Chapitre 5: Dead Smile - Katsuki

Je sortis de la voiture les yeux et le cœur vides.

D'un coup d'œil à mon ensemble costard-cravate entièrement noir et à ceux tout aussi sombres des invités, je su que tout ça n'était pas juste un putain de mauvais rêve. J'avais comme gravé, dans l'envers de mes paupières, les cernes qu'il arborait dans son dernier matin. Comme son plus grand fan, je portais aujourd'hui les mêmes, au détail près.

J'aurais aimé me réveiller de ce cauchemar, mais je ne m'étais jamais endormi.

Ma mère claqua la porte de la voiture, dans sa robe empreinte d'obscurité, et nous nous mîmes à avancer au milieu de cette foule endormie. Le monde semblait avancer au ralenti, les voix me parvenaient comme des murmures inaudibles, et mes pieds avançaient seuls, indépendamment de ma volonté.

Pourtant, je voulais juste retourner dans le véhicule, refaire le chemin en sens inverse, rentrer et voir mon voisin sortir de chez lui, un sourire gêné tordant ses joues tachetées, s'excusant pour sa mauvaise plaisanterie. Je voulais juste l'engueuler comme d'habitude, me moquer, le traiter d'inutile et bon à rien, sans m'apercevoir des conséquences juste parce que je suis un putain d'enfoiré.

JE SUIS UN PUTAIN D'ENFOIRÉ !

Je voulais juste retourner à ma vie de connard arrogant et insensible. Ma vie de mec pitoyable au point de martyriser la personne la plus adorable du monde. Celui d'il y a quelques mois, celui qui ne s'était pas encore habitué à l'absence. Celui qui n'aurait pas pu le voir venir, pas celui qui aurait dû l'empêcher.

Mes pas me menaient pourtant vers le point de non-retour, l'évènement qui ferait éclater tous les beaux mensonges créés par mon esprit infernal. Mon corps allait de l'avant mais je restais en arrière, voyant les lieux comme le spectateur d'un film, qui ne voudrait pas subir le générique final. J'aurais aimé oublier que c'était la bobine de nos vies qu'on déroulait aujourd'hui, oublier l'impossibilité de rembobiner.

À mes côtés, mes parents saluaient les uns et les autres, en exprimant leurs plus sincères condoléances mutuelles à toute personne l'ayant connu. Ils avaient sur leurs gueules un air trop attristé pour être vrai, comme tous les ignobles convives de cette horrible masquerade. Je ne pris pas la peine d'y prendre part, je n'avais plus de larmes. Ma mère tenta de me réprimander, je lui répondis par mon plus grand sourire d'enculé, l'air fier de ma connerie. Après tout, autant en être un jusqu'au bout.

L'ironie, plus violente et cruelle que n'importe quelle autre lame, vint trancher tous leurs faux airs. Derrière leur compassion se révélèrent mille hypocrisies outrageuses, tantôt choquées, tantôt indifférentes. Certaines, aussi, semblaient un peu trop intéressées. Puis, comme s'ils étaient ensorcelés, leurs masques de deuil se remirent en place, en une seconde à peine.

Ils me dégoûtaient.

J'étais certes la pire pourriture que cette Terre ait porté, mais ils n'étaient pas loin derrière. Combien l'avaient écouté ? Combien l'avait aidé ? Combien l'avaient connu ? Deku croulerait aujourd'hui sous plus de fleurs qu'il n'en avait jamais reçu, toutes offertes par des proches un peu trop lointains.

Ils me débectaient autant que je me donnais envie de vomir.

Une connasse ayant mis bien trop de rouge à lèvre me dit que j'étais très impoli et extrêmement irrespectueux, un air indigné froissant son petit nez retroussé. Je lui souris une nouvelle fois, de la manière la plus provocatrice possible. Où était-elle pour me remettre à ma place avant que ça vire comme ça ? Elle me les brisait. Tout le monde me les brisait. Qu'ils aillent tous crever !

Crevez ! Crevez ! CREVEZ !

C'est à ce moment qu'entra en scène la reine du bal, des traînées de paillettes noires ternissant ses larmes. Les siennes étaient plus vraies que réelles, si bien que j'en eu aussitôt la nausée. Ma mère s'empressa de m'agripper le poignet de toutes ses forces, comme pour m'empêcher de fuir. Ses ongles pénétraient ma chaire, la déchiquetaient comme ils l'avaient déjà tant fait. Ils laissaient sans doute des croissants de lune au passage, qui ne partiraient pas avant un moment, mais je ne me plaignis pas pour autant. Je ne méritais pas que l'on soit bon avec moi en ce jour. Ni même après, d'ailleurs.

Inko s'avança dans la foule, les yeux rougis mais un demi-sourire aux lèvres, remerciant les uns et les autres de s'être déplacés d'une voix faible. Sa robe ébène l'enveloppait de volants dansants, dans un nuage vaporeux de tulle. Quelques traces noires de maquillage striaient ses joues rondes, comme si une bête l'avait soudainement attaquée. Elle semblait elle-même au bord du cercueil, mais personne ne le lui fit remarquer.

La voir ainsi me donna soudainement une envie encore plus grande de partir. En nous voyant, la folle qui me sert de mère, mon figurant de père et moi, son sourire si triste s'élargit. Enfin, autant que c'était possible dans cette situation. Je détournai les yeux et fixai le sol de toutes mes forces tandis qu'elle s'approchait pour saluer la vieille, sa meilleure amie de toujours. La mère de Deku manqua de trébucher et on la rattrapa de justesse, sans même voir qu'elle ne tenait plus sur ses pieds. Elle et la mienne échangèrent quelques banalités, puis ce que je redoutais tant arriva. Elle m'appela.

Sa voix était douce, sans la moindre once de reproche. On eut dit qu'elle parlait à un enfant qui s'était perdu dans le grand magasin de la vie. Je relevai doucement la tête, essayant d'occulter mon inquiétude. Elle me fit un léger sourire, se voulant rassurant malgré sa tristesse. Elle n'avait pas changé depuis cette époque où je venais souvent jouer chez Deku. Elle était toujours aussi gentille, douce et compréhensive.

Comme une éponge qui gardait la moisissure d'autrui.

Elle me demanda si je tenais le coup, le coup de perdre mon meilleur ami. Et c'est là que je compris la plus atroce des vérités. Elle ne savait même pas ce que vivait Deku. Ce que je lui faisais vivre. Elle ne savait pas que je le martyrisais. Elle ne savait pas que j'étais le connard qui lui avait prit son fils. Deku ne lui avait rien dit.

Après réflexion c'était bien son genre, mais je n'avais même pas envisagé cette possibilité.

Cette femme endeuillée, de son côté, ne devait absolument rien comprendre à la situation. Elle devait sans doute se demander ce qu'elle avait fait de mal, là où elle avait foiré. Mes yeux se posèrent encore sur Inko, qui discutait de nouveau avec ma mère et mon père, mon père qui copinait avec le décor. Elle ne savait rien. Et en gardant ça pour moi, je ne faisais que rester un connard d'imposteur. Un loup déguisé en mouton. J'aurais aimé leur hurler, à mes parents et à elle, qu'ils se trompaient sur mon compte. J'aurais aimé leur expliquer que j'étais qu'un enfoiré, mais les mots restaient coincés dans ma gorge, tout comme les larmes que j'avais appris à ravaler.

Avant que je n'ai pu tout leur révéler, il fut temps d'entamer la cérémonie. On parqua les invités dans une grande et magnifique pièce crème, ornementée de doré. Le banc sur lequel je m'assis resplendissait de la même couleur or que la plaque portant le nom de mon ex-meilleur ami. J'aperçus au loin quelques camarades de classe et notre professeur, affichant leur plus fausse mine.

Qu'en aurait pensé Deku ?

Je fixai sa photo sur son nid de fleurs colorées, tandis que s'enchaînaient les discours. Le vert de ses yeux pétillait de fausseté sur le papier glacé, il paraissait observer un siège vide, sur l'emplacement familial. Inko, seule sur ce banc dont les convives n'avaient pu se libérer, pleurait à chaudes larmes. Je me demandais où chacun d'eux était passé, ce qui pouvait donc tant les occuper. Deku n'en parlait quasiment jamais.

Un écran placé en hauteur, au-dessus du cercueil, diffusait un diaporama de photos de lui, à tous âges. Il souriait sur toutes, semblant sincèrement heureux. Je détournai le regard, voulant fuir tous ces souvenirs et les mensonges qu'il avait susurrés à la caméra. Quelques reniflements brisaient le silence de recueillement qui s'était désormais installé.

Dek- Non. Izuku était fort. Il n'avait pas d'alter mais n'en avait pas besoin. Il était plus fort que nous tous, plus que je ne l'aurais jamais été, à sa manière. Là où certains faisaient crépiter des étincelles à côté d'un visage apeuré, il se contentait de sourire et parler d'une voix rassurante. Là où certains fonçaient sans penser, il réfléchissait et analysait. Il écoutait, observait et comprenait, sans jamais se précipiter. Ce sont toujours les meilleurs qui partent en premier; je n'ai jamais trouvé cette phrase aussi vraie.

Il fut bien trop vite l'heure d'en finir avec cette cérémonie, et arriva le moment des adieux. Chaque invité s'approcha du cercueil pour y exprimer son dernier au revoir, avant de partir par la grande porte. Ils récupéraient le cadeau pour les remercier de leur venue et disparaissaient. Vint rapidement le tour de mes parents et moi, derniers avant la famille proche. J'hésitai à exprimer mes excuses silencieuses, mais me dis que ce n'était certainement pas ce qu'il aurait voulu. Même vivant, il n'aurait jamais pu les accepter. Je me contentai donc de baisser la tête et de prononcer un adieu muet. Au moment de passer la porte, je me retournai. Il était l'heure pour les proches de faire passer le cercueil pour la crémation.

Je regardai doucement la boîte passer de l'autre côté pour réduire son hôte en cendres, comme j'avais menacé de le faire tant de fois. Cette fois-ci c'était vrai, même si ce n'étais pas ce que je souhaitais. Bientôt, ce corps sans vie brûlerait dans la candeur des flammes, pour finir en un triste tas de poussière cramée.

Pourtant, les anges ne devraient pas subir la chaleur de l'enfer.

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