Chapitre 12.2- Ozalée
Je prends une grande inspiration, yeux fermés, dans l’espoir d’évacuer la boule de stress qui s’est logée inconsciemment au niveau de mon ventre. C'est le grand jour. Grand-mère m’a préparé une infusion, à la fois pour me calmer et pour contrer les puissants halogènes que j’ai pu inhaler dans cette cave. Les effets secondaires que j'ai subis ces derniers jours sont loin d’être bénéfiques et j'ai détesté cette crise d'angoisse.
Heureusement que le dialogue s’est restauré avec Rose et que lui expliquer ma mésaventure lui a mis la puce à l'oreille. Elle veut me dévoiler beaucoup de choses, je le sais, le ressens dans ses phrases déposées à demi-mot, ses invitations à m’accompagner ou encore ses nouveaux remèdes qu'elle prend le temps de m’expliquer. Beaucoup trop de non-dits créent ce malaise qui n'avait jamais existé entre nous. Ça pèse sur mon esprit pourtant j'essaie de faire abstraction en attendant que Monsieur Trifon Samaël daigne bien se montrer. Les mains verglacées, je sautille sur place en les portant à ma bouche. Le froid n'est qu'éphémère à New York, quelques jours de plus et le soleil retapera de toute sa splendeur. Un changement de saison que j'attends avec impatience, surtout étant donné la situation. Le temps semble défiler sous mes yeux sans que rien ne change.
Plusieurs personnes s'arrêtent devant le café, surpris par sa fermeture. Je baisse la tête, priant qu'aucun ne m'adresse la parole. J'ai l'impression que le givre a atteint mon cerveau, incapable de penser de manière correcte. Je suis là, à regarder les passants, les voitures et la ville s'animer sans que je ne prenne une véritable décision. J'attends, dans l'espérance, qu'une solution tombe du ciel en sachant au fond de moi qu'il y a peu de chance que cela arrive. Je ne sais même pas si Fil me relève aujourd'hui. Encore une fois, mon inaptitude me prend aux tripes. L'envie de me mettre en boule me mord la peau, seul le regard des autres me maintient statique, luttant contre les larmes qui ne demande qu’à me submerger.
— Ozalée ? m’interpelle une voix forte et masculine.
Il y a quelque chose de bon à dénicher au milieu du chaos. Quelque chose de plus compréhensif. Compatissant. Qui porte les mêmes couleurs dans mon paysage ces derniers temps. Ce grain de voix… ce picotement dans ma nuque… C’est lui. Je me tourne lentement et mon cœur rate un battement lorsque je découvre son visage. C'est la deuxième fois que son image m'illumine dans mes moments les plus sombres. Je cherche de l’oxygène autour de moi, j’ai l’impression que le ciel semble sur le point de s’abattre sur mes épaules. Je pèse une tonne et suis sans aucun doute livide devant lui. Je m'attendais à m'écrouler, pleurer à chaudes larmes et pourtant mon corps a eu une impulsion inattendue. Je me rue littéralement sur Matt. Une seconde suffit afin que sa chaleur corporelle m'enveloppe et que je me surprenne à caler ma respiration contre sa poitrine. Ce n'est que lorsque ses doigts me caressent le dos que je me rends compte de mon geste. La honte m'envahit, me crispant un peu plus contre son torse. Il est taillé tel un roc et bizarrement m'aide à me stabiliser.
— Est-ce que ça va ? s’enquiert-il.
Je lève la tête avec un sourire forcé.
—Tu… as le don d'arriver au bon moment.
Ma maladresse se transforme en un puissant rayon de chaleur dans ma cage thoracique. Le sourire qu'il affiche suite à mon intervention n'augmente que davantage cette sensation qui éclot jusqu'à la pointe de mes orteils.
— J'étais un peu plus haut et la curiosité m'a poussé à venir jeter un coup d'œil.
J'aurai pu me mettre en colère face à cette remarque toutefois c'est tout le contraire, son attention, sa protection, c'est tout ce que je remarque.
— Et je te remercie. Je ne savais pas quoi faire. Je n'avais pas prévu que personne ne serait là pour l'ouverture. Je n'ai pas songé à prendre les coordonnées du patron.
Toute la tension accumulée se dissipe comme un vent de poussière alors que je lui dévoile mes fautes et que nous sommes toujours enlacés. C'est ce que j'aime en son contact, toute gêne s’efface en quelques secondes et laisse ce côté normal à la situation. Ce sentiment d'être à ma place. Est-ce qu’il a une petite amie ? Intérieurement cette pensée me terrorise, me mettant face à une vérité bien plus complexe de mes sentiments naissants.
— J'avais espéré que Samaël ferait l'effort, au moins le premier jour, m'avoue-t-il. Il adore son commerce, cependant le réveil a toujours été son pire ennemi. C'est d'ailleurs pourquoi Fil et moi possédons un double des clés.
Suite à sa phrase, il se détache et sort un trousseau de clés de sa poche. Nous échangeons un sourire authentique. Il m'offre un regard qui me perturbe de l’intérieur parce que c’est envoûtant et à la fois, pas insistant. Je suis confuse parce qu’avec toute mon agitation intérieure, j’en oublierais presque l’accumulation de retard de l’ouverture des portes. Il m’incite à le rejoindre derrière le comptoir. Je suis redevenue plus que nerveuse. Voilà pourquoi je suis en ces lieux. La tâche que je dois accomplir. Je dois à présent me focaliser dessus. Comme si mes pensées étaient les siennes, il se tourne vers les machines.
— Comme tu n'as pas eu le temps d'apprendre à tasser le moulin, n'utilise que celle-ci. Elle est plus moderne et il suffit de la remplir de grain. Après s'être exécuté, il coule plusieurs fois l’eau bouillante en appuyant sur l’écran digital.
— Tu as plusieurs modes ici. Regarde.
Il me montre avec patience comment préparer les boissons les plus demandées et nettoyer la machine sans avoir à m’embêter. Puis il fait défiler les différents modes afin que je puisse saisir comment créer des cafés personnalisés. Quand il termine ses explications limpides à mes yeux, j’ai le sourire aux lèvres. Il est patient, gentil et… terriblement mignon.
Je profite qu'il me donne une tasse pour souffler un bon coup. C'est à moi de jouer. Je me concentre sur le café. Je le coule en inclinant un peu le mug. Sous le regard de mon sauveur qui m' observe de manière attentive le moindre de mes faits et gestes, j’enclenche la fonction qui permet de faire mousser le lait comme il m'a montré. Avec un mouvement fluide, je m'applique à dessiner dans la mousse de café. Je tends la tasse, ravie, à mon collègue qui ne semble pas en croire ses yeux. J’ai dessiné un cœur en mousse blanche sur un nuage marron tendre.
— Pour une première, c'est vraiment bien réussi. Tu te débrouilles vraiment bien.
Mon cœur palpite plus vite que d’habitude en l'entendant me complimenter.
— Merci d’être resté. Ça m’a permis de me détendre un peu.
— Avec plaisir, n'oublie pas de la recharger régulièrement en grains de café. T’inquiète, l'appareil le notifie. Là, j’en ai mis, tu seras donc tranquille un moment.
Je le remercie encore une fois. Les techniques de Fil ne me paraissait pas aussi simple et je me sens plus confiante maintenant.
— Je te souhaite bon courage et ne te tracasses pas si au début ta file de clients ne se désemplit pas. Le principal c'est de ne pas lâcher et sévir tout le monde.
Je hoche la tête, ancre son dernier conseil dans mon esprit. Je l'observe tourner la pancarte sur ouvert, sans pour autant que ça m'angoisse. Je ne souhaite pas qu'il s'en aille, cela devient viscéral. Pas comme ça. D'un pas rapide, je le rejoins sur le pas de la porte et d'une manière brusque, tire sur son col dans le but de déposer un baiser sur sa joue. L'action n'a duré que quelques secondes. Juste assez afin que sa courte barbe me pique les lèvres. Sentir cette odeur boisée s’infiltrer dans mes narines et cette chaleur entre mes doigts.
— Passe de bonnes vacances.
Il s’esclaffe avant de faufiler une main dans ses cheveux clairs, mal à l’aise.
— On se revoit bientôt, enchaîne-t-il sans pour autant me regarder.
C'est comme si un froid s'était abattu suite à mon geste. Je le regrette aussitôt, malheureusement je n'ai pas le temps de le retenir que le premier client passe entre nous et qu'il quitte le shop. Ma légèreté s'envole et c'est le cœur plein de remords que je retourne derrière mon comptoir.
Je ne suis qu'une idiote.
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