Chapitre 20


Pendant le reste de la semaine, respectant un accord tacite, Tristan et moi nous débrouillons pour ne pas nous retrouver tous les deux, et nous n'échangeons que quelques mots par obligation. Il commence vite à me manquer, mais j'ai trop peur pour aller le voir.

On est vendredi soir, c'est le début des vacances de février, et j'en suis reconnaissante parce que j'ai vraiment besoin de réfléchir tranquillement. Ma mère m'a demandée d'acheter deux baguettes pour le dîner, alors je passe à la boulangerie avant de rentrer à pieds. Le retour me prendra un peu moins d'une demie-heure, mais le chemin est agréable, il se trouve le long du torrent et il fait encore jour, c'est pourquoi je le fais volontiers.

Je suis surexcitée parce que Louis rentre ce soir pour les vacances, et nous partons à Paris tous ensemble demain. Cependant, est-ce que je m'attendais, en sortant de la boulangerie, à le voir attablé à la terrasse d'un café avec une jolie brune? Non, pas vraiment. Je me cache dans le recoin d'une porte, le cœur battant. Je ne veux pas qu'ils me voient. Je ne veux pas gâcher leur moment.

Louis se penche en avant et ils s'embrassent brièvement. Mal à l'aise, je commence à m'éloigner en rasant les murs, tout en les observant. Cependant, je me fige lorsque Louis s'écarte d'elle et que nos regards se croisent. Merde.

Il semble hésiter pendant quelques secondes, avant de me sourire et de me faire signe de venir. Je m'approche donc d'eux, gênée de les interrompre. J'arrive devant leur table, et le regard de la jeune femme alterne entre mon frère et moi, un sourire hésitant se dessinant sur ses lèvres.

« Alice, je te présente Marine, ma copine. Marine, voici Alice, ma petite sœur.

- Mais non! je m'exclame, surexcitée. Marine, Marine?

- Euh... Ben oui... »

Je sautille sur place, sans pouvoir m'en empêcher. J'avais raison! J'étais sûre à cent pourcents qu'ils finiraient ensemble. Marine me regarde, l'air intimidée mais contente de me rencontrer. Elle est vraiment belle, et ils vont à merveille ensemble. Son visage rond de poupée est bordé par de longs cheveux noirs, ses yeux verts sont doux et bienveillants, et sa peau pâle est parsemée de taches de rousseur, surtout son nez et ses pommettes, rougis par le froid.

Elle se lève pour me faire la bise, et se rassoit. Immédiatement, j'invente une excuse pour rentrer en vitesse à la maison, et, aussitôt franchi le pas de la porte, je balance mes chaussures dans l'entrée précipitamment.

« Maman! » je hurle.

Je l'entends descendre les escaliers et elle arrive devant moi, surprise.

« Ne crie pas comme ça Alice! grogne-t-elle.

- Louis vient avec sa copine pour le dîner? je lâche, ignorant sa réprimande.

- Oh, oui. Comment le sais-tu? Il voulait te faire la surprise.

- Je viens de les croiser devant la boulangerie. Mais attends il faut s'organiser, lui faire un bel accueil, qu'elle aie une bonne impression de sa future famille! » je m'emporte.

Ma mère éclate de rire, me vexant au passage.

« N'exagère pas non plus. Mais tu as raison, il faudrait que ce soit spécial...

- Ok parfait, je vais passer l'aspi, et aller dire à Théo et Camille de s'habiller bien.

- N'en fais pas des caisses non plus, Alice, d'accord? glousse-t-elle.

- Mais non, mais non t'inquiète. » je la rassure en lui décochant un clin d'œil.

Je monte l'escalier quatre à quatre et, après avoir pris une douche et revêtu des collants et un pull noirs avec une jupe en jean, j'entre dans la chambre de Camille qui, assise à son bureau, écoute de la musique en travaillant.

« Caaaaam'! »je m'exclame en sautant sur son lit.

Elle fait pivoter sa chaise pour que je puisse la voir lever les yeux au ciel.

« Qu'est-ce t'as la vieille ? »

J'arque un sourcil, ou du moins j'essaye, outrée.

« Je voulais te dire que Louis ramène sa copine ce soir... » je marmonne.

Ses yeux bleus s'écarquillent alors qu'un grand sourire illumine son visage.

« Mais non!

- Mais si! je souris. Donc, » conclus-je en descendant de son lit pour lui tapoter sur l'épaule, « fais-toi jolie et descend m'aider à mettre la table. »

Elle secoue la tête en souriant, incrédule, avant d'acquiescer. Je toque à la porte de Théophile et passe ma tête dans l'embrasure. Mon petit frère est allongé sur son lit, un livre dans les mains, par lequel il n'a pas l'air vraiment passionné. En m'entendant, il relève la tête et grimace.

« J'en ai marre de ma prof de français Lili! geint-il. Il est nul ce livre, en plus je comprends rien! »

Je m'approche de lui et m'assoie sur son lit avant de prendre le livre pour voir le titre. Du théâtre classique. Je n'aimais pas beaucoup ce genre de lectures imposées à son âge, je m'en souviens. Je me tourne vers lui pour voir ses grands yeux m'examiner.

« T'es trop belle. il dit simplement en me souriant.

- Merci chou, je rigole en ébouriffant ses cheveux affectueusement. Louis a invité son amoureuse à dîner ce soir, alors mets une chemise pour faire bonne impression s'il te plaît »

Il hoche la tête, et je quitte sa chambre pour redescendre dans le salon. Camille et Théo descendent rapidement, et je suis heureuse de voir qu'ils ont fait un effort. Cam' a mis une jolie robe blanche à motifs rouges et arrangé ses cheveux blonds, et Théo arbore une chemise bleue et des cheveux peignés.

Les deux jeunes adolescents suivent mes instructions et bientôt, le ménage est fait et la table mise, chemin de table et jolie vaisselle compris.

À peine une demi-heure plus tard, la sonnette retentit et je cours à la porte. Je l'ouvre sur mon frère et Marine, souriant et aussi adorables que tout à l'heure. Je m'écarte pour les laisser entrer, elle en première. Alors qu'elle fait timidement la bise à ma mère, je me hisse sur la pointe des pieds pour claquer un bisou sur la joue de Louis.

« Petit cachotier, je lui chuchote à l'oreille, tu voulais me faire la surprise à moi?

- Oui. ricane-t-il en s'écartant. C'est un échec total.

- Effectivement. »

Nous passons au salon et Camille saute dans les bras de notre grand frère, sous le regard attendri de Marine.

Lorsque nous nous asseyons à table, ils s'installent l'un à côté de l'autre, et moi en face d'eux. Nous discutons tous ensemble, et je sens tout de suite que mes parents l'apprécient. Elle paraît d'un naturel doux et timide, mais connaissant bien mon frère, je sais qu'elle cache plus que ça: je peux voir à la façon dont il la regarde qu'il est déjà très amoureux.

« Alors! demande mon père. Comment vous êtes-vous rencontrés? »

Marine et Louis échangent un regard et mon grand frère rit légèrement alors que sa petite amie sourit en rougissant.

« C'est assez drôle en fait. commence-t-elle d'une petite voix. C'était à l'école au mois de décembre, il avait pas mal neigé et le sol était glissant. »

Elle marque une pause et jette un coup d'œil à mon frère qui lui adresse un sourire encourageant en la couvant du regard. Ils sont juste adorables. Marc ne m'a jamais regardée comme cela, je crois. Je me sentais belle sous ses yeux, oui. Mais il ne m'a jamais regardée comme si j'étais la chose la plus précieuse de son univers, comme si j'étais la prunelle de ses yeux qu'il donnerait tout pour protéger. Et je comprends maintenant que ce que je voyais dans les yeux de Marc et que je prenais pour de l'amour, n'en était pas.

« Je traversais la cour, poursuit-elle, et j'ai glissé sur une plaque de verglas. Toutes mes affaires se sont répandues par terre, et je me suis foulé la cheville. Louis est alors arrivé, » continue-t-elle en lui jetant un regard tendre « il a ramassé toutes mes affaires et m'a portée jusqu'à l'infirmerie. Il est resté avec moi jusqu'à que l'ambulance arrive, et nous nous sommes beaucoup rapprochés à partir de là. »

Elle conclut avec un petit sourire timide, que ma mère lui rend, radieuse.

« C'est adorable! » commente-t-elle, et je peux voir dans ses yeux bleus à quel point elle est fière de voir mon frère comme cela.

En les voyant ainsi, et l'admiration de mes parents pour leur couple, je ne peux m'empêcher d'être envieuse. Je sais que je suis bien plus jeune qu'eux, et que j'ai encore du temps avant de devoir chercher le grand amour, mais c'est plus fort que moi. J'ai envie de vivre ça avec quelqu'un, j'ai envie d'aimer quelqu'un qui m'aime vraiment en retour, de prendre soin de lui et qu'il prenne soin de moi. Mais en même temps, je n'ai pas envie de me replonger dans une histoire maintenant. J'ai trop peur. Trop peur d'être déçue, trop peur de me rendre compte encore une fois que je m'étais trompée sur la personne.

Après le dîner, Louis sort sur la terrasse fumer une cigarette. Je le suis à l'extérieur et l'observe se pencher en avant et s'accouder sur la rambarde en allumant sa cigarette. Je m'assoie sur la barrière, les yeux rivés sur son visage paisible, le ruissellement du torrent comblant notre silence.

« Tu l'aimes vraiment beaucoup, n'est-ce pas? » je demande en observant Marine discuter avec ma sœur à travers la vitre séparant le salon de la terrasse.

« Oui. Énormément. »répond-il simplement , le regard perdu dans les montagnes éclairées par la lune.

Il tire une taffe et je me renfrogne quelque peu. Je déteste voir mon frère fumer, il le sait très bien. Notre grand-père est mort d'un cancer du poumon après avoir fumé comme un pompier pendant plus de cinquante ans, et lorsque je vois Louis expirer cette fumée, j'ai peur pour sa santé.

« Maman m'a dit que tu n'étais plus avec Marc. » déclare-t-il de but en blanc.

Ma gorge se sert et mon regard se perd dans les bouillonnements du torrent. Je n'ai pas envie de penser à lui. J'aimerais juste qu'il sorte une bonne fois pour toute de ma vie et de ma tête, comme un nuage chassé par le vent. Cependant, il semble qu'il n'y aie pas vraiment de vent, ces temps-ci.

« Effectivement. je lâche. On a rompu il y a quelques jours. »

Il se tourne vers moi et je relève mes yeux pour voir son visage inquiet.

« Comment tu le vis, toi? »

Je crois que c'est la première fois qu'on me pose cette question depuis la rupture. Les autres se contentent de me dire à quel point Marc est un connard, qu'il ne me méritait pas, mais ils n'ont pas cherché à savoir comment je me sentais vis à vis de tout cela. Et au fond, ça ne m'étonne pas que ce soit mon frère qui me pose cette question. Je suis juste soulagée de voir que, malgré l'éloignement, il trouve toujours les mots justes pour me faire avancer, et est là pour m'écouter et décrypter ce dont j'ai inconsciemment besoin.

« Je ne sais pas trop » j'hésite, les yeux rivés sur mes pieds que je balance doucement. « D'un côté, je suis soulagée parce que je me dis que vu à quel point il me menait en bateau, c'est une bonne chose que cela aie été révélé au grand jour. Je vais pouvoir passer à autre chose et pas rester bloquée avec quelqu'un comme lui. Mais, parallèlement à ça, je ne vais pas me voiler la face en disant qu'il ne me manque pas. Enfin, je ne sais pas vraiment si c'est lui qui me manque ou notre couple, nos bons souvenirs ensemble. Malgré tout j'aimais être avec lui, je m'étais accoutumée à ce que nous soyons ensemble, et je l'aimais vraiment, je crois. Je veux dire, à mon échelle, huit mois de relation, c'est beaucoup.

- Je te comprends, Alice. Tu as complètement le droit d'être triste, déprimée, indécise, perdue. C'est normal. Normal que tu pleures, que tu aies des coups de mou. Tout cela est normal et légitime, ok? »

Sa main se pose sur mon épaule et son regard plonge dans le mien avant qu'il ne m'attire vers lui pour me serrer contre son cœur.

« L'important c'est que, quand tu seras prête, tu te relèves vraiment et que tu le laisses dans ton passé, sans plus te retourner. Tu n'y penseras que pour ne pas reproduire les mêmes erreurs, mais pas parce que tu le regrettes. Jamais parce que tu le regrettes. Il te servira juste d'expérience, pour que la prochaine fois, cela se passe mieux. J'ai vécu ça, on a tous vécu ça. Et un jour, tu trouveras une personne, qui sera plus spéciale que tous les autres. Tu te seras cassé la figure, plusieurs fois. Tu auras des cicatrices, mais cette personne sera là pour t'aider à les soigner. Tu trouveras quelqu'un de sincère, qui ne veuille que ton bien et qui prenne autant soin de toi que toi de lui. Je te le promets. »

La tête enfouie dans le pull de Louis, j'inspire à fond l'odeur familière de son eau de Cologne, laissant quelques larmes rouler sur mes joues. Sa main caresse doucement mon dos, tout doucement, et je me sens protégée, en sécurité. Je sais que quoi qu'il advienne, il sera toujours là pour moi, pour me guider. Après un long silence, je lève la tête pour le regarder.

« Pour toi, c'est Marine, cette personne? » je lui demande d'une petite voix.

Il sourit doucement, amusé, et tourne la tête vers le salon, posant un regard tendre sur sa copine.

« C'est vraiment tôt pour pouvoir le dire, Alice. Mais j'espère que c'est elle, oui. »

                            ****

𝕆𝕦𝕓𝕝𝕚𝕖𝕫 𝕡𝕒𝕤 𝕕𝕖 𝕧𝕠𝕥𝕖𝕣 𝕤𝕚 𝕔̧𝕒 𝕧𝕠𝕦𝕤 𝕡𝕝𝕒𝕚̂𝕥, 𝕖𝕥 𝕕𝕖 𝕞𝕖 𝕗𝕒𝕚𝕣𝕖 𝕡𝕒𝕣𝕥 𝕕𝕖 𝕧𝕠𝕥𝕣𝕖 𝕒𝕧𝕚𝕤 😊💜

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top