3 : le rire de Céleste

Dante se réveilla dans un sursaut de panique, hébété. Une forte odeur de camphre parfumait le salon. De vagues réminiscences de la soirée écumèrent son esprit et renforcèrent son mal de crâne. Il repoussa le duvet entrelacé entre ses jambes et se redressa en gémissant. Sa peau lui semblait poisseuse. Il rêvait d'une interminable douche brûlante. Céleste était sur le canapé, à sa gauche. Sa poitrine se levait et s'abaissait au rythme régulier d'un sommeil paisible. Il dormait en chien de fusil, la tête enfoui dans un édredon.

Ses cheveux aux torsades blanchies formaient comme une auréole angélique au-dessus de sa tête. Dante se frotta les yeux dans l'espoir de chasser la torpeur de sa gueule de bois lorsqu'un gloussement strident le fit bondir sur ses pieds. Il afficha un air profondément consterné lorsqu'il comprit que Céleste venait tout simplement de rire dans son sommeil.

Son visage dépassait désormais de la couverture. Il était pâle. L'annonce d'un réveil difficile commençait à faire vibrer ses paupières. Dante chercha vainement Sawas du regard, puis constatant l'heure qu'il était, sentit un courant électrique parcourir l'ensemble de ses terminaisons nerveuses. Affolé, il entreprit de retrouver sa parka et de foutre le camp d'ici sans plus tarder.

— Putain, fais chier, se lamenta-t-il.

Le manteau était accroché à la patère du vestibule, sec, et visiblement nettoyé des quelques traces de boue accumulées dans la nuit. Il était impossible de ne pas remarquer l'ordre maniaque qui régnait dans l'appartement, et Dante finit par se demander si son hôte n'avait pas récemment lavé sa parka. Malgré la gêne que cela lui inspirait, il l'enfila et profita de son odeur de frais.

— Où est-ce que tu vas ?

Dante sursauta pour la seconde fois en moins d'un quart d'heure, une main dramatiquement posée contre son buste. Encore engourdi par le sommeil, Céleste l'observait depuis le salon. Il s'était emmailloté dans un cocon de couverture et bâillait à s'en décrocher la mâchoire.

— Il faut que je rentre, répondit Dante en s'efforçant d'adopter un ton sec. Mais je te remercie, grâce à toi je suis à peu près certain d'être impliqué dans le vol d'une supérette et la destruction partielle d'une bagnole.

Pendant une brève seconde, Céleste eut l'air embarrassé, puis son expression prit un air offensé.

— Tu tenais à peine debout et le chien t'aurait sauté dessus, si je n'avais pas été là ! s'indigna-t-il en pointant un doigt accusateur dans sa direction. Comment aurai-je pu savoir que le patron avait un chien planqué dans la remise ?

Dante peinait à conserver son sérieux. En réalité, il ne lui en tenait pas rigueur. À partir du moment où un risque idiot, quel qu'il soit, finissait par un retour sain et sauf en sécurité et un souvenir absurde sur lequel on pouvait s'épancher en anecdotes, il s'en fichait. Il n'avait jamais été du genre rancunier.

— J'ai la phobie des Rottweiler, à cause de toi, ajouta-t-il gravement. Je n'ai plus qu'à me payer une bonne thérapie.

La bouche ouverte dans une grimace épique, Céleste fut sur le point de répliquer, avant de se figer. Il fronça les sourcils et lui adressa un regard accusateur.

— T'es en train de te payer ma tête, c'est ça ?

Dante se tordit de rire. Après avoir essuyé les insultes du blond, il essuya une larme factice et se pencha pour nouer les lacets de ses chaussures.

— Je dois y aller, répéta Dante en se redressant. Plus sérieusement, j'espère que la police ne viendra pas me faire chier. Ne le prends pas mal, mais si c'était le cas, je nierai tout en bloc.

Céleste haussa les épaules avec indifférence, se debarassa de l'édredon posé sur ses épaules et partit enfiler ses Rangers.

— Tant que tu me balances pas, dit-il. Je peux t'accompagner ?

Sa question décontenança Dante. Céleste pliait consciencieusement sa couverture. Lorsqu'il eut terminé, il s'occupa du duvet laissé à l'abandon sur la causeuse qu'avait occupé son invité. Dante avait l'étrange impression de le connaître depuis une éternité.

— Au commissariat ? tenta de plaisanter Dante.

Céleste pouffa poliment. Il s'empara ensuite d'un post-it et d'une écriture en pattes de mouche presque illisible, informa Sawas de son retour imminent. Dante remarqua qu'il était gaucher. Visiblement, il n'attendait pas son approbation pour se permettre de l'accompagner. Il poussa un soupir mais n'eut pas le cœur de le rabrouer.

— C'est quoi cette écriture ? se moqua-t-il à la place. On dirait du morse.

Céleste lui adressa un doigt d'honneur. Ils sortirent de l'appartement et furent transpercés par le froid. Un timide rayon de soleil zébrait le ciel criblé d'une meute de nuages cotonneux.

— Au moins, il ne neige plus, se réjouit Dante. On a marché longtemps, hier ?

— Suffisamment, oui. Mais tu n'étais pas au meilleur de ta forme, ricana Céleste.

Ce fut au tour de Dante de lui faire un geste obscène.

— J'habite Rue du Vieux Pont, tu vois où c'est ? Je suis un peu perdu, admit-il humblement.

— Bien sûr. On a une bonne demi-heure de marche devant nous. Et dire que tu voulais rentrer tout seul !

Les deux adolescents s'engagèrent vivement dans la rue. C'était un dimanche tranquille. Ils croisèrent une femme qui promenait un Rottweiler à l'air doux et partirent dans un incontrôlable fou rire nerveux, évoquèrent leur dangereuse fuite par le biais du balcon gelé et du cri de Sawas à l'idée que Dante s'affale sur son siège tout en étant sale. La discussion mourut d'elle-même et ils piétinèrent pensivement la neige. Ils n'étaient plus très loin de leur destination quand Dante brisa le silence qui s'était installé.

— Je préfère te prévenir, je suis en famille d'accueil. Ce sont des gens bien. Ne dis rien de débile devant eux. Pas un mot de l'état dans lequel tu m'as trouvé hier.

Céleste resta muet quelques instants, digérant l'information transmise par Dante. Il lui jeta un coup d'œil furtif. Son complice de la veille se pinçait les lèvres. Une certaine tristesse imprégnait les traits de son visage au calme feint. Avec son teint de chérubin, ses grands yeux clairs rappelant la couleur d'une eau peu profonde et son nez tordu, il disposait d'un charme aussi rustre que juvénile.

— Pourquoi tu te marres, cette fois ? grogna Dante en écoutant le rire soudain de Céleste.

Au rythme où il l'entendait, ce son finirait par se graver impitoyablement dans son esprit.

— Je pensais juste leur dire que j'étais ton dealer, quelque chose comme ça.

Dante lui lança un regard noir.

— Par pitié, ne me force pas à te briser la nuque.

Sa menace ne fit que renforcer l'hilarité de Céleste.

— C'est ce que tu as dit au mec qui t'a pété le nez ? gloussa le blond.

Avec une fluidité déconcertante, Dante attrapa son poignet tout en glissant un pied derrière sa cheville. En un mouvement parfaitement contrôlé, il exerça une légère torsion et balança doucement Céleste dans l'épaisse couche de poudreuse, faisant attention à ne pas le blesser. Clouée au sol, sa victime était abasourdie. Dante lui offrit sa main, l'aidant à se remettre debout. 

— Je suis premier dan de karaté, crâna-t-il devant l'expression médusée du garçon.

Céleste ravala sa fierté, secoua la tête et sourit franchement.

— Snowflake, rappelle-moi de ne jamais te mettre en colère, lança-t-il en époussetant ses vêtements couverts de neige. 

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