Adalina

...J'ouvre des yeux grands comme des soucoupes et tente de reculer. Un grand garçon aux cheveux blonds cendrés et au regard d'un bleu transperçant se tient devant moi. Il aurait pu être très beau si ses yeux n'étaient pas cernés et que son corps n'était pas blessé et meurtri. Il me sourit et tristement me demande.

- Qu'est-ce que tu fais ici ?

La raison de ma venue me revient tout à coup. Je m'affole.

-Ma sacoche ! Ou est-elle ?

Le garçon blond regarde les autres enfants dans la cave, qui sont dans un état semblable au sien, si ce n'est pire. Il les interroge du regard. Les enfants qui se tenaient devant s'écartent pour laisser entrevoir une jeune fille frêle, qui tenait mon sac à main à hauteur de son visage. Elle lève la tête et j'aperçois ses yeux. Elle n'a plus rien à voir avec la petite fille d'avant, mais son regard reste le même, celui de Maria. Je plaque ma main devant ma bouche, d'effrois. Je cours vers elle et la serre dans mes bras, ne pouvant rien dire tant le choc est grand. Quand je m'écarte, Maria me gratifie d'un sourire triste qui me déchire le cœur, qu'a-t-elle dû endurer ?! L'instant d'après, elle éclate en sanglot et me tend ma sacoche. Elle se met à parler très vite en interrompant ses phrases par des hoquets et des "Me disculpe Ada". Elle m'explique qu'elle avait fait ça pour manger, et que cela faisait deux jours qu'elle n'avait rien avalé. Je rétorque, étonnée.

- Mais je t'ai pourtant vu hier au marché !

Elle sanglote.

- Oui, il m'a laissé sortir car il savait qu'il pourrait me surveiller.

Une pensée d'horreur me traverse, et si M. Ramirez n'était pas la personne que je pensais connaître ? En regardant Maria, je comprends que, par peur, elle ne m'en dira pas plus. Je prend mon sac et l'ouvre. Malgré elle, ma fausse sœur éclate d'un rire mêlé de sanglots.

- Ce n'est que de l'argent ça ! je ne vais pas pouvoir en manger.

Je souris et me tourne vers le garçon blond. Lui, rayonne en voyant la somme que je lui tends. Il l'empoche sans rechigner, il doit savoir que ce n'est pas le moment de faire des manières.

- Mais, papà Ruiz ne va rien te dire ? M'interpelle Maria.

Sur le moment, mon père est bien le cadet de mes soucis et par mon rire franc et bref, Maria le comprend. Soudain, un autre enfant me pousse tandis que le garçon blond me dit de me tenir tranquille et de me cacher. Je m'exécute. La porte de la cave s'ouvre sur M. Sanchez. Estomaqué, je me lève en secouant la tête de terreur. Je ne suis pas idiote, je sais comment ce genre de commerce fonctionne, et ça me dégoute et m'horrifie. Je n'aurais jamais cru qu'un homme comme lui puisse faire ça. Je le sais, j'aurais dû rester discrète mais je n'ai pas pu m'empêcher de me lever et de souffler.

- Vous ? No es possible !

Il me sourit et me répond avec l'air le plus cruel que je n'ai jamais vu.

- Ma petite Ada, tu crois vraiment que j'ai pu gagner ma vie avec seulement la vente de quelques carottes ? Mes clients ont d'autres attentes de moi tu vois ?

Une envie de vomir me prend, je secoue la tête de plus belle.

- Vous êtes horrible !

- Non, je suis seulement réaliste, tu sais, même Ramirez à...

BAM

Le marchand de légumes s'effondre. Je reste pétrifiée. Je lève les yeux et voix le chef blond tenant un bout de gouttière ensanglanté dans la main. Son regard passe de moi à lui, totalement effaré. Durant un millième de secondes j'ai l'impression qu'il va tomber dans les pommes lui aussi. Mais il se ressaisit et redevient stoïque. Il esquisse un faux sourire et dit d'une voix ferme.

- Pars, ahora.

Je refuse net.

- Il est hors de question que je parte en vous laissant ici !

- Il ne nous fera rien tant qu'il sera à ta recherche.

Il s'interrompt et regarde Maria, un peu attendri.

-... Et celle de la petite aussi.

Je m'entête.

- No hay forma de que yo...

Il se précipite vers moi et plaque sa main contre ma bouche m'empêchant de continuer à parler. Il parle en sifflant maintenant, avec un air menaçant.

- Je ne te laisse pas vraiment le choix. Tu n'as rien à faire ici et c'était du suicide de ma part de t'aider. En plus, tu semble beaucoup trop intéresser le patron. Alors tu vas te dépêcher de partir d'ici avec Maria. Pour notre sécurité à tous, pigé ?

Je hoche la tête, il enlève doucement sa main et ajoute.

- Dans tous les cas, maintenant que j'ai mis le pied dedans, plus de retour arrière n'est possible. Sache que tu peux compter sur le plus gros gang de Séville. Il te suffira de dire "Conduit moi à Alfonso Rodriguez le latino" pour avoir de l'aide de n'importe quel gamin des rues.

- Comment être persuadée que tu ne me tends pas un piège ? Ou qu'il vont m'aider ?

Il fouille dans sa poche et sort une plume de corbeau noir aux reflets bleus.

- Pour le piège, c'est toi qui décide de me croire ou pas. Pour les enfants, avec ça, tu auras leur confiance.

- Mais, et toi ? je demande perplexe qu'il ait l'air à l'aise dans cet environnement.

Il me fait un clin d'œil et sourit.

- Je suis un phœnix, je me débrouille toujours.

M. Sanchez gigote un peu, le garçon lui assène un coup avec sa batte improvisée et il replonge.

- Vete !

Là je ne réagis plus négativement. Je prend Maria par la main et me dirige vers la sortie. Au dernier moment, je me retourne et affirme.

- Tu peux aussi compter sur moi, Adalina Ruiz, tous les jours au stand de Ramirez.

J'ajoute, un peu gênée.

- Et... Appelle-moi Ada, car je reviendrais pour vous sauver ! Donc accorde ta confiance au papillon.

Puis je pars en courant avec Maria sur mes talons. J'entends une voix derrière moi.

- Seb ! Sébastien ! Et ma confiance, tu l'as déjà entièrement ! Je t'attends !

Je souris, ok, noté. Ensuite, je me rappelle que je suis en danger alors je redouble de vitesse. Maria, étonnamment rapide pour son âge, suit le rythme sans difficultés. Nous arrivons sans encombre chez moi. Je n'ai pas peur de mon père. Je n'ai plus peur de mon père. Surtout pas après avoir vu de quoi étaient capables certains hommes de mon entourage. Nous entrons en trombe dans le salon. Je dois leur dire. Ma mère recoud des vieux habits sur le fauteuil. Mon père lit le journal du soir à côté de Manuel. Celui-ci lui raconte, enthousiasmé sa journée, en m'omettant. Maria court se jette dans les bras de ma mère, qui pose ses aiguilles, surprise. Mon père pose un regard furieux sur moi en se levant. J'éclate en sanglots et me précipite dans les bras de mon père. Il est totalement déstabilisé mais parvient à se reprendre. Et, à ma grande surprise, il me rend mon étreinte. Au bout d'un moment, il me prend par les épaules et me décale doucement mais fermement.

- Que pasa hija ?

J'ai l'impression que mes larmes creusent un sillon sur mes joues tellement il y en a. Je les essuie et j'entame mon récit...

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