Chapitre 12- Matt

Je suis loin d'être le mec parfait et c'est une chose que j'ai acceptée. Lorsque que je me réveille entremêlé dans mes draps, la main encore pendue vers ma bouteille vide, l'amertume que j'avais les premières fois a disparue. Certains paient des sommes folle à une voyante de quartier ou se mettent à chercher une tablette ancienne qui soit disant "ressucite les morts", moi, je bois ce liquide magique qui me transporte dans une autre dimension. Ou du moins, j'aime le croire. Le plus dur est de ressentir ces petites particules de rêve s'effacer de mon esprit. Comme un interdit auquel je ne devais plus avoir accès. Sa voix redevient un écho, son odeur m'échappe et son goût s'évanouit sous cette haleine lourde et froide. En toute franchise, le seul moyen que j'ai pour supporter cette douleur fugace qui s'empare de mon cœur est la certitude que ce n'est que temporaire. Il me suffit d'une bouteille afin de la retrouver. Un engrenage qui est devenu une habitude que j'allais devoir, malgré tout, mettre entre parenthèses durant quelques jours. Un point qui, en ce moment, me gonfle d'un refus et d'une colère invisible.
D'un pas lent, je me traîne jusqu'au couloir. Mon attention est attirée par la porte de mon colocataire. La cravate, sur la clanche, provoque un rictus moqueur sur mes lèvres et en même temps, je suis rassuré qu'il soit bien rentré. On ne peut pas affirmer que je suis un excellent ami, néanmoins j'essaie de l'être du mieux possible. Tout comme ce matin, en prenant en compte des indications et le soutif rose bonbon qui traîne encore sur le canapé. Je me prépare mentalement à retenir tout commentaire et d'être le plus aimable possible. Je sers le café et trois omelettes en prenant soin de gober deux œufs crus au passage. Vu ma tête de déterrer, je suis certain de ne pas intéressé la nana qui va débarquer. Il n'y a rien de pire que de devoir repousser gentiment les avances d'une fille qui sent encore les effluves du parfum de votre meilleur ami. J'ai conscience qu'il est franc avec elles, enfin niveau respect, c'est limite !
- Matt, tu es un ange.
Perdu dans mes pensées, et dans la dégustation de mon plat, je n'avais même pas entendu les deux tourtereaux arrivés. Surpris, je relève la tête, il me faut un instant pour reconnaître l'homme qui se tient devant moi. Bon dieu, je retiens le fou rire qui gonfle dans ma cage thoracique. Le teint pâle de mon ami a diverses traces de rose fushia étalées un peu partout. C'est sans surprise, qu'en saluant la nouvelle demoiselle, je capte son maquillage assorti. Ils se sont bien amusés visiblement.
- Moi, c'est Amandine.
D'une main tendue, elle s'installe sur le tabouret afin de me saluer. Pas de bise forcée, elle rentre déjà dans mon estime.
- Je vous préviens, il n'est pas excellent.
Les billes bleues de notre invité se plissent légèrement en cherchant un contact rassurant auprès de mon colloc. Merde, elle croit peut-être que j'annonce ça dans le but de masquer un truc. Jérémy, qui est loin d'être réveillé, se contente de se frotter le nez avant de tirer mon assiette.
- Sinon, il y a du jus dans le frigo.
Je désigne derrière moi, telle une invitation afin qu'elle m'indique ce qu'elle désire avaler. Ses traits se détendent et elle s'installe plus confortablement sur le tabouret en saisissant la tasse chaude. Je déglutis, soulagé, que l'ambiance s'allège.
- En parlant de café, articule-t-il entre deux bouchés, qui va te remplacer du coup au shop ?
J'esquisse une moue sceptique.
-Pour le moment, c'est censé être la petite nouvelle. Tu sais celle dont je t'ai parlée.
Les lèvres de mon coloc s'étirent dans un sourire satisfait.
- Ah oui, miss café allongé. Faudrait que tu me la présentes un jour.
Une grimace communicative s'abattit dans la cuisine.
- Ça va, je peux taquiner un peu, plaide-t-il en donnant un coup de coude à sa partenaire de la veille.
Visiblement, ça ne semble pas marcher. D'un geste brusque, elle repasse sa tignasse rousse derrière ses épaules avant de quitter la table. C'est dommage, elle me plaisait bien, elle avait de bonnes manières. Être trop susceptible est une mort assurée avec Jérém'. Faut avouer que nous déconnons la plupart du temps alors capté quand nous sommes sérieux ou non devient tout un art. Je l'observe alors que mon ami reprend son petit déjeuner sans être perturbé. J'aimerais parfois être comme lui, hermétique. Ça m'éviterait tous ces sentiments qui se bousculent dans ma tête. C'est étrange d'ailleurs, pourquoi j'éprouve autant de résistance à ce qu'ils se rencontrent moi aussi ?
- Tu pars bientôt ? me relance mon ami.
Je reprends ma place, préférant rester neutre et profiter du changement de conversation. Finalement, pour une fois, ce n'est pas moi qui aura posé problème.
- Ouais, acquiescé-je. J'aimerais juste laisser mon numéro à une zone de patrouille pour Tom et filer avant que Samaël me demande de rester.
Il lève la main.
- S'il ose, crois-moi que je me pointe à ton boulot. Il a ta remplaçante, qu'il se démerde, juge-t-il.
Je sais qu'il a raison. Dans le fond, ce qui se passera au shop durant mon absence ne me regardait pas. Malgré tout, je ne peux pas m'empêcher de penser que Ozalée était trop fragile pour gérer l'accueil, le service et les clients en si peu de temps. Je reste persuadé que mes congés seront écourtés et que je devrais filer en vitesse. C'est bizarre, je suis ravi de retourner chez moi et en même temps, suis rassuré d'avoir une excuse toute trouvée si je souhaitais écourter mon séjour.
- Tu devrais tout de même passer au commissariat. Maintenant qu'il a disparu depuis septante deux heures, ils n'ont plus le droit de te refouler, même pour une personne sans condition. Avec un peu de chance, ton ami aura une adresse fiscale où il pourront chercher.
Devant ma mine décomposée, l'avocat prend place devant mes yeux. Il m'explique le plus clairement possible que si Tom a reçu une assistance sociale quelconque, une adresse sera mentionnée. Un point de départ, un lieu où il a résidé, voire une boîte postale à surveiller. Quelque chose de concret. Rien que ça me redonne le sourire. Un regard franc et fraternel que nous partageons sans un mot.
C'est avec un élan de courage que j'incite Jérémy à rejoindre sa dame "en colère", ce qu'il effectue avec peu de motivation. Je préfère personnellement m'éclipser de l'appartement dès le premier éclat de voix. Amandine me semblait plus commode à première vue. Bien que, beau parleur comme il est, je ne doute pas qu'il s'en sortira. Seul. Pour ma part, c'est les poings serrés que je passe les portes de la gendarmerie nationale.
L'odeur qui s'y dégage est toujours particulière. On a beau avoir des températures en baisse, ici, ça sent toujours le réchauffé. Un peu comme s'ils gardaient une température constante à laquelle ils vont nous servir. J'ai jamais vraiment eu de problème avec les flics, même quand mon paternel s'est barré sans laisser d'adresse et que je suis resté au poste plusieurs heures à attendre ma mère. Voire quand j'ai dû effectuer ma déposition plusieurs jours après le décès d'Ana. Pourtant, j'ai cette même impression qui me colle à la peau. Ce manque d'air perpétuel que je préfère éviter. J'encaisse ces petits coups d'œil de côté, laissant lire le désespoir général dans chaque regard d'officiers. Le délaissement, la fatigue et le peu d'intérêt que notre personne peut susciter pour la population. Un travail supplémentaire, un dossier à remplir, de la paperasse, notre réduction à un simple chiffre d'affaires. Je savais pertinemment que j'allais devoir absorber ces ressentiments aujourd'hui encore. Face à moi un petit jeune prends mes premières informations avant de stopper net devant le "sans domicile fixe" qui vient de dépasser mes lèvres.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top