Chapitre 3



IKEA, ce pays libre et indépendant

💛💙


Vraiment, je ne comprends pas ce que cherche ce gars. Quel culot ! S'il veut tant que ça faire des grasses matinées, pourquoi n'utilise-t-il pas son propre lit ? Il doit bien en avoir un. Il n'a pas l'air d'être à la rue. Je n'avais peut-être jamais réellement fait attention à son apparence jusqu'ici, mais aujourd'hui, j'ai pu voir qu'il n'avait rien d'un sans-abri. Ses cheveux sont propres et brillants, ses vêtements en parfait état et choisis avec goût, et il me semble même me rappeler, entre mes quelques souvenirs brouillés, qu'il sent bon. Je n'avais pas franchement la tête à le sniffer tout à l'heure, mais quand il s'est levé, son mouvement a envoyé vers mes narines un petit vent de fraîcheur et de printemps. Il respire la lessive et les fleurs.

Perplexe, je continue de réfléchir en caressant mon ventre plein de boulettes de viande. Hobi m'a encore gâté, ce midi. Il a mis deux fois plus que la ration habituelle dans mon assiette, contrairement à Yoongi à qui il a donné un pauvre reste de tarte aux Daims. Ils se chamaillent tout le temps. Je crois qu'ils s'aiment bien.

En passant par la section chambres d'enfants pour retourner à la mienne, je tombe sur notre stagiaire. Ou plutôt, sur un bout de sa tête blonde. Jimin est plongé dans le bac à peluches comme s'il s'agissait d'une piscine à boules. Il est enseveli sous un tas de dauphins mutants et de chevaux à six pattes. Autour de lui, deux bambins s'amusent à lui en jeter d'autres au visage. Il parvient tout juste à remonter à la surface avant de couler à nouveau.

– Taehyung-hyung, gémit-il quand il me voit. De l'aide !

Pendant un instant, j'hésite à le sortir de là. Puis je me rappelle que personne ne s'est jamais donné la peine de le faire pour moi. Alors, sadique, je lui souris :

– Désolé, Minie, mais c'est comme ça qu'on apprend. Tu verras, ça va t'endurcir avec le temps.

Et je m'en vais, avec (presque) aucun scrupule, alors qu'il peste dans mon dos.

– T'es le pire des hyungs ! Je vais le dire à Hobi et Joonie et ils vont te faire la misère !

C'est ça ! je pense en continuant ma route.

Lorsque j'arrive à mon poste, Yoongi est déjà là. Ses yeux s'étrécissent quand je le rejoins. 

– Hey, Tae, m'accueille-t-il froidement. Bien mangé ?

– Si tu savais ! je décide de le narguer. Je suis étonné de te voir déjà de retour.

– Un centimètre cube de tarte, ça s'avale vite, grogne-t-il.

– Et ça se digère mal, j'ai l'impression.

Il me jette un regard courroucé et montre les dents. Je crains qu'il ne m'en veuille encore pour ce matin avec le vieux.

– C'est le karma, tu sais. T'avais qu'à pas me planter un couteau dans le dos.

Yoongi comprend immédiatement de quoi je parle et retrouve son éternel rictus condescendant.

– Tu me remercieras plus tard, dit-il.

– De m'avoir planté un couteau dans le dos ? Je ne crois pas.

Il lève les yeux au ciel.

– De t'ouvrir une porte avec ce garçon.

– Merci, mais tu peux la refermer. Je ne suis pas intéressé.

– Tae, sérieux... Ça fait combien de temps que tu n'as pas côtoyé quelqu'un ?

Longtemps. Et ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé.

– Tu devrais lui laisser une chance, continue-t-il vu que je ne réponds pas. Je suis sûr que ça pourrait matcher entre vous.

Une chance... À ce squatteur ? Je ne vois pas en quel honneur je devrais lui en laisser une. Yoongi s'est peut-être cru sur Tinder ou Adopteunsuédois, mais y a pas de match, ici. Ici, c'est la guerre, c'est le pognon, c'est la course à la vente et l'instinct de survie. Ici, c'est IKEA. Et chez IKEA, personne, je dis bien personne, ne vole nos matelas. On ne peut pas laisser passer ça. Car sinon, après ce sera quoi ? Les gens viendront casser la croûte sur nos tables ? prendre leurs douches dans nos salles de bain ? fumer des pétards sur nos fausses terrasses ? C'est hors de question ! Nous sommes un pays libre et indépendant. Jamais je ne permettrai à qui que ce soit de conquérir nos terres.

– Vraiment, il a l'air sympa ! insiste Yoongi. Puis il est mignon.

– Tu as complètement perdu la tête, je rétorque. Sympa ou pas, il conteste mon autorité à chacune de ses venues. Mais il va comprendre ce que ça fait de défier Kim Taehyung. J'ai été bien trop patient avec lui. Maintenant, les choses vont changer.

Et ça, je l'affirme et je l'atteste.

Je ne me laisserai plus faire.

– Allez, ça suffit, on ouvre les yeux !

D'une main ferme, je tâte, je pousse et secoue l'épaule de l'endormi. Mais rien à faire. Il dort comme une masse. Je ne suis pas vraiment étonné de le revoir deux jours après son « à bientôt », ni même de le trouver dans un Släkt au lieu d'un Säbövik. 

Le déménagement semble lui agréer. Il a carrément pris ses aises. Un coussin se la coule douce entre ses bras, et ses jambes sont repliées contre son ventre. Ses cheveux noir de jais scintillent sous la lumière artificielle du magasin. Ils sont légèrement emmêlés.

En tendant l'oreille, je perçois les petits bruits ensommeillés qui s'échappent de sa bouche. Ses lèvres sont d'un joli rose poudré ; un grain de beauté les décore, juste à la naissance de son menton. C'est vrai qu'il est plutôt mignon. Je n'avais jamais vraiment fait attention.

Poussé par l'envie d'en découvrir davantage, je l'observe d'un peu plus près. Je me penche pour analyser sa mâchoire coupée au couteau ainsi que sa peau presque sans défauts. Il y a un minuscule bouton qui a poussé sur sa narine gauche, mais à part ça, on ne voit rien d'autre. Son épiderme est lisse et blanc, et il a l'air doux.

Quand je remonte vers ses yeux, je vois qu'ils s'agitent légèrement sous ses paupières closes et que ses longs cils battent comme les ailes d'un papillon. Je me demande s'il est en train de rêver. Et si oui, de quoi.

– Ton haleine sent les boulettes.

Je sursaute violemment et plaque une main contre ma bouche pour ne pas crier. Je m'éloigne aussitôt qu'il se redresse. Il a la marque des draps imprimée sur la joue.

– On se tutoie ? je demande en prenant un ton aussi neutre que le sien.

Je fais semblant de ne pas être perturbé par cet incident. Au fond de moi, je pleure de honte. Normalement, j'amène toujours ma brosse à dent au travail car j'ai la hantise de me retrouver devant les clients avec un morceau de bouffe coincé dans les gencives. Mais comme par hasard, il a fallu que je l'oublie aujourd'hui.

– Ça fait un moment qu'on se connaît, maintenant, répond-il sans entrain. Je pense qu'il est temps d'abattre quelques barrières.

D'abattre quelques...

– Au risque de te contredire, on ne se connaît pas, je proclame.

– Je connais ton prénom, souligne-t-il en pointant le badge accroché au niveau de mon pectoral.

– Je ne connais pas le tien.

Ses pupilles se fondent aux miennes et je tressaille sans savoir pourquoi.

– Jungkook, dit-il. C'est mon prénom.

Jungkook, je répète dans ma tête.

Cette information ne m'est pas vraiment utile. Même si, à présent, je saurai de quelle manière m'adresser à lui lorsque je lui hurlerai dans les oreilles de dégager d'ici. D'ailleurs, pourquoi ne l'ai-je pas encore fait ? J'ai pourtant affirmé et attesté que je ne me laisserais plus faire. 

Il faut que les choses changent !

Et comme a dit un jour je ne sais plus qui : « Le changement, c'est maintenant. »

Déterminé, mon torse se bombe et je le toise avec tout le mépris que j'ai rassemblé au cours de la matinée. Puis, j'ouvre la bouche pour le lui déverser dessus :

– Eh bien, Jungkook, je vais te demander de pa...

Quand un claquement répétitif m'interrompt. 

Je me tourne vivement vers la provenance du bruit et mes épaules s'affaissent. Non loin de nous, une adolescente s'amuse à ouvrir et à refermer le tiroir d'une table de chevet, encore, encore, encore et encore, pendant que ses parents s'attardent sur un sommier avec un collègue. 

– C'est pas vrai, je chouine de consternation.

Si elle continue comme ça, elle va finir par péter les rails, foutre en l'air le système de coulissement et le meuble sera bon pour le cimetière. Ce n'est pas possible. Aurais-je droit à une journée tranquille et normale, rien qu'une fois dans ma vie ?

– Les gens ne sont pas très respectueux, j'entends à côté de moi.

C'est l'hôpital qui se fout de la charité. C'est ce que j'aimerais répondre à Jungkook, mais il y a plus important. 

Je darde un regard vers lui et lui enjoins :

– Toi, tu bouges pas de là.

– Ça me va.

Tandis que je fonce vers la gamine tortionnaire, je prends conscience de mes paroles et fais volte-face, prêt à les annuler. Mais Jungkook s'est rallongé dans la même position que plus tôt et semble déjà reparti dans son gros dodo.

Un long soupir m'échappe.

Celui qui a un jour dit que le changement c'est maintenant n'est vraiment qu'un gros flan.


..‿︵‿..︵ʚɞ


Hej ! God jul till alla ! 

(ça veut dire Joyeux Noël à tous en Suédois. On en apprend tous les jours !).

J'espère que vous avez passé de bonnes fêtes ! Si ce n'est pas le cas, alors ceci est mon cadeau de réconfort pour vous.

En attendant de vous revoir pour la suite, je vous embrasse très fort. 

Prenez soin de vous mes petits daims !

Astëlya

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