Chapitre 3- Ozalée Toi.
Je ne saurais dire ce qui m'est arrivé depuis ce matin, je suis congelée. La tête dans mon écharpe, j'ai avancé tel un automate en oubliant les instructions que j'avais reçues par ma grand-mère avant de partir. Si bien, que je suis perdue. Mon entretien est dans quelques minutes et je ne connais personne pour me renseigner. Les vendeurs hurlent autour de moi pour attirer les clients. L'idée de demander mon chemin me pousse à hésiter jusqu'à percevoir un homme bousculer un plus jeune qui refuse poliment sa marchandise. J'aurais certainement plus de chance dans un magasin, mais l'heure avancée ne m'aide guère. La plupart sont des boutiques de luxe, et maintenant que mes parents m'ont coupé les vivres, elles me sont devenues hors de prix. Un frisson d'angoisse me parcourt l'échine, puis je secoue la tête. Je dois être forte. Si j'abandonne au premier obstacle sur ma route, c'est comme avouer qu'ils avaient raison. Les sourcils froncés, je traverse la rue et m'émerveille devant un Coffee shop. Un café, voilà ce qui est dans mes moyens !
Je pousse de toutes mes forces la porte d'entrée. La clochette au-dessus de ma tête résonne pour signaler ma présence. Je m'arrête, analysant le regard des gens sur ma carcasse. Les murs jaunes sont d'un goût esthétique particulier, mais chacun reste le museau devant son gobelet. Mon nez rouge, ma crinière en bataille, ne semblent déranger personne, une chance. Confiante, je me dirige vers le comptoir. Un jeune homme s'y trouve. J'ai un pas de recul en le détaillant. Il a l'air de tout, sauf d'un serveur. Ses cheveux châtains sont courts sur les côtés tandis qu'il possède une barbe de quelques jours. Un aspect négligé qui n'arrange rien au petit tablier de l'enseigne qui se retrouve déformé face à la carrure du bonhomme. Visiblement, il est seul à tenir cet endroit. En même temps, il faudrait être fou pour essayer de braquer une armoire à glace pareille. Lors de mon approche, il me sourit. Ce qui me met mal à l'aise.
- Bonjour, mademoiselle. Que puis-je vous servir ?
- Heu, le moins cher que vous avez, si possible.
Ma voix hésitante, me force à me pincer les lèvres. Le malaise s'amplifie quand je l'observe me détailler avec intensité.
- À vrai dire, je ne suis pas vraiment là pour boire, me justifié-je.
Son menton s'élève, un rictus en coin.
- Je vois, c'est plus compréhensible.
Son ton catégorique me touche. Interloquée, je me mets sur la défensive.
- Pardon ?
- Sans vouloir vous manquer de respect, vous êtes plutôt chic, et vos bijoux semblent coûter plus cher que mon salaire mensuel.
Instinctivement, je cache mon bracelet avec le revers de ma manche. Un léger ricanement passe ses lèvres et il se retourne pour s'atteler à ses machines.
- Un café allongé. Quatre-vingt-dix centimes, s'il vous plaît.
Je pose mon sac sur le comptoir. Je sors mes feuilles pour attraper mon porte-monnaie.
- Vous recherchez un emploi ?
Je relève la tête pour le surprendre en train de lire un de mes CV. D'un geste brusque, je lui reprends.
- Ça ne vous regarde pas ! m'exclamé-je furibonde.
J'avais oublié à quel point les gens pouvaient être gonflés. D'abord il me juge et maintenant il fouille dans mes affaires.
- Visiblement vous êtes sans gêne ! hurlé-je.
- Oh, ça va, on se calme, me lance-t-il en levant les mains.
Les clients derrière moi réagissent. Alors que je pense qu'ils viennent m'aider, c'est à ce Matt qu'ils s'adressent pour savoir s'il se porte bien. C'est le monde à l'envers. À bout de nerfs, quand l'un d'eux ose poser ses doigts sur moi, mon réflexe est immédiat et ma paume s'aplatit sur son visage. Ce dernier, surpris, en tombe sur les fesses, quelques chaises se trouvent à terre. Consciente de mon geste, je m'excuse directement, même si cet homme barbu me regarde d'un air mauvais. Visiblement, se retrouver au tapis par une dame a atteint son ego.
Le serveur l'aide à se relever et lui offre un café. Immobile, je mets un temps à me retourner et refourguer le tout dans mon sac. L'horloge au-dessus de moi m'indique que mon rendez-vous est déjà passé. J'en soupire, tout ça pour rien. J'allais déguerpir quand Matt revient vers moi.
- Vous ne l'avez pas raté, me souffle-t-il.
Ses traits ne semblent pas en colère, je constate même qu'il se retient de rire. C'est étrange en tenant compte du nombre de clients qui sont partis vu le tintamarre que j'ai provoqué.
- Self-défense, réponds-je en rougissant. Je suis désolée, quand je suis stressée, je ne réfléchis pas beaucoup.
- Si vous réfléchissez le reste du temps, ça compense.
Ses dents blanches s'alignent face à sa connerie.
- Vous êtes taquin, je commence à vous cerner, monsieur Matt.
- Monsieur Matt, reprend-il, j'aime bien, approuve-t-il moqueur. Vous devriez rajouter un don de psychologie sur votre CV, Mademoiselle Le Fay.
Surprise d'entendre mon nom, mes yeux s'écarquillent en réalisant que tout est écrit sur mon curriculum vitæ. Je sens mes joues s'échauffer un peu plus, sans réussir à m'énerver. C'est assez étrange.
- Et vous, fouineur professionnel, le toisé-je du regard.
Son sourire s'agrandit.
- C'est qu'on a besoin d'une personne pour le service du jour, alors je croyais que vous veniez pour ça.
Pour appuyer ses paroles, il me pointe l'affiche qui est collée sur la vitrine des viennoiseries. « Recherche jeune serveur (-se) de 9h à 14h, du lundi au vendredi. » Mon cœur se compresse, me forçant à prendre de l'air. Jamais je ne me suis sentie aussi ridicule.
- Je vais devoir filer, mais si vous l'envisagez, je peux glisser votre candidature sur le bureau du patron.
Sa proposition m'étonne. Après tout ce qui s'est déroulé, il souhaite toujours m'aider ? Je l'observe méfiante.
- C'est encore l'une de vos blagues ?
Un jeune homme nous rejoint et serre la main du serveur en me saluant. Je lui réponds d'une voix basse, surprise de cette interruption. Le soleil tape dans mon dos, me spécifiant que la gelée du matin est passée. Je jette un nouveau coup d'œil à la pendule qui m'indique huit heures et demie. Ma grand-mère doit sûrement déjà s'inquiéter. Je serre les dents, avant de constater que les deux hommes sont derrière le comptoir, ils s'échangent leurs tabliers. Matt me sourit et bizarrement cela me plait bien.
- C'est Ozalée Le Fay, peut-être ta remplaçante, lance-t-il à son coéquipier.
J'en soupire, en posant mon sac sur l'une des tables. Après tout, qu'est-ce que j'ai à perdre ? Une feuille à la main, je m'avance alors que Matt sort en trombe de la pièce arrière. Il s'arrête pile à quelques millimètres de moi.
- Ne pas se mettre dans les allées de passage, mademoiselle, enchaîne-t-il sans bouger.
Je recule en lui tendant mon cv.
- Donnez ça à Fil, il est au courant. On se verra certainement demain, finit-il en m'adressant un clin d'œil.
Il emprunte la porte, le pas pressé, sans un regard en arrière. Je me surprends à sourire à l'idée de retrouver cet étrange personnage.
-Ozalée, c'est ça ? reprend son collègue qui apparaît.
La mine déterminée, j'acquiesce. Au final, j'aurai sûrement une bonne nouvelle à annoncer en rentrant chez moi.
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