Chapitre 10.2 -Matt
- Plus de sucre ? Vous souhaitez pas des vices et de la sciure plutôt ? Ça aurait au moins le mérite de vous empêcher de réclamer des conneries.
Mes yeux s'élèvent à peine face à la nouvelle remontrance de Cass à un client. Elle a beau exceller au service, ses répliques sont tranchantes et n'épargnent personne. Mireille et Paul, mes deux plus anciens habitués, s'esclaffent à l'entente de chacune d'elles. C'est un peu leur radio favorite de sketch matinal.
- Vous devriez avoir honte ! Je vais vous coller une étoile sur Google, moi ! Vous allez voir ! réagit le client.
- C'est ça et ne vous plaignez pas de tuer les petits commerçants ! enchérit ma meilleure amie.
Ça a le mérite de lui ouvrir la bouche quelques secondes avant qu'il ne claque la porte. Je continue à nettoyer mon comptoir, seulement perturber par le courant d'air gelé qui se précipite dans l'embouchure. Les notes, à croire que les réseaux sociaux contrôlent le monde maintenant. Les clients s'imaginent que leurs commentaires hargneux seront la seule référence mondiale sur mon espace de travail. Heureusement, ici, nous comptons plus sur les clients réguliers que les touristes de première zone. L'avantage d'une grande ville c'est que même si les magasins ne manquent pas, le service n'excelle nulle part. Il y a toujours un client mécontent qui s'imagine être le roi en personne et grâce à ça, nous restons aux yeux des voyageurs, tous les mêmes.
- Je ne sais pas comment tu réussis à supporter ses malotrus tous les jours que dieu crée !
Quand le seigneur rentre dans la danse, c'est souvent le signe que ma partenaire n'en peut plus.
- Tu m'as bien aidée, Cass, je te remercie. Le couvre feu devrait être passé, tu peux filer, si tu veux.
Elle soupire en claquant le plateau sur le comptoir.
- Je vais encore avoir des crampes aux mollets pendant deux jours, grimace-t-elle.
- Deux jours où tu penseras à moi, c'est dur ! boudé-je, moqueur.
Son tirage de langue suffit à m'amuser. Je suis son diablotin qui titille ses dernières résistances. Toutefois, ma bonne humeur disparaît quand je la perçois passer la porte. D'un dernier coup d'œil, je glisse le plateau près de moi avant de prendre le rictus le plus hypocrite possible.
- Chef, c'est pas souvent qu'on vous voit aussi matinal, besoin d'un café ?
Son air boudeur n'annonce rien de bon. J'espère seulement qu'aucun client ne rappellera Cass. Même si je passe le caractère explosif de mon amie, c'est loin d'être le cas de mon patron, qui même s'il ne l'a paye pas, m'a déjà interdit de l'exploiter dans son magasin. Les deux se fixent déjà du regard avant même qu'il atteigne le comptoir.
- Qu'est-ce qu'elle fout ici, ta copine ? désigne-t-il d'un coup de menton accusateur.
Mes muscles se tendent, ma température augmente devant la frayeur qui fuse dans mon corps.
- Je suis passée lui rendre ses clés de bagnole, ça pose un problème, le gros ?
Et voilà, même pas besoin qu'un client la ramène afin qu'elle s'aligne toute seule. Je me flagelle moi-même devant le mince espoir que ces deux-là s'entendent un jour. Je racle ma gorge le plus fort que je peux dans le but de monopoliser l'attention.
- C'est que j'en ai besoin pour mes vacances, Chef, lui rappellé-je.
Il prend place sur un tabouret en se frottant le front. Sujet épineux lancé, sa réaction me signale déjà qu'il avait oublié mes congés. Je profite de ce moment d'égarement pour établir un dernier signe visuel avec Cass afin qu'elle déguerpisse. Un "merci" silencieux quitte mes lèvres avant de balancer la tête vers la porte de plus en plus rapidement. Ce n'est que lorsque que j'insiste, les yeux écarquillés, qu'elle cède, m'adressant un signe de main désabusée. Je vais me choper un torticolis avec ses conneries.
- Oh, Matt, reprend le patron. J'avais totalement oublié. Quand est-ce que tu dois t'en aller ?
J'ai même pas besoin de rappeler que c'était aujourd'hui pour imaginer la suite. La mine déconfite et sa menace de fermeture sonne comme à chaque fois à mes oreilles. Alors que dans ma tête le discours de Jérémy et du prud'homme résonne déjà. L'un ou l'autre, je suis déjà foutu. J'imagine devoir renoncer, encore une fois, à mes vacances avant qu'une voix que j'avais presque oubliée viennent nous couper.
- Je peux peut-être le remplacer ?
Ozalée se tient à mes côtés, droite et forte sur ses jambes. Même s'il est facile de distinguer que ses joues sont humides, nous pouvons facilement confondre avec de la sueur. Ce qui semble plaire au patron.
- Vous avez travaillé ce matin ? demande-t-il, surpris.
Je la vois hésiter un instant avant que je confirme à sa place.
- Un petit cafouillage a eu lieu lors de notre dernier planning. Fil n'a pas dû y prêter attention. Heureusement, elle m'a été d'un grand soutien.
Soit ça mord, soit on est foutu.
- Ce petit jeune alors, depuis qu'il nous quitte, il en produit de moins en moins, juge-t-il. J'imagine que vous devez encore expérimenter les bases ?
- Oui, mais j'apprends vite, réagit-elle.
Notre espagnol retrouve le sourire et décide de la prendre sous son aile, ainsi que de venir au café dès l'aube. En deux ans de carrière, les seules fois où je l'ai vu à l'ouverture c'étaient les jours de l'inspection de l'hygiène, or je ne relève pas. Si je peux vraiment avoir mes congés, je ne vais pas m'en privé.
- Bien, mon grand, on se revoit dans deux semaines alors !
J'observe Ozalée qui me sourit et me souhaite de profiter de manière plutôt automatique. J'imagine qu'elle doit se remettre encore la matinée. Nous nous connaissons assez peu, cependant il est clair que son quotidien semble particulier. J'espère juste qu'elle ne me lâchera pas encore. Elle qui voulait démontrer ses preuves, la voilà reine de la boutique. J'ai du mal à y croire, même après être sorti du coffee-shop. C'est certainement pour ça qu'il neige. Je vais enfin pouvoir rentrer chez moi après plus d'un an d'absence.
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