Chapitre 4-Ozalée Lui.

L'idée de n'avoir besoin de personne est souvent une utopie. On a toujours besoin de ficelles, mais j'essaie de donner le meilleur de moi-même. L'esprit requinqué, je passe le portillon et signale mon arrivée à ma grand-mère. Seulement, mon sourire s'efface quand je reconnais cette carrure qui se trouve à sa place.

— Bonjour, petite souris. 

Mon père est face à moi, les bras croisés. Il sait que j'ai horreur de ce diminutif, mais ça ne l'empêche pas de l'utiliser dès qu'il le souhaite. Il m'écoutera quand moi-même je deviendrai obéissante. Autant dire que je m'y suis vite habituée.

—Comment tu m'as trouvée ? ragé-je.

Je savais pertinemment que jamais sa mère ne m'aurait trahie. Sa maison est un havre de paix où elle refuse absolument toutes les querelles que mon paternel peut ramener.

— Tu croyais vraiment pouvoir aller dans une entreprise comme Eventec sans qu'ils me consultent au préalable ?

Je serre les dents. Pourquoi a-t-il fallu que l'homme qui m'a donné la vie possède une entreprise de renommée mondiale ? Ses marchés sur les assurances sont aussi détestables que lui.

Je pose les clés sur le meuble d'entrée et contourne la petite table en chêne. Cette table a beaucoup d'importance pour ma mamie. Elle a du vécu. Elle y a vu grandir ses enfants, ses petits enfants. Pour moi, c'est surtout celle où l'on échange nos meilleures tactiques pour gagner au poker ou qu'elle m'apprend le nom des différentes plantes qu'elle cultive dans son jardin. Le napperon en son centre dispose toujours des deux télécommandes de la télé qui se trouvent à sa droite. Tout a un endroit défini, une place qui lui est attribué. Le seul objet mouvant ici, c'est moi. Contrairement à mes frères, je ne me suis jamais pliée aux règles. Je n'ai pas pu suivre les directives qu'on m'a données. J'avance toujours contre vents et marées. C'est moi, mon caractère. Ma grand-mère, elle, l'a bien compris. Elle m'a poussé à apprendre par cœur chaque parcelle de la maison. Je sais précisément où se trouve chacun des objets qu'elle possède. Toutefois, quand elle m'a créé mon espace, tout a changé. C'est ma parenthèse, là où elle ne regarde pas. Elle me laisse avancer à mon rythme. C'est la seule personne qui cherche vraiment à me comprendre dans cette famille. D'ailleurs, si elle n'est pas présente actuellement, c'est qu'elle s'est réfugiée dans sa chambre. Quand elle est contre quelque chose, elle le montre à sa manière. Crier avec mon père ne sert à rien, il n'écoute personne.

— Ce n'est pas grave. De toute façon, je n'irai pas là-bas.

Mon ton, calme et supérieur, l'énerve déjà. Sa mâchoire se contracte alors qu'il me suit du regard.

— Tu as changé d'avis ? Tu as décidé de rentrer ?

Je m'arrête et me tourne vers lui. Mon paternel a un visage très marqué. Le poids des années y est certainement pour quelque chose, mais sa mine contrariée le quitte tellement rarement que j'ai le sentiment de l'avoir toujours connu comme ça. Ses cheveux courts noirs n'arrangent pas le bonhomme qui vêtu de son costume ressemble selon moi plus à un croque-mort qu'à un homme d'entreprise. Comme s'il était resté bloqué depuis l'enterrement de maman. 

— Absolument pas, j'ai trouvé autre chose, c'est tout !
— Vraiment ?

Son regard glacial s'ancre au mien. Je sais qu'il me défie. Il aimerait que je revienne dans le rang. Que je rentre gentiment à la maison, que je reprenne mes études, qu'il a choisies, et que je souris à l'idée de travailler dans sa boîte. Seulement, pianoter derrière un ordi et me cacher derrière des tonnes de paperasse ce n'est pas pour moi. J'ai besoin de plus, beaucoup plus. Certes, je ne sais pas encore précisément ce que je veux entreprendre de ma vie. Mais ce n'est pas en restant dans cette voie ferrée que j'arriverai à trouver mon propre quai. Tant pis si je dois créer des turbulences ou renoncer à mes avantages durant mon voyage. J'en ai besoin pour me sentir épanouie. Être pleinement moi. Une chose qu'il ne comprendra jamais.

— Tout à fait, papa. Je vais être indépendante financièrement et vivre ma vie.

Son sourcil s'élève, un sourire au coin des lèvres.

— Sais-tu seulement combien tu dépenses par mois ? J'ignore ce que tu as pu trouver, mais tes habitudes de petite fille capricieuse ne seront plus les mêmes sans moi. Tu peux dire au revoir à Gucci, Moncler ou même à Louis Vuitton.

Je ferme les paupières quelques secondes. J'essaie surtout de m'assurer que son allusion de fille bourgeoise me concernant m'effleure sans trop de dégâts. Est-ce mal de prendre goût à certains privilèges lorsqu'on nous impose un train de vie ? La mode est ce qui m'a permis de tenir le cap dans mes études. Me sentir égale et à ma place parmi les gosses friqués qui peuplaient ma classe. Les catalogues de marques sont devenus très vite une obsession, un moyen d'avoir des échanges enfin intéressants avec les autres. Mais bien sûr, cela ne sont que des lubies de luxe à ses yeux.

— Je suis plutôt surprise de constater que tu connais tous ces noms, papa. Il paraît évident qu'ils apparaissent trop souvent sur ton compte bancaire.

Mon ton hautain, à la limite de la désinvolture, l'en rage. Ses poings se referment avec agressivité. Il n'a jamais levé la main sur moi. Dieu sait pourtant que je l'aurais mérité quelques fois. Mais pas là. Pas quand j'essaie de savoir où est ma place. Au moment où, je quitte enfin le nid pour m'envoler. Il serait temps à vingt et un ans. Mes frères ont quitté la maison bien plus tôt. Cependant, ils ont toujours rouler dans les traces qui les attendaient. Les hors-pistes ne m'ont jamais effrayé, au grand dam de Karl, mon paternel.

— Tu peux dire ce que tu veux papa, ma décision est prise. Et tu ne peux rien entreprendre pour m'en empêcher.
— Si tu choisis cette voie, petite souris, je t'interdis de revenir pleurer sous mon toit. Et ne mêle pas ma mère à tes histoires. C'est compris ?

Le dos droit, je hoche la tête. Hors de question de montrer ma vulnérabilité face à lui. Je leur prouverai qu'ils ont tort, il faut qu'ils voient de quoi je suis capable. Ma réaction n'est pas celle qu'il espérait, mais aussi digne qu'il le peut, il se détourne pour claquer derrière lui la porte d'entrée. J'observe sa silhouette passer devant la baie vitrée, puis perçois ma grand-mère dans l'embouchure de la cuisine. D'un geste presque maternelle, Marie m'ouvre les bras. Je ne perds pas une seule seconde de plus pour m'élancer et accepter son étreinte. Tandis que mes larmes s'échouent sur sa robe en fleurs, elle me caresse les cheveux en me rassurant que tout va bien se passer.

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