# Sleeping Angel #

L'apprenti souffrait. La Marque chauffait. Ce n'était pas aussi fort que la veille, mais il la sentait en permanence et cela lui mettait les nerfs à vif.

Il n'était pas retourné voir Aël à la pause. Plus il s'approchait du patient, plus il avait mal. Il ne lui en voulait pas vraiment pour son geste de la veille, simplement il ne voulait pas souffrir plus que nécessaire. La douleur s'estomperait avec le temps, n'est-ce pas ?

Lorsqu'il rentra chez lui le soir venu, ce fut le cœur lourd, même s'il ne comprenait pas tellement pourquoi.

Il avala des antidouleurs et s'allongea, mais la Marque ne voulait pas le laisser en paix. Elle lui semblait pulser, s'illuminer d'or par instants et une légère douleur accompagnait toujours cette lumière.

22:00. Orion était épuisé. Il luttait contre cette étrange force qui l'attirait vers un demi-sommeil qu'il n'avait jamais ressenti auparavant. Lorsqu'il relâchait son attention, il se sentait partir et une peur viscérale lui tordait les entrailles, le maintenant éveillé.

23:00. Ses yeux se fermaient tout seuls. Son corps était engourdi après sa nuit blanche et sa journée de travail. Il n'allait pas tenir, il le savait. Le trou noir, comme il avait décidé de le surnommer, l'aspirait sans arrêt. Finalement, son esprit abandonna la lutte et Orion sombra dans les ténèbres.

*

Elles n'étaient pas noires, ces ténèbres. C'était un tunnel, au bout duquel il lui semblait apercevoir un cercle lumineux. Quelles couleurs ? Il n'en avait aucune idée. Tout était en noir et blanc.

Il flottait. Oui, c'était cela, il flottait dans cet océan de coton invisible et on l'emmenait vers cette lumière. Une force le tirait, comme un fil qu'on aurait attaché à son torse.

Orion fut aspiré par la lumière et ferma les yeux.

*

C'était étrange. Il sentait son corps, mais en même temps, il n'en avait pas. C'était indescriptible, en fait.

Il ouvrit les yeux-qu'il-n'avait-pas pour contempler le paysage. Il se trouvait dans une clairière verdoyante, le soleil brillait au-dessus de sa tête au centre d'un ciel d'azur resplendissant.

— Je vais t'offrir un monde...

Une voix. Orion entendait une voix. Quelqu'un chantait.

— Aux mille et une splendeurs... Dis-moi, beau prince, n'as-tu jamais laissé parler ton cœur ?

Cette voix était extraordinaire. Douce et profonde, elle s'insinuait dans son esprit comme une nuée de paillettes d'or... D'or...

Aël.

Là. Quelqu'un flottait au milieu des herbes d'émeraude. De longs voiles dorés étincelaient, voletant autour d'un corps élancé, tendu vers l'azur, le visage offert au ciel et les yeux clos. Ses boucles blondes et ses traits doux ne laissaient pas place au doute ; c'était bien Aël qui se trouvait là, et chantait.

Orion ne s'approcha pas, préférant observer.

— Je vais ouvrir tes yeux aux délices et aux merveilles de ce voyage en plein ciel, au pays du rêve bleu...

C'était réellement un rêve. Orion en avait conscience à présent. Mais cela faisait des années qu'il ne rêvait plus. Ses nuits étaient noires et silencieuses, dépourvue de la moindre magie, tout le contraire de ce qu'il vivait à cet instant. Ce rêve était coloré, lumineux, son esprit monochrome n'aurait jamais pu créer une telle splendeur...

Était-ce alors le rêve de quelqu'un d'autre ? Celui d'Aël, qui tourbillonnait dans le ciel comme un oiseau, alors que de somptueuses ailes de plumes immaculées émergeaient de son dos au milieu des voilages d'or ?

Une pensée atteignit Orion. Une voix puissante, qui semblait provenir de partout à la fois, qui résonnait dans ce paysage onirique, légèrement différente de celle qu'Orion avait déjà entendue.

« J'aimerais tellement écouter de la musique »

Puis, Orion se sentit reculer, repasser dans le tunnel noir qui menait à son propre monde ; il tendit les bras vers la lumière, mais ne les vit pas. Il n'avait pas vraiment de corps, il n'avait aucune prise sur ce qui l'entourait.

Orion se réveilla. Il ouvrit les yeux sur le plafond de sa chambre, alors que des bribes de féérie subsistaient dans son esprit embrumé. Les couleurs s'accrochaient encore, mais partaient en fumée de seconde en seconde. Il leva une main, la posa sur son cou Marqué. Il était frais.

Orion avait l'impression d'avoir réellement senti la présence d'Aël dans ce rêve étrange. Mais désormais, une petite pointe de douleur lui piquait la poitrine. Il était à nouveau chez lui. A nouveau...

Seul.

*

Lorsqu'Orion sortit de la douche, il se rappela de la dernière pensée qui avait clôturé ce songe. Il avait repassé toutes les images qui lui revenaient, les quelques phrases dans la chanson d'Aël, mais cet ultime souhait ne lui revenait qu'à cet instant.

Il se sécha les cheveux en quelques secondes et s'habilla, enfilant ses gants longs pour éviter une seconde nuit blanche. Dans le miroir, il vit que la Marque était toujours dorée, mais elle ne le faisait plus souffrir.

Une fois de retour dans la chambre, Orion s'apprêtait à aller déjeuner, comme d'habitude, mais il accrocha des yeux l'image de Mag' sur le mur, qui le regardait avec un sourire factice.

— Mag', as-tu un moyen pour que j'emmène de la musique au travail ?

« Je vais vous trouver cela, Orion. Vos désirs sont des ordres ! »

Les désirs d'Aël, en l'occurrence, songea Orion.

Le Majordome disparut et Orion en profita pour descendre manger, un peu perplexe. Pourquoi voulait-il faire plaisir à Aël ? Ils se connaissaient à peine...

*

— Bonjour, Aël, lança Orion en masquant son stress.

Il avait peur que le patient ait détecté son intrusion dans son rêve ; après tout, le Marqué ne connaissait pas les limites et pouvoirs de son anomalie...

— Bonjour ! Comment vas-tu ?

La voix du patient ne paraissait pas avoir changé. Orion se détendit et se dirigea vers les poches à perfusion tout en répondant.

— Bien, et toi ?

— Mieux, ils m'ont donné un nouveau traitement pour retarder mon cycle de sommeil. Sinon, j'aurais dormi toute la semaine, ou presque ! Là, on espère que je ne dormirai que deux jours, en fin de semaine.

— C'est bien.

L'hypnopathie cyclique dont souffrait Aël se manifestait en phases, ou crises, qui revenaient à intervalles réguliers. Le patient était alors plongé dans le sommeil et ne se réveillait pas. Ce n'était pas un coma, mais un réel sommeil dont il était impossible de les tirer et qui pouvait durer une semaine entière. Il fallait alors les alimenter par perfusion afin de les maintenir en vie. Les patients qui souffraient de ce mal étaient souvent mince, trop mince, et évitaient les efforts physiques.

Orion força un petit sourire, même si la nouvelle ne lui procurait pas autant de joie qu'elle aurait dû. Lui connaissait les manœuvres internes du service et savait que le cas de l'hypnopathie était vraiment loin d'être prioritaire. Ce nouveau traitement serait sûrement le seul essai...

— Orion ?

— Mmh ?

— Est-ce que tu viendras manger à la pause ?

Comme Orion ne répondait pas tout de suite, hésitant, Aël poursuivit.

— Tu as l'air de meilleure humeur qu'hier et... J'aimerais qu'on oublie ce... ce conflit. Nous avions passé un bon moment, non ?

— D'accord. Je viendrai, souffla Orion en se redressant, les poches changées.

Le sourire que lui offrit Aël eut le don de le remuer profondément, mais il tenta de ne rien laisser paraître et sortit de la chambre. Oui, il viendrait, car il avait une surprise pour le soleil.

*

— Bon appétit !

Orion était assis sur le lit, face au patient, au milieu d'un décor automnal qui le mettait étrangement en confiance. Il se sentait mieux en présence d'Aël au fil des jours, même s'il tentait d'oublier le fait qu'il était Marqué et qu'il avait pénétré dans un de ses rêves sans son autorisation. Enfin, heureusement il avait eu une nuit reposante.

Ses doigts gantés saisirent sa tartine et il mordit dedans sans grand enthousiasme.

— Orion ? C'est quoi, ça ?

Il leva les yeux et vit qu'Aël désignait le petit appareil qu'il avait posé sur un meuble en entrant. Orion eut un petit sourire mystérieux.

— Mange d'abord.

Le regard suspicieux d'Aël ne le perturba pas et l'apprenti continua d'avaler sa tartine par bouchées imperturbables. Le patient finit par ne plus insister et termina sa purée enrichie, avant de poser le plateau sur sa table de chevet et de fixer Orion de son regard ambré.

— J'ai fini, fit-il remarquer comme un enfant.

— J'ai vu. Mais moi non.

Le futur médecin s'amusa de la moue suppliante qu'afficha le blond, mais ne céda pas pour autant. Egoïstement, il adora le faire languir, même si son regard sur lui l'intimidait un peu.

Il n'avait plus été malicieux depuis longtemps et cela lui fit un étrange bien.

— Bien, j'ai terminé.

— J'ai vu, rétorqua l'ange blond avec un sourire en coin. Alors ? Qu'est-ce que c'est ?

Orion ne répondit pas, préférant se lever pour saisir le petit cube blanc aussi gros qu'un poing. L'une de ses face s'illumina et de petites lettres bleues apparurent. Orion glissa un doigt sur l'écran et fit défiler quelques titres. Aël écarquilla les yeux lorsque quelques notes s'élevèrent dans la chambre.

De petites perles salées naquirent sous ses paupières. Il serra la couverture entre ses doigts, puis leva le regard pour le plonger dans celui d'Orion.

— Comment ? Je... Que...

— J'ai deviné, mentit Orion. Je pensais que ça te ferait plaisir. Cet hôpital n'est pas le lieu le plus accueillant pour vivre et...

Il n'eut pas le temps de terminer sa justification, car Aël s'était jeté dans ses bras pour l'étreindre avec une force insoupçonnée. Orion se figea, mais il sentit que le patient avait pris garde à ne pas le toucher directement alors il se relâcha et resta là, interdit, le nez dans les boucles blondes.

Aël sentait l'hôpital, mais sous cette odeur familière, Orion décela un parfum fruité légèrement citronné qui lui emplit les narines. Il aimait cette odeur.

Ses mains vinrent se poser sur le dos du jeune patient, délicatement, presque timidement, et il maintint Aël contre lui. Orion ressentit alors la différence de carrure ; sans être vraiment musclé, le futur médecin était plus large d'épaule que le malade, et Aël ne semblait peser qu'à peine le poids d'une plume contre lui. Orion eut la brusque envie de l'entourer de ses bras pour ne plus jamais le lâcher. Ce soleil risquait de s'éteindre à tout instant.

Mais Aël recula, la moue gênée et les joues rouges. Il se rassit dans le lit et porta la main à sa nuque, alors qu'Orion détournait le regard. Mais bien vite, il le ramena vers le blond pour tomber dans deux joyaux dorés brillants et scintillants.

Aël rayonnait de joie. Littéralement. Du jaune, de l'orange, du rouge flamboyants... Les couleurs émanaient de lui comme le soleil illumine la terre. Et Orion se sentit comme une petite étoile dans l'immensité de l'espace, éclipsé par l'astre Aël au lever du jour.

Il voulait revoir ces couleurs. Déjà, elles s'estompaient délicatement alors que le patient écoutait la musique, le sourire aux lèvres. Orion eut alors une idée.

Il allait observer les rêves d'Aël. Et exaucer ses vœux. Pour revoir ses couleurs.

*

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