35.
Ruggero
Il est minuit vingt, ça fait à peu près trois heures que la soirée a commencé, le salon est plongé dans un jeu de lumières multicolores jonchant sur les visages heureux des personnes du groupe. Je n'ai presque pas bu et mes fesses sont posées sur une chaise depuis maintenant bientôt une heure. Je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai accepté cette invitation. Peut-être pour faire plaisir aux garçons, ou alors pour me convaincre moi-même que je vais bien. J'en sais rien en fait. Ça fait des mois que je ne sais plus rien, que je fais tout de travers, que j'ai l'impression de ne pas arriver à me comprendre ou à comprendre les autres. C'est comme si j'étais à part des gens, loin du monde, tout en étant très près.
Tout à coup, la musique se baisse. J'aperçois Michael - une bière à la main - se tourner vers nous après avoir modifié le son de l'enceinte, puis il s'écrie :
- J'ai envie d'aller faire un tour dehors, qui me suis ?
Il ne faut pas beaucoup de temps à Agustin pour sauter sur le dos du brun en approuvant son idée. Les filles - un peu sous l'emprise de l'alcool - acquiescent tout sourire, et les autres membres du groupe se joignent aussitôt à la sortie improvisée. Je suis le seul à décliner, protestant une soudaine migraine. Michael et Agustin tentent de me faire changer d'avis les premières secondes, mais abandonnent en m'expliquant que si j'avais besoin de quelque chose ou que si je changeais soudainement d'avis je pouvais les appeler. Je hoche la tête et les regarde partir, bras dessus bras dessous de l'appartement.
Je soupire lorsque la porte claque. La pièce est de nouveau devenue calme, et le silence remplace le son bien trop fort de la musique.
Je passe mes mains dans mes cheveux, et attrape mon verre d'eau avant de le boire d'une traite. Je crois que j'avais besoin d'être seul, loin d'eux, loin du bruit ou de leurs éclats de rire. J'avais besoin de me retrouver sans personne, même si c'est ce que je fais depuis déjà quelques jours.
Malgré le silence assommant de la pièce, un claquement régulier sur le parquet de l'appartement vient casser cette ambiance glaçante. Mes sourcils se froncent, je tourne la tête en direction du bruit puis finalement c'est la silhouette de Karol qui apparaît au milieu du salon. Elle s'arrête, confuse que la fête soit déjà finie, et pose son regard sur moi d'un air surpris.
- Ils sont passés où ? me demande-t-elle troublée.
- Michael voulait faire un tour dehors alors, les autres l'ont suivi.
Ses épaules s'affaissent et sans s'en rendre compte elle fait la moue.
- Ils auraient pu m'attendre, j'étais juste partie changer de robe à cause du verre que Jorge m'a renversé dessus.
- Pourquoi t'es pas allé avec eux toi ? continue-t-elle.
Je pourrais être surpris qu'elle m'adresse autant la parole ce soir, puis qu'elle vienne s'installer sur la chaise à côté de moi, mais, elle aussi a un peu bu ce soir.
- J'étais fatigué.
- Et tu l'es plus maintenant ?
- Si, un peu.
- Tu veux que je te laisse dormir ?
- Non, ça va, tu peux rester.
Quand moi je devient sentimental lorsque je bois, Karol, elle, est plutôt du genre à devenir une enfant.
- Je m'ennuie.
- Tu veux rejoindre les autres ?
Elle hausse les épaules.
- Je vais me perdre si j'y vais, puis j'ai peur seule dans la rue.
- Je t'accompagne si tu veux.
- Non ça va, j'ai pas envie d'y aller. Mais merci quand même.
Elle lisse du revers de sa main, sa nouvelle robe en soie. Si la première était blanche ornée de strass argentés, celle-ci est bleu ciel, simple, sans extravagance. Mais bizarrement, elle contraste mieux avec la couleur de ses cheveux et de ses yeux.
- Dis Ruggero ?
- Mmh ?
- Ça fait combien de temps qu'on se connaît ?
- Non parce que j'y pensais la dernière fois, ça fait déjà sept ans avec Valu et Caro, mais avec toi du coup ? Quand est-ce qu'on s'est rencontré pour la première fois ?
- C'était au collège je crois.
En fait j'en suis sûr. On était en quatrième, et je la trouvais jolie. Elle pensait qu'on avait rien en commun alors elle m'ignorait tandis que les garçons l'adoraient. Mon égo de garçon con en a prit un coup, alors au fils des années je me suis persuadé qu'on avait rien à voir ensemble, et qu'à part l'attirance physique rien ne pouvait nous relier.
- C'est vrai, on était tombé dans la même classe en..quatrième c'est ça ?
- Oui c'est ça.
- Alors ça fait cinq ans. C'est drôle, à l'époque je n'aurais pas pensé qu'on aurait traversé tout ça.
Et étrangement, à l'entente de cette phrase, mon cœur me pique. Comme si tous nos souvenirs étaient en train de se dérouler dans mon esprit, je la revois rire à plusieurs reprises, rouler des yeux à mes nombreuses blagues, me crier dessus. Je revois son sourire lorsque ma mère a annoncé que je pouvais rester à Buenos Aires, ses sourcils se froncer durant notre première discussion sérieuse et puis je la revois dans sa robe et entre mes bras lors du slow de notre premier baiser. Puis maintenant, je vois notre relation, je l'ai vu se dégrader, nous faire du mal, me détruire et je me demande comment on en est arrivé là.
- Pourquoi tu me détestais à l'époque ?
Ma question la surprend, elle se tourne vers moi et me questionne du regard.
- Au collège, pourquoi tu ne m'aimais pas ?
Elle hausse les épaules une nouvelle fois en faisant la grimace.
- Tu paraissais égocentrique.
- Mais je l'ai toujours été. Pourquoi au collège ça te dérangeait ?
- J'en sais rien, je suppose que j'avais pas le même humour qu'au lycée.
- Il devait bien y avoir quelque chose, je t'ai jamais dit où fait quelque chose qui t'as blessé ?
- Non...mais pourquoi c'est si important pour toi de savoir ça ? C'est pas grave Ruggero...
- Parce qu'à cause de ça il a fallut qu'on me propose un pari pour que j'ai le courage de venir t'avouer que je t'aimais bien.
Elle me regarde, et je regrette d'avoir dit ça si rapidement sans réfléchir.
- Non pardon, j'aurais pas dû dire ça, ça rime à rien.
- C'est pas grave, il fallait que ça sorte, je suppose.
Un ange passe. La pièce redevient silencieuse, Karol fuit mon regard et je me sens tout bonnement débile. Faut croire que les quelques verres que j'ai bu étaient déjà de trop.
- Karol, est-ce que je peux te poser une question ?
Elle se lève sans rien dire, et se dirige vers le comptoir.
- Oui, vas y.
Elle prend un verre qu'elle rempli d'eau, et bois une première gorgée.
- Je voulais revenir sur ce qu'il c'est passé la dernière fois, sur le balcon.
Elle me regarde, je la vois étrangement un peu plus nerveuse qu'auparavant, a tel point quel se cache une nouvelle fois derrière son verre d'eau pour le dissimuler.
- Je ne voulais pas que ça te mette mal à l'aise, mon objectif était juste de mettre les choses à plats entre nous pour repartir sur de bonnes bases, repartir à zéro.
- On pourra jamais repartir à zéro dit-elle en soufflant un rire
Je fronce les sourcils, tandis qu'elle se retourne face au bar pour déposer son verre comme si de rien n'était.
- Pourquoi ?
- Tu nous as vu Ruggero ? Tu penses vraiment qu'on pourrait tout reprendre à zéro ? Comme si rien ne c'était passé ?
- Tu es en couple, alors, oui...
- Et alors ? Parce que je suis en couple tout ce qu'on a pu vivre tout les deux ne compte plus ? Je dois tout effacer de ma mémoire ?
- Non, mais c'est censé être plus simple...
- Ça l'est pas. dit-elle en me coupant. Non seulement parce que je te vois tous les jours de ma vie, mais en plus parce que quand je pensais que t'ignorais était une bonne idée tu as décidé de me reparler de cette histoire en espérant que l'on devienne amis.
- Je pensais bien faire !
- Mais tu penses toujours bien faire parce que tu ne penses qu'à toi Ruggero ! Cette discussion sur le balcon elle était bénéfique pour notre relation ou pour ta culpabilité ?
Je marque un temps d'arrêt. Pour moi c'était évident, elle était bénéfique pour nous. Mais elle l'était avant que je ne lui dise, lorsque ça a été fait, je me suis rendu compte que rien n'avait changé, que ça n'enlevait pas la douleur que Karol avait pu ressentir, que ça n'enlevait pas la mienne et que ça n'avait pas changé la tournure des choses non plus.
- Réponds-moi vas-y, pour qui elle était bénéfique ?
- C'est pas important, je pensais que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire.
- Bien évidemment c'est pas important...
Elle balaye sa phrase d'un geste de la main, puis me tourne une seconde fois le dos.
- J'étais quoi pour toi ? dis-je en brisant le silence.
- Quoi ?
- J'étais quoi pour toi ? Je suis quoi pour toi, là, à cet instant ?
Un ange passe. Elle joue avec ses doigts sur le comptoir, près des nombreux verres d'alcool plus ou moins vides pour la plupart.
- Tu étais la bonne personne au mauvais moment.
- Arrêtes avec ces conneries, cette expression est complètement absurde.
- Tu veux que je décrive notre relation avec quels mots alors ? C'est mon ressenti Ruggero, j'y peux rien.
- Tu peux pas me dire que j'étais la bonne personne, me dire que la situation est compliquée parce que tu me vois tous les jours et me dire qu'il n'y a plus rien entre nous !
- Pourtant c'est le cas !
Nos deux respirations irrégulières se mélangent et résonnent dans la pièce. Je crois entendre un bruit venant de la porte, mais aucun de nous deux n'y prêtons attention.
- C'est la vérité que tu le veuilles ou non ! J'ai tourné la page ! Alors oui tu as été important, je t'ai aimé, j'ai vraiment cru que c'était avec toi que j'allais finir ma vie, mais mets toi un peu à ma place Ruggero. Parce que malgré tout ça, j'étais à mille lieux de deviner ce que tu aller faire ce soir là.
- Tu sais que c'était pas mon intention ! Moi aussi j'étais amoureux de toi !
- Si t'avais vraiment été amoureux de moi tu serais pas partie en Italie !
Sa voix résonne entre les quatre murs de l'appartement. Je reste interdit face à elle, j'aperçois les jeux de lumières danser dans ses yeux.
- Quoi ?
Elle semble se rendre compte de ses mots, car les traits de son visage à présent froncés se radoucissent.
- Je suis resté à Buenos Aires, en grande partie pour toi Karol. Comment tu peux me reprocher d'être partie en Italie pour retrouver ma mère que je n'avais plus vue depuis des mois ?
Je n'arrive pas à croire qu'elle me reproche d'être partie, alors qu'elle sait à quel point j'étais malheureux de me retrouver loin de mes parents. J'ai sincèrement aimé cette fille de tout mon coeur, et oui, j'ai fait des erreurs, je l'ait faite souffrir, mais je pense avoir fait de mon mieux.
- Là c'est moi qui me demande si tu as vraiment été amoureuse de moi.
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