Chapitre 14- Matt

Je tente de rester calme, malgré mon excitation. C'est le grand jour et les rayons du soleil, très haut dans le ciel, me frappent la nuque comme si j'avais déjà atteint la scène. Je me suis tellement entraîné pour ça. Au fond de moi je sais que je suis près. Les freins de la voiture émettent leurs habituelles plaintes, un indice indéniable de l’usure de cette dernière. Avec le nombre de fois , qu'Ana m'emmène à mes matchs, ce bruit est devenu routinier et n'a plus rien d'inquiétant. Le moteur surchauffe même parfois et l’aiguille de l’indicateur de température du liquide de refroidissement tangue comme une balle de ping-pong. On s'accorde souvent un temps de trajet supplémentaire dans nos calculs pour parer à ses désagréments. Actuellement les réparations sont trop coûteuses, mais si je gagne on pourra régler tout ça. Ça me donne de la niark supplémentaire. Mon regard explore cette forêt, le long d'une petite route de campagne, sans réellement la reconnaître. Où sommes- nous ? Pourvu que nous ne soyons pas perdus. Le goût qui se distingue dans ma bouche ne me plais pas du tout. Je le connais mais il n'a aucun raccord avec la situation actuelle. Pourtant l'amer du fer se prononce de plus en plus sur ma langue, tel après une grosse séance d'entraînement. Perturbé, j'ose un regard vers ma conductrice.  C'est à ce moment qu'un éclair de douleur me traverse la jambe gauche, me forçant à me retenir au tableau de bord. Tout devient confus, le paysage s'effrite devant mes yeux. Le bruit de la taule qui se fracasse et s'arrache est écœurant. Mon corps est encore une fois, durement projeté vers l'avant mais reste retenu par la ceinture de sécurité tandis que le corps de ma compagne éclate contre le pare-brise avec une telle facilité qu'on pourrait croire qu'elle vole. C'est pourtant là que sa main m'agrippe fermement en arrêtant sa route. Paralysé j'observe sa main ensanglantée s'accrocher à mon t-shirt de toutes de ses forces. Elle me demande, me supplie, presque, de la regarder. Ses hurlements finissent par me vriller les tympans alors que je m'efforce à garder les yeux fermés.
-Matt, regarde ce que tu m'as fait !

Le manque d'air me force à m'asseoir et bloque de justesse le cri d'effroi dans mes cordes vocales. La main sur ma poitrine, je tente de calmer mon rythme cardiaque. Un cauchemar, ce n'était qu'un mauvais rêve. Ruisselant de sueur, mes pupilles s'habitue doucement à la pénombre pour reconnaître ma chambre d'ado. Ma couette au sol, j'effectue un effort qui me paraît surhumain pour la rattraper.
Les crampes, la bouche pâteuse, je ne rêve que de me rendormir et pourtant, ce genre de songe est suffisant pour m'en dissuader. J'ai pourtant l'habitude de ses mésaventures, à chaque sevrage elle me poursuit. Bien loin des doux rêves lorsque mon sang est imbibé d'alcool. Mon âme meurtrie me reproduit son accident de différente manière, alors que je n'étais pas sur place quand cela c'est produit. Un remord trop profond j'imagine. On ajoute le pichet de culpabilité et j'obtiens un scénario horrifique à la demande. Le plus compliqué c'est de ne pas être chez moi. Je sais très bien que si j'émets du bruit ma mère va rappliquer. L'idée qu'elle s'inquiète est suffisante pour me contraindre à rester dans mon pieu. Je ne me vois pas comme un alcoolique, l'idée même de boire au réveil me paraît inconcevable. Je sais pourquoi je bois et quand ça marche. Malgré tout, quand j'observe ma main tremblante, j'assume de mettre mon corps à rude épreuve. Pendant une seconde, mon âme vacille dans la nuit. Ma tête se repose lourdement sur mon oreiller laissant les dernières heures m'échapper.
Ce n'est que les faibles rayons du soleil qui m'aident à rouvrir les paupières. Le regard vitreux. Ouaté. Incertain. Il ne fixe rien ni personne en particulier, il ne vagabonde pas non plus, il n’a même pas le courage de se poser sur le miroir lorsque j'atteins ma salle de bain. Mes mains plongent dans l'eau tiède et s'écrase sur mon visage pour laver cette apparence que je déteste. Mes paupières sont empesées et se hissent à mi-hauteur. Un regard irrésolu, teinté de cette brume épaisse qui me prend enfin pour cible. Un jour. Une nuit. Le pire n'est pas d'avoir les idées claires, c'est de se les prendre en pleine poire, de réaliser réellement l'instant présent. Aujourd'hui allait être compliqué, mon être lui-même me suppliait déjà de me cacher dans un coin et ne plus en sortir. Cette douleur cuisante qui me remontait dans la gorge sans même avoir bu. J'enfile mes fringues et me force à descendre. J'avais l'idée que la présence de ma mère me remplissait suffisamment l'esprit pour oublier mes démons. C'était sans compter sur ce regard.
Je l’ai senti glisser sur moi, érafler ma conscience. Un œil effrayé, attristé. Le même qui m'avait accompagné des semaines après ma tentative de suicide.
— Si c'est trop dur tu n'es pas obligé d'y aller, me suggère-t-elle avant même de me saluer.
Elle n'a pas besoin de m'expliquer de quoi elle parle. Pourtant j'aurai pu hésiter avec notre sortie de prévu et pourtant son intonation de voix tremblante ne laisse pas le moindre doute. Elle même stress pour moi car elle sait qu'elle ne pourra être présente.
— Ne t'inquiète pas maman, la dernière fois que j'ai parlé avec monsieur Hope, il semblait content de me revoir.
Ce qui, connaissant cet homme, est plutôt rare. Je pense donc que c'est un bon présage. Du moins, je l'espère.
J'ai l'impression qu'elle veut ajouter quelque chose, mais elle se contente d'opiner. Elle s'installe à table dans la configuration habituelle : Elle assise en face de moi, les deux mains sous le menton attendant patiemment que je me livre et moi qui la regarde comme si j'avais encore sept ans, les yeux plantés dans les siens, cherchant comment faire passer rapidement cette discussion.
– Je vais très bien, Maman, j'ai juste besoin de faire le point, lancé-je le plus fermement possible.
– Alors je suis ravi que tu aies pensé à nous, fiston !
Je me retourne, surpris vers cette voix masculine derrière mon dos. Cet homme au cheveu grisonnant, son corps d'athlète, ses yeux bleutés... je reste muet tandis que mon ex-amant de ma génitrice m'observe, un grand sourire aux lèvres.
– Depuis quand ? demandé-je en me tournant vers ma mère.
– Ta mère et moi, on s'est remis ensemble pour Noël, un joli cadeau que je te dois, mon garçon.
Je me lève pour le saluer, Henri et moi se serrons dans les bras en frappant à plusieurs reprises dans le dos de l'autre, heureux de se revoir. En me voyant grimacer, un sourire moqueur éclaire son visage.
– Eh bien, c'est mou tout ça ! La vie d'étudiant te ramollit tant que ça ?
Je cogne mon épaule contre la sienne et continue à le taquiner.
– Disons que je n'ai plus de coach pour me pourrir la vie.
– Que c'est dit avec amour, n'est-ce pas, chérie ?
On éclate de rire tous les trois, quand mon téléphone se met à sonner. Tandis que ma mère va se lover dans les bras d'Henri, j'en profite pour y jeter rapidement un coup d'œil pour constater que ma session whatsapp ouverte.
" Tu es vraiment un cachotier ! Tu aurais pu me dire que tu avais un crush ! " 
Mes sourcils se froncent tandis que l'angoisse augmente dans ma poitrine. Le message de Cass semble assurer, et l'idée qu'elle est parler à Ozalée au saloon m'interpelle.  C'est marginalement que je lui envoie seulement trois points d'interrogation à la suite. J'attends, passant mon pouce sur l'écran un nouveau message en espérant qu'elle argumente. Ma mère lance la machine à expresso, tandis que ma jambe tremble de plus belle sous la table.
C'est sans un bruit que mon écran s'éclaire pour me signaler une image en téléchargement. Toutes les couleurs que la matinée avait avalées apparaissent sur mes joues. Je me garde une seconde pour inspirer, avant de cliquer dessus pourtant la pression que j'ai accumulé redescend d'un coup en analysant la fille rousse qui se trouve à côté de ma meilleure amie. Je mets plusieurs secondes à me remémorer la fille de la cour mais ma bouche s'assèche quand je reconnais le mur derrière eux. La colère monte en moi comme une cocotte minute sans en saisir réellement la raison. J'entends Henri l'interpeller mais pour le moment j'ai juste besoin d'air. Je m'excuse et débarrasse le plancher sous l'incompréhension totale de mes vieux.

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