Chapitre 38


La tête appuyée contre la vitre du funiculaire, j'observe les sapins défiler en montant vers les Arcs avec un bâillement. Je n'ai clairement pas assez dormi cette nuit. Hier soir, ou plutôt ce matin, Cath' et moi nous sommes couchées vers cinq heures, soi un très mauvais horaire pour quelqu'un qui a quatre heures d'entraînement intensif le lendemain. Nous nous sommes réveillées vers onze heures, et j'ai du filer chez moi en quatrième vitesse pour avaler un déjeuner, me changer et courir attraper le funiculaire de midi quarante. Mon regard ensommeillé se pose sur les quelques enfants attroupés en bas du funiculaire, où ont été placés une multitude d'interrupteurs et de leviers inutiles pour qu'ils puissent s'amuser à « conduire » la cabine. Un léger sourire prend place sur mes lèvres en songeant à quel point mes petits cousins adorent s'amuser avec cette mise en place, et je sors mon portable qui vient de vibrer de ma poche.

Une bouffée d'espoir me gagne malgré moi, mais retombe immédiatement lorsque je lis le nom de Cath' sur l'écran. Ce n'est pas vraiment le message que j'attendais. Il ne m'en a toujours pas envoyé, et cela commence à faire longtemps. Depuis jeudi soir, en fait. A vrai dire, je ne suis pas en position de me plaindre, puisque je n'ai pas cherché à le contacter non plus. Cependant, Tristan me manque terriblement, et cet éloignement progressif qui nous ronge depuis la soirée me fait peur. Jusque là, que cela soit en tant qu'amis ou couple, nous ne nous étions jamais vraiment disputés, nous étions toujours d'accord, ou alors nous faisions des concessions et ne prenions aucun différent au sérieux. Pourquoi a-t-il fallu que cela change? Parce que tu es une jalouse excessive, et tu ne sais pas lui faire confiance. Mon cœur se serre et je déverrouille mon portable pour consulter le message de Catherine, un petit sourire amusé se frayant un chemin jusqu'à mes lèvres en le lisant, chassant mon humeur maussade.

De: Cath'

Vu que tu m'as dit de me concentrer sur d'autres mecs pour me changer les idées, je me disais, et si je m'inscrivais sur un site de rencontres? xD
Non, plus sérieusement, Lucas me fait du rentre dedans depuis quelques temps, t'en penses quoi?

Je relève les yeux et les pose sur les montagnes qui s'étendent devant moi, fouillant dans ma mémoire à la recherche d'un dénommé Lucas. Un visage s'impose enfin à moi, celui d'un garçon de terminale qui était dans notre classe en première et en troisième. Blond aux yeux bleus avec de petites bouclettes, il fait partie du même orchestre que Catherine. Tandis qu'elle joue du violon, il me semble que lui est au violoncelle. Il est plutôt mignon, mais pas vraiment le style de mon amie, qui, si je l'ai bien compris, se résume en un mot: Michael. Soi l'extrême opposé de Lucas. Toutefois, les vagues souvenirs que je garde de lui me semblent plutôt bons, alors je lui tape rapidement une réponse positive. De toutes manières, l'objectif premier n'est pas de la caser, mais de lui changer les idées.

Violemment tirée hors de mes pensées, je manque de tomber à la renverse lorsque le funiculaire s'arrête avec un à-coup, et m'aggripe à la barre métallique en rattrapant mes skis au dernier moment avant qu'ils ne s'écroulent pour aller assommer un enfant. Les calant sur mon épaule, je sors de la rame et monte jusqu'au télésiège d'un pas alourdi par mes chaussures de ski, Laurent m'attendant juste devant, comme toujours. En me voyant arriver, il agite la main dans ma direction en m'interpellant, comme si je ne connaissais pas par cœur l'endroit exact où il se trouvait. Arrivant à sa hauteur, je laisse mes skis tomber dans la neige pour les chausser, et descends la fermeture-éclair de mon blouson, assaillie par la chaleur du début du mois de mars. La neige est en train de fondre à vue d'œil, et voir la partie enneigée des montagnes se réduire petit à petit me serre le cœur, comme tous les ans. Dans un mois, deux tout au plus, la saison sera officiellement terminée, et je devrai attendre des mois avant de pouvoir vraiment skier à nouveau. Bien sûr, je pourrai toujours me rendre sur les glaciers, mais pas aussi souvent.

« Il doit faire au moins quinze degrés, non? je grogne en finissant par retirer mon manteau pour en nouer les manches autour de ma taille.

- Douze! » rit-il doucement en me voyant m'affairer.

Une fois prête, je redresse la tête en arborant un grand sourire forcé. J'ai beau être assez tourmentée ces derniers jours, je suis heureuse de venir m'entraîner, car je vais pouvoir me concentrer sur mes objectifs, et sur une seule chose simple et sans histoires: le ski. De toutes manières, cette partie de ma vie a tout particulièrement besoin de toute mon attention en ce moment, les championnats étant imminents. Tristan, Cath' et Michael peuvent bien attendre.

*

Épuisée, je me laisse glisser jusqu'à mon entraîneur, les cuisses et les mollets trop douloureux pour faire un effort de plus. Je n'ai pas eu droit à une seule pause cet après-midi, mis à part les montées en télésiège, et je suis exténuée. Ma nuit beaucoup trop courte et tardive n'a probablement pas aidé à me garder sur pieds. En me voyant arriver, Laurent éclate de rire.

« T'es HS à ce que je vois! »

Pour toute réponse, je pousse un gémissement plaintif me laissant tomber dans la neige.

« Aller, va, tu as bien bossé. sourit-il alors que je reste étendue dans par terre, skis aux pieds et bâtons dans les mains. D'ailleurs pour samedi... »

Aussitôt que ces deux derniers mots quittent ses lèvres, le stress me gagne. Samedi. Dans moins d'une semaine, je participe aux championnats de France. C'est ce que j'attends depuis des mois, et j'en suis enfin plus proche que jamais, mais l'angoisse commence à me gagner. Serai-je à la hauteur de mes concurrentes? Ai-je ma place dans cette compétition? Est-ce que je serai assez concentrée malgré tous mes tracas? Et qui viendras me supporter? Est-ce que Tristan viendra? Oui, il viendra sûrement. Ou peut-être pas? Et si nous ne nous reparlions pas d'ici là? Calme-toi. Quoi qu'il arrive, je serai prête pour le jour J. Si Laurent me fait confiance, alors je peux me faire confiance aussi.
Cela fait des années que je m'entraîne pour ça, je vais y arriver. Je n'ai aucune raison d'échouer. Et, si jamais je ne réussis pas aussi bien que je pourrais, mais ma vie ne sera pas finie pour autant. Quoique. Je pousse un soupir, lasse de cette lutte intérieure, que je ne vis pas pour la première fois. En réalité, l'appréhension, la peur de l'échec, de décevoir mon entraîneur, ma famille, et de me décevoir moi-même, m'emplissent à chaque fois que je suis sur le point de participer à une compétition. Et celle-ci étant la première d'une telle envergure, mon stress est décuplé. Même si, je l'avoue, cette inquiétude est mêlée d'excitation à l'idée de fouler un slalom aussi important, de vivre ce moment de flottement juste avant de me lancer sur la piste, d'entendre le vent siffler dans mes oreilles et mes skis crisser sur la neige en percevant la voix lointaine du commentateur.

Après quelques minutes, je finis tout de même par me relever. Mon coach me salue avant de filer vers le club où il a rendez-vous dans dix minutes, et me laisse descendre seule jusqu'au funiculaire. En arrivant en bas de la piste, je me penche en avant pour déchausser mes skis et desserrer les fixations de mes chaussures. En me redressant, je sursaute violemment en découvrant quelqu'un planté juste devant moi. Pas n'importe quel quelqu'un, chuchote une voix dans ma tête.

Tristan sourit maladroitement en en tendant la main pour attraper mes skis comme à chaque fois, mais cette fois-ci, malgré mes muscles endoloris, j'esquisse un mouvement de recul pour l'en empêcher. Ses sourcils se froncent alors qu'un éclair de déception passe sur son visage. Je m'en veux aussitôt, mais ne corrige pas mon geste. Parce que même si je le regrette, il était instinctif, volontaire. L'air hésitant, il fourre ses mains dans les poches de sa veste fourrée pour se redonner contenance. Nous restons immobiles pendant de longues secondes, nous fixant dans le blanc des yeux, avant qu'il ne détourne le regard en se grattant nerveusement la nuque. Un sentiment de vide me serre le cœur malgré moi alors que ses iris chaudes et rassurantes quittent les miennes.

« Je suis venu te chercher pour qu'on aille boire un chocolat chaud... » annonce-t-il timidement en jouant avec la neige du bout de sa chaussure.

Une boule se forme dans ma gorge, et me contrains à déglutir à plusieurs reprises. C'est ce que j'attendais depuis plusieurs jours, pourtant. Qu'il vienne me voir, qu'il me fasse comprendre que Diane n'est personne, que c'est moi qu'il veut, qu'il me montre que, malgré notre dispute, nous sommes toujours ensemble comme avant. Cependant, en le voyant face à moi aujourd'hui, toutes ces attentes semblent s'être évaporées, et, ma fatigue s'additionnant au froid qui règne entre nous, je me trouve à ne pas avoir envie de lui parler.

« Je suis crevée, je ferais mieux de rentrer... » je souffle.

Il ouvre la bouche, puis la referme, plongeant son regard implorant dans le mien. L'espace d'une seconde, je m'accroche à ses orbes mordorées que j'aime tant, avant de tourner la tête à mon tour. Je demeure immobile un court instant, avant de commencer à marcher vers le funiculaire. J'ai le temps de faire la moitié du chemin avant d'entendre le bruit sourd de ses chaussures qui tambourinent sur le sol alors qu'il court à la rencontre. Sa main se pose sur mon bras pour me retenir.

« Alice, s'il te plaît... » souffle-t-il.

Je secoue l'épaule pour qu'il me lâche, ce qu'il finit par faire, et rejoins la station sans me retourner. Alors que je rentre dans la rame, Tristan monte derrière moi, et je sens son regard sur moi pendant toute la descente, bien que je fasse de mon mieux pour garder le mien vissé sur mes skis.

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