dépêche-toi, au lieu de rester planter là.

Déstabilisée, j'écoute attentivement ses informations aussi vite qu'il les débite. Je me retrouve au milieu de la pièce, plateau en main, à esquiver les clients en cherchant le bon numéro. Mon air affolé est si perceptible que c'est Paul et Mireille, sa compagne de poker, qui m'adressent des signes pour me montrer la table en question. En quelques minutes, les allers-retours s'enchaînent et j'en ai le vertige arrivée au comptoir.

—Est-ce que ça va ? me demande Matt.

Lui avouer que je n'ai pas mangé ce matin serait bien ma pire erreur. Pourtant, à cinq heures du matin, la bouche pâteuse, l'idée même de grignoter quelque chose me donnait la nausée. Jamais je n'aurais cru, en regardant ce petit bar, que se serait aussi intense. Nous sommes pourtant deux. Comment je vais m'en sortir toute seule ?

— La prochaine fois, évite de mettre ce genre de chaussures, tu vas finir avec une entorse, juge-t-il.

Je regarde mes Louboutins en grimaçant. Non pas que j'ai mal aux pieds, mais c'est plus parce qu'ils sont dans un sale état. Tout comme mon chemisier qui traduit mes pas trop rapides, mes virages trop serrés, en étant aussi tâché que mon tablier. Je le laisse mettre ses deux nossa late remplis à ras bord sur le plateau. Rien qu'à les observer, je savais parfaitement que ses noix de pécan ou même cette mousse de lait finiraient par se renverser.

D'un talon décidé, j'enlève mes chaussures.

Qui aurait cru que je commencerais ma journée avec un haut trempé, et mes orteils vernis à découvert ? Pas l'armoire à glace qui me sert de chef en tout cas. Ses yeux écarquillés accompagnent le rire de quelques clients qui m'applaudissent à mon passage.

J'anime au moins la salle. Je dépose les commandes aux deux hommes qui attendent en me reluquant, un sourire salace au visage. Mon cœur cogne dans ma poitrine tandis que mes mains sont figées contre mon réceptacle. Je n'ai pas le temps de réagir quand il avance une main vers moi. Son geste est stoppé dans un bruit mat. C'est à ce moment que je perçois Matt retenir le poignet du consommateur. Les sourcils froncés, sa mine fermée me déclenche un frisson.

— Retourne à l'arrière.

Sa voix brute m'incite à hocher la tête sans demander mon reste. Mes jambes tremblent tandis que je passe entre les allées.

— Ça va, ricane le client. Je voulais juste récupérer mes noix de pécan, c'est mon droit non ?

Je mords ma lèvre devant cette réflexion moqueuse. J'ai bien conscience de ne pas être la serveuse du siècle pourtant, je ne peux pas m'empêcher de prendre cette réflexion à cœur. Inconsciemment, j'attends la réponse de Matt, mais elle n'est pas verbale. Les chaises grincent, la clochette de l'entrée retentit et un hurlement surpris suit tout ce joli vacarme. Interloquée, je ne peux pas m'empêcher de me retourner pour apercevoir Matt mettre ce type dehors avec une telle facilité que ça me donnerait presque le sourire si je n'étais pas si tétanisée par la situation. Je finis par courir dans la réserve en sentant des larmes chaudes inonder mes joues. Finalement, c'est peut-être mon père qui avait raison. Je ne suis pas prête pour ce monde. 

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