Chapitre 13-Matt

Je ne savais pas comment analyser toutes ses merdes qui m'arrivent en si peu de temps. C'est comme si mon instinct était brouillé. J'ai cru qu'on allait me refouler au commissariat et au lieu de ça j'ai eu le droit à un interrogatoire corsé de pourquoi je m'intéressais à un sdf. Je savais que mettre une personne de l'ombre dans la lumière n'était pas aisée, mais pas au point d’être dévisagé. J'avais ce sentiment qu'ils me prenaient pour un criminel qui venait exposer un quelconque trophée, je m'y attendais pas. Chamboulé, j'ai dévalé la rue pour retrouver cet endroit convivial qu'est le shop. J'ai retrouvé Ozalée. Sa fragilité est une écume que j'aime apaisée. Je prends plaisir à être fort devant ses yeux. C'est un effet nouveau. J'ai toujours dû me montrer à la hauteur, combattre pour qu'on me prenne au sérieux. Avec Ana, j'ai toujours eu cette peur viscérale que mon âge me rattrape et qu'elle me prenne pour le gamin que j'étais. Lutter est le mot même de ma vie. Pourtant, quand je suis avec Ozalée c'est autre chose. Une épice qu'on ajoute à un plat, des éclats de chocolat qu'on rajoute sur un cappuccino… Un élément simple et léger. Une parenthèse où j'oublie les démons de mon existence. Alors pourquoi j'ai si peur ? Son baiser m'a autant surpris que tétanisé. Au volant de ma Renault 5, mon cœur bat encore la chamade au point d'en avoir des sueurs.  Si j'analyse les faits, voilà trente minutes que je suis là, à me contenir l'idée d'y retourner. Étouffer ce sentiment qu'elle a besoin de moi. C'est quoi mon put' de problème ? Suis-je atteint du syndrome du super-héros ou cette fille m'a retourné la tête ?  Je soupire en prenant appuie sur l'appui tête. Il faut que je me ressaisisse, que je ne confonde pas tout. La mâchoire serrée, le point agrippant le volant, je démarre le moteur. Prendre le large m'a rarement parue aussi nécessaire. Il est temps de retrouver mes repères.
Je crapahute sur une route accidentée depuis deux heures. La dernière fois que j'ai parlé à ma mère, c'était pour annuler ma venue pendant les vacances de Noël. La déception que j'ai ressenti dans son ton de voix ne m'avait guère perturbé à cette époque. J'étais pas près et le plus triste c'est de ne pas savoir pourquoi je me sens plus confiant aujourd'hui. Cette inhalation soudaine qui m'a poussé à accepter de revoir mes ex beau parents, non plus. J'appuie légèrement sur l'accélérateur de peur d'effectuer un demi-tour au dernier moment et un nid de poule secoue le véhicule.  La demeure dans laquelle j'ai grandi est en pleine campagne, les bords de route sont également enneigés. Je me gare à quelques mètres et je lance un regard à ma petite maison où la façade dévoile de nouvelles fissures. La sensation d'insouciance s'efface bien vite devant ce rappel à la réalité. Je retiens mon souffle une seconde. La fatigue, la tristesse, les regrets. La honte, surtout me bloque un moment sur place. Même si je vivais aujourd'hui dans un appartement grâce à mes anciens matchs j'oubliais parfois que cet argent aurait pu améliorer les conditions de vie de ma génitrice. La maison familiale n'était pas insalubre, mais les années l'avaient marqué et les problèmes d'aujourd'hui ne devaient plus se restreindre qu'au chauffe-eau. L'envie d'être utile me donne l'élan qu'il me faut. Je referme la portière d’un geste volontaire, sur le ciel de cette fin de journée, qui s’embrase de toutes parts. En quelques pas, je frappe à la porte qui ne tarde pas à s'ouvrir.  Je reconnais directement cette tête recouverte d'un foulard bleu ciel. Ses pupilles azur se relèvent vers moi et elle a un temps d’arrêt, figée, puis, comme si un voile se retirait de son regard, un sourire éclaire son visage. Ma mère explose en sanglots et me prend dans ses bras.
— Matt, bon dieu. Mon garçon, tu es enfin là.
C'est vrai que j'ai pris mon temps, mais je n'avais pas évoqué d'heure de mon arrivée. J'imagine qu'elle craignait que je change d'avis encore une fois. Je ne peux pas lui en vouloir. La gardant contre moi un moment, nous rentrons au chaud et je finis par m'installer au comptoir de la cuisine. Les meubles en bois envahissent toujours les murs. Ils n’était plus de première jeunesse et certaines portes de placard brinquebalaient dans le vide, venant par endroits occulter la crédence fleurie qui apporte une touche de couleur et de fraîcheur démodée à la cuisine. L’évier en inox rivalise d’ancienneté avec le vieux robot mixeur Moulinex à côté et ses torchons brodés indémodables. Malgré tout, rien n’est vétuste, c'est juste que rien n'a vraiment bougé, comme si tout était figé dans le temps. La table ovale à côté du bahut prend toujours tout l'espace et les cadres qui la surplombent sont toujours mes photos de classe de ma primaire. Seuls mes trophées brillent d'un fait nouveau, discrètement, au fond, sous l'escalier. Une pression au niveau de la gorge m'agrippe jusqu'à qu'une tasse viennent rappeler mon attention.
—Noir, comme d'habitude ? me demande-t-elle avec un grand sourire.
S'il y a bien un café que je ne peux pas refuser, c'est le sien. Sa cafetière ancienne avec des filtres en papier ne rivalise même pas avec le shoop. Je sais pourtant qu'elle a un secret pour sa préparation, mais jamais elle ne l'avouera. Un soupir de satisfaction traverse mes lèvres dès la première gorgée.
—Ton café est toujours une merveille, maman.
Les rides aux coins de ses yeux se multiplient, ravie de mon compliment.
— J'espère que tu pourras le déguster longtemps cette fois-ci, me demande-t-elle, le souci imprimé sur ses traits.
Je sens mon cœur pulser dans ma poitrine. Une peur invisible m'empêche de continuer à la regarder. La culpabilité me cloue au tabouret me rappelant toute la souffrance que je lui inflige.
—Le temps de mes congés.
La main de ma génitrice rejoint la mienne, me serrant de toute sa force. L'espoir de mes mots résonne dans toute la pièce tandis que mon corps semble terriblement lourd et épuisé.
—Tu as déjà été la voir ?
Un diminutif qui n'a pas besoin de définition. Il a toujours eu une tonalité particulière quand il est dans sa bouche. En nous regardant dans les yeux, elle atténue cette sensation qui me percute les entrailles. J'en pleurerai. D'envie ou de souffrance, je ne sais pas très bien. Je détourne simplement la tête et elle propose directement de m'accompagner demain matin. Une sensation prend vie au creux de son ventre, comme la caresse d’une plume, subtile et rassurante, avant de se propager avec davantage de rigueur dans mon estomac, de dilater mon cœur, mes pupilles. L'envie de boire un truc plus fort.
— Je te remercie maman, on verra demain, d'accord ?
— Bien sûr, tu devrais aller te reposer. Tu connais le chemin ! s’émerveille-t-elle, les yeux ronds dans une exclamation non feinte.
J'en ressens un élan d’amour qui m'étreint immédiatement le cœur, si fort qu’il en est presque douloureux. Un amour foudroyant qui écrase tout sur son passage, qui ne laisse de cette envie d'alcool que des ruines étouffer. Un rictus surpris et rempli de gratitude accompagne le baiser que je dépose sur la joue de celle qui m'a mise au monde. C'est bon de rentrer à la maison.

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