2. ~ December's Snow

Sous la clarté faiblissante de la lune endormie, je traversais d'un pas vif la ville heureuse plongée dans une semi-obscurité. C'était la veille de Noël, et un drôle de vent soufflait, soulevant quelques paillettes de neige. Des chants de Noël résonnaient de ci de là, filtrant à travers quelques fenêtres entr'ouvertes. Les façades des maisons étaient lourdement décorées et semblaient crouler sous le poids de ces décorations. Pourquoi les gens se sentaient-ils obligés d'en faire trop et d'exhiber autant ?

Je soupirai et accélérai le pas, les semelles de mes chaussures s'e,fonçant encore plus sous mes pas dans la neige épaisse mais poudreuse. Toute cette joie, cet entrain, ces faux sourires liés aux fêtes m'irritaient et m'agaçaient. Cela me rappelait l'un des plus gros vices de l'homme : l'hypocrisie. J'avais horreur de ça.

J'accélérai encore mes pas, ne laissant qu'une traînée de neige derrière moi pour finalement arriver aux abords des bois sourds qui entouraient la ville. Là-bas, au moins je serai tranquille et pourrai passer Noël sans risquer de déranger quiconque en faisant mon rabat-joie.

Je m'enfonçai un peu plus dans les hauts bois sombres sous la lune pâlissante, et bientôt, les chants de Noël s'évaporèrent et cessèrent enfin de résonner dans mes oreilles.

« Enfin ! » pensai-je, soulagé.

Presque aussitôt, j'aperçus une clairière se dessiner sous mes yeux : les arbres s'étaient écartés. La lune paraissait briller plus intensément qu'à l'accoutumée. Elle illuminait ce petit val par ses sombres rayons et faisait scintiller la neige comme des milliers de cristaux. Et les arbres noirs gardaient ce petit jardin de lumière. Je demeurai subjugué par ce qui s'offrait à mes yeux.

Je me retournai et regardai en direction de la ville en plein débordement de nirvana faussé, d'où s'échappaient des sons discordants : ils ne savaient pas ce qu'ils manquaient !

Tous ces gens me répulsaient au plus haut point. Comment pouvaient-ils être aussi nombrilistes ?

Je soufflai bruyamment et observai la vapeur qui s'échappait de mes lèvres. Elle, au moins, elle n'avait à se soucier de rien.

Mes pas me guidèrent d'eux-mêmes au centre de la clairière où je me laissai tomber, pensif.

J'ignorai le vent glacial qui soufflait, les frissons glacés qui me parcouraient, mon corps que je ne sentais plus, et restai là, assis sur la neige de décembre. Je ne savais pas depuis combien de temps j'étais là, ni depuis combien de temps elle était là. Elle, cette froidure brûlante qui étreignait mon coeur et était mon ombre.

Je relevai la tête, cessant de contempler les cristaux qu'esquissaient la neige, et c'est là que je la vis. Je ne savais pas depuis quand elle était là, assise dans la neige, emmitouflée dans son épaisse écharpe bleue, à m'observer. Elle était belle d'une beauté glaçante, douce d'une froide délicatesse, et aussi pâle que le manteau blanc qui réchauffait le sol. Ses longs cheveux blonds presque blancs scintillaient comme mille constellations, et ses yeux d'un bleu bien trop Marine pour être ceux d'un Homme, luisaient comme deux éclats de lumière. Une aura presque mystique secouait l'air léger.

Je n'ai pas compté les secondes que nous avons passées à nous observer, l'un et l'autre. Je voulais juste que cette poussière de temps reste suspendue au-dessus du ciel, qu'elle se figeât. Je voulais juste que ce moment dire une éternité. Je voulais juste être coincé dans une espèce de boucle temporelle.

« Pourquoi n'es-tu pas là-bas ? questionna-t-elle abruptement, rompant le charme.

Je soutins son regard saphir et ne répondit pas, émerveillé par les paillettes que je voyais danser dans ses yeux. Pourvu que je tombe dedans et que je m'y noie.

— Pourquoi n'es-tu pas là-bas ? répéta-t-elle, d'une voix claire et nette, désignant de sa frêle et délicate main la ville chantante.

On aurait dit un ange brillant dans la céleste nuit.

— Parce que je n'ai rien à y faire, dis-je

Que m'arrivait-il ? Je ne parlais jamais aux inconnus, mêmes les femmes. Mais, c'était la nuit de Noël, et mon coeur avait parlé avant d'exploser en une multitude d'étincelles, faisant fondre la glace. J'avais tellement chaud que j'étais étonné que la neige autour de nous ne fondit pas.

— Et pourquoi ça ? fit-elle, avec curiosité, m'observant de ses grands yeux où se reflétait le pâle miroir des étoiles.

— Parce que, répondis-je du tac au tac, il y a des gens qui scintillent par leur noirceur, des gens malheureux qu'on ne peut faire sourire, des gens tombés et brisés comme des verres éclatés. Des gens qu'on ne peut plus sauver. Des gens qu'on ne peut plus aimer.

— Alors c'est pour ça que tu n'y es pas. Parce que tu ne veux pas affronter la joie, murmura-t-elle

— Parce que je ne veux plus me mentir à moi-même, corrigeai-je.

Un long silence s'ensuivit. Je n'entendais rien, rien, exceptées les notes lointaines de la ville endormie, mêlées aux doux sons que rendait chaque flocon de neige en frappant le sol.

Ce silence ne me dérangeait pas. J'avais l'impression qu'il était riche. Riche de tout. Tout l'or du monde ne valait pas cet instant où j'étais bloqué dans son regard.

Soudain, elle s'avança vers moi et traversa la clairière. Elle s'assit à côté de moi, toujours en silence, et posa sa tête sur mon épaule. Je lui jetai un regard surpris mais ne me dégageai pas. J'aimais la sentir près de moi. C'était curieux : j'avais une impression de déjà-vu, de connaître cette mystérieuse jeune femme.

— Je lis en toi, déclara-t-elle, en relevant la tête, m'observant de ses prunelles

— Et que lis-tu ? fis-je, en haussant un sourcil.

Elle plissa les yeux :
— De la tristesse et de la rage. Tu es une mer déchaînée par la colère et les ravages. Tu en veux au monde entier.

— Tu ne m'apprends rien, répliquai-je, sarcastiquement

— Ce n'est pas de ma faute si tu es un livre ouvert ! rétorqua-t-elle en levant les yeux au ciel. Tu es prétentieux ! Toujours à te croire pire que les autres !

— Tu te contredis.

— Non, être prétentieux n'est pas seulement se croire meilleur que les autres, mais aussi se croire inférieur aux autres. Si tu analyses les deux cas de figure, tu vois un point commun : on se ment à soi-même. Il y a un juste milieu, et c'est vers ça que tu dois tendre.

Je ne répondis pas. Depuis quand manquer de confiance en soi était prétentieux ? Cette fille était stupide pour être convaincue par de telles choses.

— Tu sais ce qu'est Noël ? interrogea-t-elle.

Je roulai des yeux. Bien-sûr que je savais ce qu'était Noël ! Pour qui me prenait-elle ?

— Évidemment ! m'exclamai-je, c'est une fête religieuse devenue commerciale, où tout le monde vit dans l'opulence et le superflu ! On reçoit des cadeaux et on en offre !

— Non, qu'est-ce que c'est Noël ? répéta-t-elle, me fixant gravement.

Je soufflai, exaspéré.

— On fête la naissance du petit Jésus venu-...

— Non, qu'est-ce que c'est Noël ? insista-t-elle

— Je t'ai déjà répondu ! Que veux-tu que je te dise de plus ?

— Tu te trompes, dit-elle, calmement

— Dis-le moi, bordel !

Elle poussa un léger soupir et sourit légèrement avant de tout déclarer d'une traite :

— Noël, c'est le temps du partage. Chacun partage la joie de son coeur avec son voisin.

Je partis d'un rire sarcastique :
— Justement, je n'ai plus de joie à offrir à quiconque !

Elle m'ignore et continua :
— C'est aussi le temps du secret. Chacun prépare soigneusement ses cadeaux pour ses proches et les cache, voulant garder la surprise. Ces cadeaux sont choisis avec amour, pensés et réfléchis, pour offrir un sourire à chacun, et faire le bonheur de tous. Il n'y a rien de plus beau que de voir ses proches sourire, heureux. Et, automatiquement, nous sourions car leur joie vit aussi dans nos coeur. C'est le plaisir de recevoir, mais surtout d'offrir : on offre une bribe de joie, une petite étincelle qui déclenche un brasier. C'est ça Noël.

— D'accord. Et alors ? Quel est le rapport avec moi ?

— Tu ne le vois donc pas ? On a tous quelque chose à offrir.

— Je n'ai ni argent ni bonheur, rétorquai-je, mes parents m'ont fichu dehors pour les dix-huit ans, il y a de cela deux ans. " Bienvenue dans le monde des adultes" ironisai-je. Sais-tu ce que c'est de voir tous ces gens heureux ? Avec trop de choses ? Alors que moi, je n'ai rien !

— Oui, je le sais, répondit-elle

— Alors comment peux-tu dire de telles choses ?

— Parce qu'il te reste toujours l'espoir et l'amour. Oui, c'est cliché, oui c'est niais, mais c'est un petit rien qui peut faire le bonheur de tout un chacun. C'est dans ta tête, indiqua-t-elle, en tapotant ma tempe.

Sur ce, elle se leva. Elle s'apprêtait à me quitter.

— Non ! Reste s'il-te-plaît, la retins-je.

Elle se tourna vers loi et le sourit. Elle m'observant étrangement.

— J'apprécie ta compagnie, me justifiai-je.

Elle hocha la tête et se remit à côté de moi.

— Merci, dis-je tout bas, tu es la première à rester près de moi depuis bien longtemps.

Elle sourit simplement et je vis ses yeux bleus scintiller comme des étoiles.

J'avais l'impression d'être totalement dépendant de son regard. Elle m'hypnotisait. C'était comme si mes yeux étaient accrochés aux siens, que mon âme se mêlait à la sienne. Alors, c'est tout naturellement que j'entremêlai nos doigts. Je souris. Ça faisait si longtemps que je n'avais pas souris. J'avais même oublié ce que ça faisait de sourire, la manière dont ma bouche s'étirait pour montrer sa joie au monde entier.

C'était elle mon bonheur.

Elle ne faisait rien, elle, la neige de décembre. Elle se contentait de m'observer, de lire en moi, de me réchauffer, de nous brûler, moi et mon coeur. Elle me regardait. Elle attendait sûrement quelque chose.

Je passai ma main dans ses cheveux blancs parsemés de paillettes étincelantes et posai ma main sur sa joue froide.

C'était Noël, après tout.

J'avançai mon visage vers le sien. Je n'avais fait ça que peu de fois dans ma vie. Mes lèvres gercées rencontrèrent ses lèvres brûlées par le froid. Je ne ressentis pas de bouffée de chaleur, non, je ressentis les flammes glacées de l'enfer. Elles m'étreignirent, n'approfondisse le baiser, me brûlant encore plus la bouche. Tant pis. C'était si bon. Ça faisait si longtemps que je ne l'avais pas ressenti, ça, l'amour. Elle sépara doucement nos lèvres et me sourit. La chaleur de ses baisers laissèrent place au froid mordant.

Elle approcha ses lèvres de mon oreille :
— N'oublie pas, chuchota-t-elle, c'est dans la tête.

Je souris à nouveau, heureux, et la serrai dans mes bras. Jamais je n'avais été aussi comblé.

25 décembre, matin, point de vue omniscient

Au milieu des bois noirs, reposait un corps sans vie. Celui d'un jeune homme de vingt ans, complètement gelé, bleu de la tête aux pieds, seul, sans rien autour de lui, ni empreintes de pas, ni aucune arme ou indice attestant d'un meurtre ou d'un suicide. Non, il était simplement mort de froid. Un sourire étirait ses lèvres.

Les gens s'horrifièrent face à cette mort qu'ils jugeaient injuste. Mais qui avait été là pour lui ? Elle. Les gens ignoraient qu'il était heureux dans la mort, qu'il l'avait rejointe, elle, la neige de décembre. Elle l'avait entraîné dans son sillage. Elle lui avait offert son bonheur.

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~ Je vous souhaite un joyeux Noël !

Profitez bien de vos proches !

Bisous !

Honey.

Twitter : ohhhmyhoneyy

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