Chapitre 11- Matt

L'idée de passer ma soirée à picoler m'enchante, toutefois vagabonder sans but dans la nuit me mène directement à un market qui devrait m'offrir l'objet de ma convoitise pour la soirée. Miracle, je me souviens de prendre du gel douche et ajoute un pack d'œufs au tout, sous l'œillade intéressée de la caissière. Mon col roulé semble lui plaire ou plutôt ce qu'il y a dessous. J'imagine qu'elle songe que ce sont les protéines qui m'intéressent pour sculpter un peu plus ma silhouette qu'elle dévisage avec insistance. Alors qu'en réalité, c'est mon remède détox le plus efficace.
— Vous fêtez quelque chose ? me demande-t-elle en passant les deux bouteilles d'Eristoff.
J'ai jamais été un grand buveur de vodka. Cependant, ce soir, mon but n'est pas que ça dure, mais plus d'être assommé le plus rapidement possible. Je souris par politesse en sortant ma carte bleue.
— Des retrouvailles avec ma copine.
Sa mine se ferme quelques secondes avant de reprendre son air clientèle à toutes épreuves. Un bon verre de vin doit également l'attendre en fin de journée. Je prends mon sac plastique et retourne sur mon vélo. Dernière fois que je l'utilise jusqu'à la maison. Je suis à la fois excité et anxieux à cette idée. Ça faisait bien longtemps que mes projets voient réellement le jour. En arrivant, je regarde mon cellulaire, comme si j'attendais ce fameux message où mon patron me demanderait de rappliquer. Malgré mes craintes, à part l'heure de cet fin d'après-midi, rien ne s'affiche à l’heure actuelle.
Je cherche mon trousseau de clés avant de découvrir que la porte est déjà ouverte, malgré tout, la chaînette est correctement placée, signe que mon colocataire se trouve déjà dans les lieux. Je toque, avant même d'entendre sa voix derrière le battant. Je sais que notre dernière conversation ne s'est pas trop bien finie, or ce n'est pas la première fois que le ton monte entre nous. Même si nous nous chamaillons, l'habitude est de continuer comme si cela ne s'était jamais réalisé. Une technique masculine qui a porté ses fruits et limite les tensions. Du moins, le temps que nous ne nous disputons pas à nouveau et que tous reviennent en une seule fois. C'est un peu comme un bon vieux bac à linges sales, tant qu'il n’est pas plein, nous faisons mine de pas le remarquer.
— Déjà rentré ? m'étonné-je.
Chemise blanche, jean noir, gel dans les cheveux et la télé sur une chaîne musicale. Autant de signes révélateurs qu'il a l'intention de sortir, il continue peut-être à bouder finalement.
— Figure-toi que la neige a bloqué la plupart des bus et a provoqué l'arrêt des transports en commun. Du coup, on a été dispensé de cours pour la journée.
Cette intempérie tardive dans l'année a surpris la ville. Heureusement, ici, les choses bougent vite et je suis certain que dès cette nuit, poudreuse ou pas, tout sera revenu à la normale. Je n'ai aucun souci pour envisager mon départ dès demain matin.
— Et du coup ? Tu sors ?
Il hésite une brève seconde avant de hocher la tête.
— Les gars de ma classe organisent un petit truc pour le départ en vacances. Tu veux te joindre à moi ?
— Sans façon.
Un lourd silence, seulement perturbé par le son de la télévision, s’installe entre nous. Jusqu’à ce qu’il esquisse un sourire joyeux et déclare :
— Tu veux être sûr que je pécho, tu es trop aimable !
Dans le fond, il n'a pas tort. Même si de base c'est plus la foule que je fuis, me retrouver dans ces regroupements alcoolisés d'étudiants en manque d'attention, c'est pire que tout. Ce terrain de chasse est le sien.
— Ne t'inquiètes pas, tu peux culbuter où tu veux, je ne sortirai pas de ma chambre.
Il s'esclaffe à mon commentaire, puis prend un air plus sérieux et m’observe.
— Pas de connerie, hein.
Son regard se positionne sur ma poche. Les goulots bleus qui dépassent laissent peu de doutes sur leur contenu. Toutefois, même si une partie de moi sent la honte se propager dans mon organisme, une autre, plus forte, me laisse droit dans mes baskets. Je sais que si je bois ici, son esprit sera également plus serein et amène à passer une soirée relax avec une demoiselle de passage.
— Je profite, j'ai enfin eu mes congés. Je vais pouvoir filer comme prévu. 
La surprise se lit facilement sur sa face,
— Sérieux ? s’étonne Jérémy, un peu sceptique.
Il tend la main vers mon plastique tout en répondant :
— Alors dans ce cas, tu as raison, faut trinquer à ça avant que je m'en aille.
Sans un mot, je lui file une des bouteilles qu'il porte à sa bouche dans le but d’en boire quelques gorgées. J'exécute de même avec la seconde, sachant pertinemment que les deux me reviendront. Il suffit que le liquide traverse sa trachée pour qu'il tousse, gêné par la brûlure que procure cet alcool pur.
— Je ne sais vraiment pas comment tu peux t'enfiler cette horreur, grimace-t-il en la repoussant.
Un rictus espiègle fend mon visage.
— Faut être un homme pour ça, le taquiné-je.
Il me mine un pipeau en remontant ses lunettes.
— Je préfère l'être dans un suc plus sucré.
Son jeu de langue qui accompagne sa phrase ne permet aucun doute à sa tournure salace. Cette fois, c'est moi qui grimace alors qu'il rit. Je recule de quelques pas pour me rasseoir sur le fauteuil. Je bois une gorgée et pose la bouteille ouverte contre ma cuisse sans la refermer, la tenant d’une main. Mon regard se perd dans des clips où même la musique ne me distrait déjà plus. Jérémy, finalement prêt, réapparaît devant moi.
— Allez, mon vieux, je file. Croise les doigts afin que je ramène une jolie midinette dans la piole ce soir. Et évite juste de dégueuler en dehors des toilettes, d'accord ?
J'encaisse. J'ai pas besoin de lui souhaiter bonne chance, je sais pertinemment que demain matin une fille à moitié à poil me saluera dans la cuisine. Il fait style, néanmoins dans le fond je sais qu'il a confiance en ses capacités de Don Juan. Je reste silencieux jusqu’à ce que ses dernières recommandations s'achèvent, puis il quitte l'appart en fermant à clé derrière lui.
Je mime que cela ne me touche pas alors que le sentiment d’échec cuisant ronge déjà mon être. Le sentiment d'être un boulet plombe mes épaules et me font descendre le liquide plus vite. Le taux opère son œuvre et bientôt, seul le visage d'Anastasia emplit mes pensées. J’ai la gorge nouée et mes yeux me brûlent, cependant je suis encore maître de mes émotions. Je me lève et vais récupérer la télécommande afin d’éteindre la télévision et enchaîne les longues goulées jusqu'à mon espace.
Mon cœur douloureux s'apaisera une fois encore pour quelques heures dans un autre monde où mon amour est encore possible.

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