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Calé dans le canapé du salon, Théo triturait nerveusement sa caméra.

—Alors ? lui demanda Selina.

Il n’osait pas lever les yeux vers elle. Ce n’était pas lui qu’elle était venue voir. Il était presque sûr qu’elle avait hésité à faire demi-tour en comprenant que Matt n’était pas là. Elle avait évité son regard, mal à l’aise, avant de déclarer qu’elle pouvait l’attendre. Mais elle aurait préféré partir.

—Alors quoi ?

Selina se redressa un peu sur son siège et passa sa main dans ses cheveux.

—Le truc d’hier, dans le parc. Ça valait le coup, au moins ? Je veux dire, tu vas pouvoir en faire quelque chose de ce qui a été filmé ?

Il hocha la tête.

—Ouais, c’était parfait.

—Et tu vas m’en faire d’autres, des coups comme ça ?

Il haussa les épaules.

—On aura besoin d’autres scènes avec toi, pour sûr.

Selina se mordit la lèvre.

—Et c’est quoi la prochaine scène ?

Théo esquissa un sourire et alluma sa caméra. La vidéo se lança et il remonta l’objectif vers la jeune fille.

—Le meurtre, bien sûr, répondit-il le plus sérieusement du monde.

Le visage de Selina devint livide et elle se mit à triturer la fermeture éclair de son sac à main.

—Tu déconnes, n’est-ce pas ?

Théo explosa de rire.

—À ton avis, Selina ? J’ai vraiment une tête de meurtrier ?

Elle se redressa brusquement, comme pour se donner de l’assurance.

—Honnêtement ? Oui. Et arrête de me filmer, tu me stresses !

Il obtempéra et baissa sa caméra pour la regarder d’un air triste.

—Tu ne m’aimes vraiment pas, n’est-ce pas ?

Elle le regarda un instant sans rien dire avant de lâcher :

—C’est pas ça. Mais… Tu me mets mal à l’aise, parfois.

Elle porta ses doigts à ses lèvres et se mit à se mordiller nerveusement les ongles.

—Désolé, s’excusa Théo. C’est pas mon intention, tu sais.

—Je sais.

Elle semblait sur le point d’ajouter quelque chose lorsque Matt arriva. Il fronça les sourcils en voyant le visage fermé de sa petite amie.

—Eh, bébé, dit-il en marchant jusqu’à elle pour la prendre dans ses bras. Tout va bien ?

Elle le laissa l’enlacer et éluda sa question.

—On devait aller au ciné, lui rappela-t-elle. Tu te souviens ?

Matt hocha la tête.

—Bien sûr que je me souviens, bébé. Comment est-ce que je pourrais oublier ?

Elle fit la moue, visiblement peu convaincue.

—Attends-moi dans la voiture, lui ordonna-t-il. Je te rejoins dans cinq minutes, okay ?

Elle sembla hésiter un instant, avant de tourner les talons. Elle attrapa le jeu de clés qui traînait sur la commode de l’entrée et sortit de l’appartement.

Matt tourna alors la tête vers son frère et le toisa un instant.

—Tu vas aller au cinéma avec elle.

Théo regarda son jumeau comme si celui-ci perdait la tête.

—Quoi ?

Matt s’installa sur le fauteuil où était assise Selina quelques minutes auparavant.

—Tu m’as entendu. J’en ai marre qu’il y ait ce malaise gênant entre vous. Alors va au ciné avec elle, et démerde-toi pour crever l’abcès. En plus, j’ai pas envie d’aller voir un énième film à l’eau de rose.

Théo serra les mâchoires. Bien sûr, il crevait d’envie de passer plus de temps avec Selina. Mais pas si elle n’en avait pas elle-même envie.

—Allez ! le pressa Matt. Elle attend.

Théo hésita un instant avant de finalement se lever.

Arrivé dehors, il se dirigea vers la voiture et s’installa devant le volant. À côté de lui, Selina le regarda d’un air surpris avant de finalement pousser un soupir.

—Génial, souffla-t-elle en comprenant que Matt ne viendrait pas.

Théo serra le volant entre ses mains jusqu’à ce que la jointure de ses doigts devienne blanche. Il prit une grande inspiration pour calmer les battements de son cœur, avant de finalement démarrer.

❃ ❃ ❃

—Non, trancha Selina. Hors de question.

Théo poussa un long soupir.

—Allez, sois cool, Sel’ ! Ça sera drôle.

La jeune blonde plissa les yeux d’un air meurtrier.

—Drôle ? articula-t-elle. Tu veux qu’on aille voir un film d’horreur interdit aux mineurs. Comment est-ce que c’est censé être drôle ?

Le jeune homme la poussa gentiment de l’épaule.

—Ce sera drôle pour moi.

Selina croisa les bras contre sa poitrine et baissa les yeux.

—Est-ce que tu as déjà vu un film d’horreur, au moins ?

Elle poussa un soupir et secoua la tête.

—Et ça te dirait pas d’essayer ? Juste pour une fois.

Elle mordillait sa lèvre, et Théo comprit qu’elle hésitait.

—Très bien, céda-t-elle finalement. Allons voir ton stupide film. Mais tu paieras si j’ai besoin d’une thérapie par la suite pour surmonter le traumatisme.

Théo sourit et la prit par le bras pour l’amener jusqu’au guichet.

Selina passa le film le visage caché derrière ses mains, poussant des cris d’épouvante et sursautant à chaque nouvelle scène. Vers la fin du film, elle finit par craquer et agrippa le bras de Théo. Le visage enfoui dans le creux de son épaule, elle tentait de calmer sa respiration saccadée.

Un grand sourire s’afficha sur le visage du jeune homme.

—T’es con, dit Selina comme si elle avait perçu sa satisfaction.

Elle resta accrochée à lui jusqu’à la fin de la séance et ne le lâcha qu’une fois sortis de la salle obscure.

—Désolé, s’excusa alors Théo. Je ne pensais pas que ça te ferait si peur.

Fébrile, elle se frotta les bras.

—C’est okay. C’est moi qui ai accepté, au final. Et puis ce n’est pas comme si on était allé voir ça le soir.

Théo acquiesça et jeta un coup d’œil à l’heure. Il était midi passé.

—Tu veux aller manger un morceau avant que je te ramène ?

Selina sembla hésiter un instant mais finit par accepter.

Ils sortirent du cinéma et la lumière du soleil les éblouit. Ils marchèrent dans un silence de plomb jusqu’au bar-restaurant le plus proche. Ne sachant pas quoi dire, Théo ouvrit son sac et en extirpa sa caméra. Il filma le ciel, les bâtiments, les rues, tentant de capturer au passage la silhouette de la jeune fille qui marchait à ses côtés. Elle lui jetait des regards en coin, comme si cela la dérangeait, mais ne fit aucune réflexion.

Vingt minutes plus tard, les deux jeunes étaient assis l’un en face de l’autre à une table près de la fenêtre. Théo avait posé sa caméra sur la table et observait Selina en face de lui. Celle-ci triturait sa nourriture du bout de sa fourchette sans rien dire.

—Et sinon, ça va les cours ? demanda-t-il pour briser le silence. T’arrive à gérer avec ton boulot ?

—Ça va, je me débrouille.

Il s’apprêtait à lui poser plus de questions sur l’école d’art dans laquelle elle allait, quand il se ravisa.

—Et du côté sentimental, ça va ? demanda-t-il à la place.

Les yeux toujours fixés sur son assiette, Selina arrêta de jouer avec sa fourchette.

—Honnêtement ? Pas vraiment.

Sa réponse surprit Théo au plus haut point. Il avait toujours été persuadé que tout allait pour le mieux entre elle et Matt. Mais peut-être qu’il avait tort.

—C’est quoi le problème ? demanda-t-il d’une voix douce.

Elle releva les yeux vers lui.

—Toi.

Théo sentit son sang se glacer et il la fixa avec incompréhension. Il secoua la tête pour sortir de sa torpeur.

—Quoi ? réussit-il à articuler. Pourquoi… pourquoi tu dis ça ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

Selina détourna le regard et le fixa sur la fenêtre à côté d’elle.

—C’est juste que…

—Que quoi ?

Selina se mordit la lèvre.

—Tu connais Mathilde Soria ?

Théo fronça les sourcils. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas entendu ce nom.

—Bien sûr que je la connais. On est sortis ensemble en terminale. Comment est-ce que tu as entendu parler d’elle ?

—Elle travaille au bar avec moi. Enfin… Elle fait le service de nuit, mais ça nous arrive de discuter avant que je m’en aille.

—Et donc ?

—Et donc elle m’a parlé de toi. Elle m’a dit que quand vous sortiez ensemble… Que tu faisais des trucs bizarres.

Les doigts de Théo s’agitèrent nerveusement sur la table. Qu’est-ce que Mathilde était allée raconter à Selina ?

—Quel genre de trucs bizarre ? s’impatienta Théo.

La jeune fille baissa les yeux vers ses mains et se mordilla l’intérieur de la joue.

—Elle a dit que tu la filmais tout de temps. Que c’était une sorte d’obsession chez toi.

Théo laissa échapper un rire dédaigneux.

—Alors quoi ? Parce que j’aimais prendre ma copine en vidéo, tout de suite je suis un cinglé ?

Selina releva les yeux vers lui.

—Elle a aussi dit que tu voulais filmer quand vous… quand vous… – enfin, tu vois, quoi – mais qu’elle a refusé. Et que plus tard, en regardant dans ton téléphone, elle a trouvé des vidéos de ça. Et d’autres aussi, des vidéos d’elle en train de dormir ou de prendre sa douche.

Théo la fixa sans rien dire, le regard impénétrable.

Mal à l’aise, Selina passa sa main dans ses cheveux et demanda :

—C’est vrai ce qu’elle a dit ?

Théo ouvrit la bouche, prêt à tout nier en bloc, quand il se ravisa. À quoi bon ? Elle ne le croirait pas de toute façon.

—Ouais. Ouais, c’est vrai. Mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ? J’étais obsédé par elle à l’époque, je ne vais pas dire le contraire. Mais c’était il y a quoi, deux ans ? C’est fini maintenant.

Selina ne cilla pas.

—Parce que t’es trouvé une nouvelle obsession ?

Sa voix était lourde de sous-entendu et Théo avala difficilement sa salive.

—Les gens changent tu sais, et pas forcément en mal.

Selina ne semblait pas convaincue. Son regard se posa sur la caméra posée sur la table.

—Est-ce que… Est-ce que ça filme depuis tout à l’heure ? s’inquiéta-t-elle quand elle remarqua que l’objectif était tourné dans sa direction.

Théo attrapa la caméra et la rangea furieusement dans son sac.

—Non. Non, elle ne filmait pas. Je… Putain, Selina ! s’emporta-t-il soudainement. C’est ça que tu penses de moi ? Mais qu’est-ce que tu crois ? Que je te filme en cachette, c’est ça ? Et puis quoi encore ? J’ai caché des caméras chez toi pendant qu’on y est ? Je suis juste une espèce de pervers psychopathe à tes yeux ?

La jeune fille baissa la tête, le visage rouge.

—C’est pas… c’est pas ce que j’ai dit.

—Non, mais c’est ce que tu laisses entendre.

—Je… C’est juste que tu es étrange, parfois et…

—Tu veux savoir pourquoi je suis étrange avec toi ? la coupa-t-il. C’est parce que je t’aime. Je t’aime à en crever, Selina. Et je sais que ça ne sera jamais réciproque. Et ça… ça me tue.

Selina ouvrit la bouche, surprise. Elle semblait vouloir dire quelque chose, mais les mots ne franchirent jamais ses lèvres.

Théo se redressa brusquement, les mains tremblantes et les yeux brûlants. Il sortit un billet de vingt euros et le posa sur la table.

—Désolé, je… je crois que je devrais y aller.

Il prit son sac et détala sans rien ajouter.

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